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EMPRESAS HEADHUNTERS CHILE PDF
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Story Transcript

1 Je suis né en 1941, pendant la guerre. Ma mère, Marie Catherine que tout le monde appelle Anita, est venu accoucher dans la maison mère, celle de ses frères, de son père, de son grand-père. Tout ce monde s’appelle Courtiau. Et la maison est une petite métairie nommée l'Ariou. l'Ariou en patois, veut dire le ruisseau. Elle appartient à la famille Thévenin, en l’occurrence, André Thévenin. Cette famille possède un assez grand domaine en pins maritimes. Nous sommes à 3 km de l’océan Atlantique, commune de Messanges dans le quartier Caliot, du nom d’un autre grand propriétaire de pins et qui possède lui aussi une très belle maison proche de celle d’André Thévenin. Ces heureux propriétaires possèdent en général outre leur pins, quelques métairies, habitées par des résiniers qui tirent la gemme où la résine des pins. On laisse profiter ceux-ci de quelques champs, quelques prairies qui permettront d’entretenir un attelage de mules, quelques vaches, 4 ici pour la famille Courtiau. Le maître, c’est ainsi qu’on l’appelle est médecin mais n’exerce pas, se contentant de gérer son domaine. Cela ne l’empêche pas de donner gracieusement quelques conseils et de rédiger les ordonnances pour ceux de ces gens qui sont malades.


2 La grande affaire de ce domaine outre les pins, ce sont les vignes, elles ne produisent pas un très bon vin, sauf un cépage qui donne le vin de sable très renommé dans les Landes à ce moment-là. Il est très apprécié. Il a à peu près disparu car il fallait du soin, du travail et le rendement n’était pas très bon. Les vendanges sont transportées dans le Chai de Monsieur Thèvenin qui possède le pressoir et les grandes cuves. La plus grande quantité de la production de vin, de sable, bien sûr, reste chez le propriétaire et vient s’ajouter au poulets, chapons, œufs, lapins, canards, jambons qui représentent la location de la métairie. Le reste du vin finit dans le chai de la famille car dans les Landes, on n’a pas de cave. Comme dans le Bordelais, le chai est une réserve située toujours au nord de la bâtisse, ici au nord de l’écurie. En 1941, quand je nais, mon oncle Fernand est prisonnier en Allemagne, ainsi que son frère, le curé Marcel. À la maison vivent mon oncle Louis, le plus jeune, âgé d’une quinzaine d’années, ma tante Simone, la femme de Fernand, ma grand-mère Maria, mon grand-père, ainsi que mon arrière-grand-mère, mémé Otine (Léontine, sans doute). J’allais oublier mes cousins Hubert et Aline, les enfants de Fernand et de Simone.


3 Ma mère est venue accoucher dans la maison familiale car mon père est gendarme à Paris et elle n’a pas envie d’être seule pour cette épreuve. Elle en sera toujours reconnaissante à ma tante Simone et l’âge avançant en maison de retraite, elle me demandera de la remercier sachant sa fin proche, chose que par pudeur elle n’a pas osé faire précédemment. Mon père, Jean Duvert, appelé Marcel par tout le monde est né en 1913. Il est gendarme mobile à Paris. En 1942, il sera amené à garder le Vel d’HIV suite à la rafle. Ma mère me dira qu’elle avait eu très peur à cette occasion car des juifs prisonniers donnaient à mon père des messages qu’elle allait porter en ville. Lui, ne m’en parlera qu’une fois pour me dire qu’après cette expérience, il s’était juré de ne jamais voter à droite. Il s’y tiendra, d’après ce que je sais, jusqu’à son décès. Il a perdu son père, trépané lors de la guerre de 14 et mort peu d’années après l’armistice…1924 peut-être.Sa mère est décédée en 1927 de la tuberculose. Il est né à Vieux-Boucau, à 4 km de l'Ariou et il y a toujours vécu jusqu’à son engagement dans la gendarmerie. Il a une demi-sœur, Marguerite Manos, dite Margot, et Marcelle


4 qui sont ses aînées. Ce sont elles qui se sont occupées de lui après le décès des parents. Mes premiers souvenirs datent de la fin de la guerre 1944 et 1945. N’étant pas très vieux à cette époque, ce sont des flashs qui me restent. Flashs d’événements marquants en cette période troublée. Mon père a réussi à se faire nommer à Saint-Pée-Sur-Nivelle, dans les PyrénéesAtlantiques, Les Basses-Pyrénées comme on disait à l’époque. Les gendarmes effectuent leur tournée à vélo, toujours par 2. La gendarmerie est une très grande bâtisse sombre entourée d’un jardin, au milieu du village. Premier Flash : Je suis dans une étable avec mon père, il capture des mouches pour aller pêcher la truite. Je marche dans une bouse fraîche et vu ma grandeur, j’ai dû y entré jusqu’au genou. Je sens très mauvais quand il me reconduit à la gendarmerie sur la barre de son vélo. 2e Flash : Je suis dans la cuisine, au premier étage. Dans la nuit, les Allemands dont je sens que tout le monde a peur, ont enfermé dans la prison une dizaine de maquisards, qu’ils viennent de capturer. Bruit de bottes, bruit métallique, ordres criés dans une langue que je ne comprends pas. Mon père avec son couteau a fait sauter un nœud du plancher et communique, ainsi que son chef de brigade, avec les prisonniers. La


5 cellule de prison est juste en dessous de notre cuisine. Il a mis son oreille sur le plancher, son chef écrit. Moi, je suis tapis sous la table car il ne faut ni gêner ni faire du bruit. Ma mère fait ensuite passer un tuyau souple dans le trou et verse du liquide, de la gnole. Elle me dira bien plus tard qu’un des prisonniers est revenu à la fin de la guerre et leur a dit que presque tous ses camarades étaient morts. 3e Flash : Le climat a changé, est moins sombre et plus joyeux. Des maquisards sur la place devant la gendarmerie se font des passes avec un pain rond qu’ils doivent trouver trop dur. Il y en a un qui rit et me prend sur ses épaules. Les autres l’appellent Marseille. Je suis un peu outré de voir qu’on peut jouer et faire tomber du pain sur le sol. Dernier Flash : Je trouve ma mère très grosse, je suis parti me coucher dans le petit lit à côté du sien, à l’Ariou. Avant, j’ai mangé des pignons avec mon cousin Hubert, ils ont été cassés sur la plaque de la grande cheminée ou les pommes de pin parasol ont eu chaud et se sont ouvertes. Je me réveille, je ne suis plus dans ma chambre mais dans la chambre à côté, celle d’Hubert et d’Aline. J’entends du bruit, je me lève : « viens voir la surprise ! ». J’entre dans la Chambre de ma mère. On me dit que j’ai une petite sœur. Elle s’appelle Marie Thérèse. Mais pour tout le monde, ce sera Mitou. On est en 1945.


6 Il s’est passé beaucoup de choses à l’Ariou cette année-là. Outre la naissance de ma sœur, mon grand-père est mort, mon arrière-grand-mère est morte. Mes oncles, Fernand et Marcel, sont revenus de déportation. Je ne fais pas beaucoup de cas de ma sœur que je trouve très petite, mais je joue beaucoup avec ma cousine Aline, mon aînée de 2 ans. Nous adorons aller dans la Chambre de notre arrière-grand-mère, nous cacher sous l’édredon, nous planquer dans « la galère », entre le lit et le mur quand elle arrive. Elle n’est pas commode. Je me souviens aussi du four près du figuier qui sert à faire du pain et du pastis pour les jours de fête. Je ne rentre pas beaucoup dans la souillarde la cuisine ou je gène dans les pattes de tout le monde. Je préfère la grande pièce dans laquelle donnent les chambres. Là où se trouve la grande table des repas et chauffe la pâtée pour les cochons dans la grande cheminée occupée par les chats. Elle pend à la crémaillère, noircie par là suie. C’est le seul moyen de chauffage dans la maison et les portes des chambres sont ouvertes toute la journée. On y brûle de grosses bûches et pour Noël, la bûche de chêne énorme et qui ne disparaîtra entièrement qu’au bout de plusieurs jours.


7 Avant que ma sœur naisse, mon père quitte sa brigade de Saint Pée sur Nivelle. Ayant fait une demande de poste au Sénégal qui, à ce moment-là est une colonie française. Au grand dam de sa femme, à peine ma sœur née, le voilà parti outre-mer. Inquiète de ce qui peut se passer là-bas, inquiète pour son ménage, elle se décide à rejoindre son mari. En 1946, ma sœur, âgée de quelques mois et moi-même de 5 ans, ce n’est pas un petit voyage à envisager. Elle arrive à faire sa demande, à tout préparer et nous voilà partis. Tous les 3, ma sœur dans ses bras, moi la tenant par la main et plusieurs valises à faire suivre. — Le trajet, Messanges, Saint-Vincent-De-Tyrosse par le tape cul, le petit train y a longtemps disparu et dont il ne reste plus que la piste cyclable. — Saint-Vincent-de-Tyrosse, Dax, — Dax, Bordeaux, — Bordeaux, Marseille. — Embarquement à Marseille pour une arrivée à Dakar. À Marseille nous logeons pour la nuit dans un petit hôtel, mais nous ne dormons pas dévorés que nous sommes par les punaises de lit. C’est très douloureux. Embarquement sur le Pasteur, vieux paquebot, transport de troupes.


8 — Escale à Casablanca, la bien nommée. Ce qui me reste, c’est en effet la blancheur des immeubles. — Arrivée à Dakar et irruption de mon père qui me prend sur ses épaules, ma sœur pleure car elle ne le connaît pas. — Départ tout de suite pour Nyoro du rip par Kaolack. Mon père y est chef de brigade. C’est le seul blanc du village et tous ses adjoints sont noirs. Je les trouve très gentils. Il y a des chevaux, mais mon père ne les monte pas et fait ses tournées à pied. Il va jusqu’à la frontière gambienne et part pour plusieurs jours. Il nous laisse à la gadre de ses adjoints et d’un employé qui, consciencieusement survei, et dort même devant la porte d’entrée. La gendarmerie est très grande, c’est une maison coloniale. Une véranda en fait complètement le tour. J’accompagne mon père, sa passion pour la chasse s’est réveillée. Il tire sur le tourterelle et les pintades sauvages dans le jardin qui me semble immense. Mais il n’a pas beaucoup de réussite, car avec un fusil de guerre, ce n’est pas très facile. Le soir, on entend les hyènes qui hurlent près de la maison. Toute la famille vit en short avec le casque colonial que tous les Européens portent. Un matin débarque un capitaine et 2 camions pour une chasse aux phacochères. Tout le monde mange avec nous et l’après-midi, nous voilà parti. Ma mère est installée sur


9 une chaise longue sur la plateforme d’un camion. Le siège est retenu par 4 noirs et moi, je m’accroche à la ridelle. Nous sommes brinqueballés de tous côtés avant d’apercevoir une dizaine de ces sangliers africains. Mon père et le capitaine tirent et quelques animaux tombent. Content de revenir à la maison, trop de bousculade. Mon père doit aller à Kaolac et décide de m’emmener. Nous prenons un car régulier. Je suis étonné du nombre de voyageurs qui montent, descendent, chargent toutes sortes d’objets et d’animaux. Après que mon père soit passé au bureau de la gendarmerie, nous couchons tous 2 dans un petit hôtel. Après avoir mangé, nous assistons à ma première séance de cinéma ; de cinéma africain, en plein air. Des draps cachent de tous côtés l’écran à ceux qui n’ont pas payé. Ce dont je me souviens, ce n’est pas du film, c’est des énormes rires, africains eux aussi, qui ponctuent les péripéties vues à l’écran. J’ai retrouvé cette ambiance bien des années plus tard en regardant « Coup de torchon », le film de Bertrand Tavernier, qui a été tourné je pense à Saint-Louis du Sénégal. Mon père tape ses rapports à la machine et souvent je le regarde faire. Il les rédige trop bien, je pense, car le colonel


1 0 de gendarmerie qui commande à Dakar, décide de le nommer auprès de lui, il lui servira de secrétaire. Nous quittons Nyoro du Rip en camion avec tous nos bagages. Ma mère est installée à côté du chauffeur, mon père et moi dans la benne du camion, au milieu des valises et de quelques meubles. Le camion tombe en panne. Nous passons la nuit sur la piste. Le chauffeur couche sous le camion. Nous nous installons à Dakar dans un vaste logement audessus de l’entrée de la prison, près d’une grande plage de sable qu’on voit de la terrasse. J’y vais rarement avec mon père, mais il faut bien faire attention où on met les pieds, car les Sénégalais viennent y faire leurs besoins. J’ai eu 6 ans au mois de mai, aussi je fais mon entrée au CP. C’est un établissement privé tenu par des bonnes sœurs proches de la cathédrale. Je ne garderai pas un bon souvenir, me faisant rabrouer et inviter au silence dès que je lève le doigt pour répondre. J’ai quand même la surprise d’avoir le 2e prix à la fin de l’année, le premier étant réservé au fils du gouverneur. En y réfléchissant, quand ma mère a retrouvé 40 ans plus tard dans une malle, ce fameux 2e prix, « la vie du petit Jésus », j’ai compris qu’un sergent-chef de gendarmerie ou plutôt le fils d’un sergent chef de gendarmerie, ne pouvait


1 1 avoir l’importance que les sœurs n’hésitaient pas à donner aux fils des cadres importants de la colonie. À la maison ma mère était heureuse, elle avait un cuisinier et une « Fatou » qui venait faire le ménage. Je jouais souvent avec une fille de mon âge, dont le père habitait au Rez-De-chaussée. En nous balançant, je lui racontais en embellissant un peu mon attachement à l’Ariou et à mes cousins Hubert et Aline. Ma sœur Mitou était trop petite à mon goût, mais elle grandissait et j’arrivais à la faire rire en la gratant sous le cou. Quand nous allions nous promener, mon père la portait toujours sur les épaules, et moi je courais à côté. Les quelques excursions à la plage qui était lointaine me sont restées ainsi que le souvenir d’une fête au cours de laquelle on a pu voir une fantasia avec coup de fusils au galop qui m’a beaucoup impressionné. Cette période assez heureuse se termine assez vite. Elle m’a permis de boucler mon CP. Le colonel de mon père est muté à Paris en 1947 et dans la foulée, fait muter mon père car il lui convient bien comme secrétaire. Il ne lui a rien demandé et Marcel pique une belle colère. Il a alors décidé de démissionner, car à 33 ans, il a atteint, grâce à son service militaire au Maroc, à la drôle de guerre de 1939 et à son séjour au Sénégal, les 35 annuités requises, pour sa mise à la retraite proportionnelle, ceci


1 2 d’autant plus qu’il a la chance de profiter d’un dégagement des cadres qui lui donnent le grade d’adjudant. Nous préparons les caisses de déménagement et nous voilà de nouveau embarqués sur le Pasteur, ma sœur, ma mère et moi en cabine, mon père en fond de cale en tant que militaire. Arrivés à Marseille gare Saint-Charles, il faut aller prendre les billets, faire les démarches. Mon père et ma mère avec Mitou sur les bras m’ont confié la garde des valises. Je suis assis sur la plus grande. Il y a foule, je m’ennuie. Je me lève, je fais 5 pas, 10 pas, je me retourne, on me bouscule. Je ne sais plus bien où je suis. Je cours, je me perds encore plus. Je pleure, j’ai peur. Un passant compatissant me confie à un homme à casquette qui m’ emmene dans un bureau. On me questionne. On me perche sur un comptoir. Une dame annonce « le petit Roger Duvert attend ses parents dans le bureau numéro XX ». J’ai perdu aussi le numéro. Mon père arrive courroussé, me descend du comptoir et me donne une gifle. Il est très en colère. C’est la première gifle qu’il me donne. C’est pour cela que le souvenir reste cuisant pour moi. À Vieux-Boucau, nous nous installons dans une petite et vieille maison à côté du monument aux morts, en bordure de la route des lacs. Nous y resterons trois ans jusqu’à ce que je parte en 6e.


1 3 Une grande pièce avec cheminée servant de salle à manger et de tout le reste. Une chambre pour mes parents ou on arrive tout juste à caser le lit, mais où il faudra bien aussi caser le lit de ma 2e sœur Kiki qui arrive bien vite. Une minuscule cuisine avec un escalier qui monte au grenier. Sous l’escalier, on a réussi à caser un lit que j’occupe et où vient tous les matins me retrouver Pompon, notre chatte blanche et noire qui dort sous les couvertures et me tient chaud. Il faut aller chercher l’eau à 50 M à la pompe communale. Les toilettes sont dans la cabane dehors, mais pas dans la cabane au fond du jardin car il n’y a pas de jardin. Je n’ai jamais été plus heureux que dans cette maison. Mes années d’école primaire, mes parents, ma famille, mes copains, tout me plaît. Mais ça doit être aussi l’époque. On oublie la guerre, on arrête les tickets de rationnement. Le pain gris devient blanc, les gens sont contents. Je vais à l’école des petits, tout près à 30 mètres au-dessus de chez nous, à côté du cimetière. Madame Verges, la maîtresse est sévère, mais j’adore la récréation avec mes amis nouveaux. On joue au cavalier, les grands portent les plus petits, ceux qui tombent sont éliminés. Je suis petit. Et c’est un grand dadais qui a déjà redoublé plusieurs fois, qui me sert de cheval. Nous gagnons souvent. Ce n’est pas étonnant. Mon cheval est deux fois plus grand que les autres.


1 4 Grosse émotion et punition qui tombe. Yoye, un de mes copains a été se plaindre à Madame Verges qu’on lui a mis sa bistouquette dans un encrier et qu’elle est ressortie toute violette. Il est puni lui aussi car la maîtresse le soupçonne d’avoir pris plaisir à cette bêtise et de ne pas s’être beaucoup débattu. Je reste un an dans cette classe où je fais mon CE1 et aussi mon C 2 en même temps. Madame Verges a décidé que je pouvais suivre le CM1 avec un an d’avance. Me voilà donc chez les grands et sous les ordres de Monsieur Vergès, le mari. Je change d’école et me retrouve sur le site de l’école actuelle, qui comporte à l’époque une seule classe avec une immense cour de récréation et un beau fronton. Je garde un très bon souvenir de cet instituteur qui s’inspire de la méthode Freinet. Nous faisons du modelage avec de la terre glaise sur un vieux billard. Nous travaillons souvent en groupe et le samedi, il nous passe des films de Charlot, de Laurel et Hardy ou des documentaires sur la France. Il organise tous les ans une fête scolaire avec bal et spectacle qui dure 2 jours. Ils n’hésite pas pour le spectacle et les gens viennent nombreux voir les vedettes de l’époque ; Jacqueline François, Armand Mestral, les 4 barbus ou même un petit jeune débutant qui n’est autre que Gilbert Bécaud. Les bénéfices de cette fête lui permettent d’organiser un voyage scolaire à Hendaye ou à Arcachon pour ce qui me concerne. À la récré nous jouons aux barres ou à la pala sur le fronton.


1 5 Un jour, en colère, je lance ma pala sur Yoye qui est un peu cabossé. L’histoire s’ébruite et ce sera ma 2e gifle. À 14h, nous arrivons en avance bien avant le maître qui attend le dernier moment. Les plus grands et les plus grandes ont 14 ans et passent le certificat d’études. C’est là que j’ai commencé à trouver les filles intéressantes. Les grands adorent en tenir certaines, toujours les mêmes, et leur enlever leur culotte. Elle ne se plaignent que pour la forme et redeviennent des filles très sérieuses dès que Monsieur Verges est en vue. C’est bizarre, ces filles quand même! Nous avons un vieux curé, le curé Couralet, qui nous semble hors d’âge. Il a déjà fait le catéchisme à mon père, c’est pour dire… Il est venu voir ma mère et m’a recruté comme enfant de cœur. Enfant de cœur, il y a du bon et du mauvais. On est vêtu d’une soutane rouge fermée par une vingtaine de boutons, par-dessus un surplis blanc qui nous fait ressembler à des anges. Anges que nous ne sommes pas, quand nous profitons de l’encensoir pour faire des concours. Pendant l’élévation, le prêtre ne nous voit pas, les fidèles ne doivent pas nous voir car ils ont la tête baissée. Nous faisons faire des tours complets à l’encensoir. Le record appartiendra à Yoye qui fera 3 tours complets. Pour le bon, il faut compter sur les enterrements et sur les mariages. Les parents des défunts ou des mariés nous donnent une pièce ou un billet. La générosité est plutôt du


1 6 côté mariés. Les jours de mariage après la cérémonie, nous nous précipitons dans la sacristie pour nous déshabiller et nous filons pour assister à la sortie des époux. Car les invités nous lancent des pièces de monnaie que nous nous empressons de saisir. Toute l’école est là, la concurrence est rude. Pour le mauvais, ce dont je me souviens, c’est l’ennui, quand les cérémonies durent très longtemps. Le pire, ce sont les vêpres le dimanche après-midi, interminables. À propos des vêpres, je m’aperçois aussi que mon copain Michel Thévenin, le fils du maire de Vieux-Boucau, enfant de chœur lui aussi, n’est jamais convoqué. Il n’a le droit qu’à la messe de 11h, alors que nous les sans grades, nous sommes convoqués à 6h, 7h ou 8h le matin alors qu’il fait si bon au lit le dimanche. Après les sœurs de Dakar, le curé de Vieux-Boucau, ma foi bien bralante déjà, n’y résistera pas.


1 7 J’ai toujours été sensible à l’injustice. Le jour de la communion, les premiers jours du pantalon long, nous nous interrogeons avec Michel. — Tu crois, toi ? — Non — Moi non plus. Ce sera fini de la foi qui n’a jamais été bien vive, sans regret mais aussi sans courroux. Une fin définitive. Ce curé Couralet qui faisait le catéchisme à mon père devant sa chasse à l’alouette dans le junka, car il ne voulait pas louper « le passage », n’a pas beaucoup d’autorité. Dans l’Église au cours d’une séance de catéchisme, il me pose une question. Qu’est-ce que l’enfer ? Je ne peux m’empêcher de répondre ce que tous, à Vieux-Boucau, nous répétons en riant, depuis sans doute des générations. « L’enfer, c’est un chemin de fer qui transporte des pommes de terre en Angleterre ». Bien que ça rime, je me retrouve mis à la porte, je regagne ma maison trop tôt. Mon père est surpris. « Comment se fait-il que tu sois déjà là ? Les autres, ils ont dit les pommes…, les pommes de terre…, c’est pas moi ». Mon père ne tombe pas dans le panneau et la 3e gifle elle, elle tombe. Ce sera la dernière, non pas pour l’Angleterre, mais parce que j’ai menti.


1 8 Elles ont toutes 3 été méritées, je le concède. Nous allons rarement à la plage, nous amuser, sauf parfois quand des barils de sel vides abandonnés par des chalutiers encombrent le sable. Nous nous amusons à descendre la dune dans un baril jusqu’à ce que fatigué, il explose. La tête nous tourne, on se retrouve cabossés, mais ça nous plaît beaucoup. La fin de la guerre n’est pas loin, aussi n’est-il pas rare de trouver des obus ou des mines au milieu des blockhaus. Mon copain Pétian, arrive un jour dans la maison du maire pendant que toute la famille déjeune. Il pose sur la table une mine en disant « bonjour tout le monde, j’ai trouvé ça dans les dunes ». Émotion, appel aux gendarmes, évacuation de la maison, désamorçage de la mine. Heureusement, tout se termine bien. Un jour sur la plage, nous trouvons un noyé dans un état bien avancé de décomposition avec, près de lui, une petite caisse contenant un pistolet et des fusées. Nous prévenons pour le cadavre, mais nous nous gardons la caisse. Nous tirerons toutes les fusées quand la plage est déserte. Émerveillés par le parachute qui descend précédé d’une lumière bleutée qui lui sert de parachutiste. Trois belles années pendant lesquelles est née ma sœur Marie-Christine, dites Kiki, la nuit de Noël en 1947. J’étais à


1 9 la messe de minuit avec marraine Marcelle. C’est comme pour Mitou, je l’ai découverte le lendemain de son arrivée. Moi, j’ai trouvé dans mon sabot de Noël un livre qui me marquera. C’est l’histoire d’un petit parachutiste. Je suis toujours affamé de lecture, je lis le journal sud-ouest qui est tous les jours sur la table. Je regarde souvent le dictionnaire. Je me jette donc sur ce petit parachutiste qui a des aventures extraordinaires dans tous les pays du monde. Afrique, Asie, Océanie, Amérique. Il découvre des peuplades sauvages. J’ai relu ce livre des années plus tard, je l’ai trouvé profondément raciste, c’est à dire adapté aux pensées de l’époque. Je pense que quand même, il m’a ouvert l’esprit à la géographie et à la connaissance du monde. Le dimanche, ma mère me donne une pièce et un grand dilemme se pose. Vais-je m’acheter un illustré ? (on ne parle pas encore de BD) où aller au cinéma. Mon problème sera vite résolu. La mère de Yoye, Angèle, est à la caisse du cinéma. Sa sœur, Mémène, est ouvreuse. Je rentrerai donc tous les dimanches gratuitement dans la salle et je pourrai m’acheter un illustré. Je ne comprends souvent pas grand-chose au film, mais un jour, révélation, je suis fier, j’ai tout compris. Les séances sont souvent un joyeux « bordel ». Les jeunes viennent pour flirter et rigoler dans le noir, les adultes râlent, les coupures sont nombreuses. Parfois, à l’entracte, se produit


2 0 un artiste qui fera la quête. Ça fume dans la salle et on est quelquefois obligé d’aérer car on ne voit plus grand chose. Le plus heureux est le boulanger Darrigade qui vient là tous les soirs. Quand a lieu une séance, il vient dormir et ronfler avant de se mettre au pétrin. Mes grands copains sont Yoye Castets qui a un an de plus que moi, Michel Thévenin, le fils du maire, qui est aussi un peu un concurrent car il a mon âge et travaille bien à l’école. J’aime aussi Pétian Lesbats et Claude Cousseau dit Tétin comme tous les hommes de sa famille, les 2 derniers ont 2 ou 3 ans de plus que moi et feront du cyclisme. Tétin gagnera le championnat de France des débutants et reviendra en maillot bleu-Blanc-Rouge. Ce sera pour un temps la fierté de Vieux-Boucau et l’étonnement des journalistes qui n’en croiront pas leurs yeux en découvrant son vélo. Un vélo ordinaire avec un guidon de course auquel il a enlevé les garde-boue. Il sera recruté par un club de Paris. Il gagnera de nombreuses courses mais aura une carrière courte car il a préfèrer faire la fête. Ne lui jetons pas la pierre, le cyclisme est un sacerdoce. En attendant ses exploits, nous jouons le jeudi dans tout le village. Souvent, nous oublions de refermer les portails et quand les poules se sauvent, nous en entendons parler… Nous faisons aussi des courses de vélo. Départ du pont, montée à la plage après les haies de tamaris, retour au pont. Tout cela chronométré avec la montre de Michel. Lui,


2 1 il en a une montre… Certains trichent et ne montent pas la dune. Je ne dirai pas qui… Mon père m’a emmené un peu partout, à la pêche, à la chasse, au match de rugby à Soustons, dans le car voir passer le Tour de France au Tourmalet. Je suis très content, mais je n’aime pas les 2 ou 3 fois le dimanche quand ma mère m’envoie le chercher au bistrot chez Fafa, où il a vraiment, mais vraiment oublié l’heure du repas en buvant et discutant avec ses amis. À Vieux-Boucau, je vais souvent voir mes 2 tantes Ago et Marcelle. La première travaille depuis très longtemps chez le maire, le père de mon copain Michel Thévenin. Elle cuisine, fait le ménage et élève aussi les enfants. Marcelle est ouvrière à l’usine de bouchons du même Thèvenin. Elle me chouchoute beaucoup mais m’agace aussi quand elle me dit « Dis-moi que tu m’aimes, mon chéri ». Je trouve cette manifestation un peu exagérée et gênante.


2 2 Il n’y a pas de crémier à Vieux-Boucau et pour le lait, il faut aller où il y a des vaches avec un pot en fer blanc. Depuis que je suis au CM1, je prends mon vélo le jeudi et je vais le chercher chez ma tante Simone à l Ariou. Ma mère, le fait bouillir dès que j’arrive, et quel délice le matin quand on pose la crème froide et épaisse sur le café au lait bien chaud. Un soir, Monsieur Vergès, mon instituteur, vient à la maison et persuade mes parents qu’il faut que je prépare le concours d’entrée en 6e avec un an d’avance. Un moment, il est envisagé que, enfant de gendarme, j’aille aux enfants de troupes à Tulle. Ma mère n’a pas envie de m’envoyer aussi loin. Monsieur Vergès aide donc mes parents à faire les papiers nécessaires pour obtenir une bourse et demander mon admission à Dax dans ce que tout le monde appelle la Sup et qui est un lycée moderne et technique où on peut aussi bien faire du latin que préparer un bac technique. La proportion d’enfants de primaire allant en 6e est très faible, surtout en campagne. À Vieux-Boucau, 2 solutions ; internat à Dax ou 6e au Cc (cours complémentaire) à Soustons. Il n’y a pas de ramassage scolaire, si bien que la solution Souston est impossible, d’autant plus que dans la famille Duvert, nous n’avons pas de voiture. Monsieur Vergès nous emmène un


2 3 matin du mois de juin passer le concours, Michel Thévenin et moi. Nous avons tous les deux 1 an d’avance et nous sommes reçus. Notre instituteur, est très fier et nous félicite. Je ne suis pas trop inquiet de cette nouvelle vie qui m’attend. Le mois d’octobre me semble très loin, me voilà donc prêt, si l’on peut dire, pour être interne à Dax et quitter Vieux-Boucau. Ceci sera une autre histoire… Je vais profiter de cette coupure pour vous parler de ma famille. Du côté maternel, d’abord à l Ariou, à 3 km de Vieux-Boucau, mon oncle « Perret » (Fernand) travaille dur, il résine les pins, il ramasse la gemme où résine. Il s’occupe de ses quelques hectares qu’il laboure avec ses mules et de la vigne. Mais comme il boit toujours du vin coupé d’eau, il n’est pas très doué pour vinifier et mon père dit qu’il fait de la piquette. Il n’est pas bien gros et a souvent un visage fatigué. Il est levé à l’aube, va soigner ses vaches, ses mules et son cochon puis vaquer à ses multiples occupations. Il boit le café en se levant et revient vers 8h prendre un casse-croûte consistant : omelette, jambon, saucisse où boudin. Le soir,


2 4 il va se coucher très tôt et on le comprend. Il va mourir assez jeune d’un cancer de l’intestin. Ma tante Simone, son épouse, tient la maison, s’occupe des volailles, va aider pour le ramassage de la gemme, des travaux des champs et de la vigne. Elle va aussi traire les vaches avec son mari. Elle fait la cuisine, très bien d’ailleurs, surtout les jours de fête quand il y a du monde. Fête paroissiale de Messanges, Fête du cochon ou plutôt de ceux qui vont le manger, communion. Sa passion qui durera toute sa vie est son jardin. Dans les Landes, ce sont les femmes qui le font. Sans doute parce qu’il est facile de bêcher, c’est du sable. Les légumes sont très beaux grâce aux fumiers abondants de la métairie. Elle va aussi laver le linge au lavoir du quartier (hameau). Ici, c’est le quartier Caliot, comme je vous l’ai déjà dit au début de mon récit. Un matin en allant la voir laver, je vais dire bonjour à un veau qui est tout près. Mal m’en a pris car quand je passe, il rue et me voilà par terre. Il m’a fait mal. Depuis, je me méfie beaucoup de tout ce qui est bovin, j’en ai peur. Simone décèdera à 99 ans et continuera presque jusqu’à la fin à s’occuper de son jardin, au grand dam de sa fille Aline, qui a toujours peur qu’elle tombe. Elle quittera même son chapeau de paille traditionnel pour que les voisins ne s' aperçoivent de rien quand elle est au travail.


2 5 J’ai bien aimé ma tante Simone. Elle était bourrue mais avait un bon cœur. Mes enfants, Marc et Frank sont rarement passés chez elle sans avoir un billet en revenant. Aline, sa fille, a continué avec mes petites filles, Sarah et Julie. Pendant la guerre et les 5 ans de captivité de Perret, Simone a tenu la métairie toute seule, aidée par son jeune beau-frère, Louis. Elle a accueilli ma mère pour l’accouchement de Mitou mais aussi du mien. Quand marié, j’ai une de mes voitures, une Panhard, qui m’a lâché, elle m’a prêté de l’argent pour que j’en rachète aussitôt une autre. Fernand et Simone ont déménagé au bout de quelques années quand j’avais à peu près 13 ans et se sont installés dans une autre métairie à la Prade entre Messanges et Moliets. C’est là qu’Aline, ma cousine et son mari ont fait construire une maison et que Simone et Fernand sont décédés, ainsi que mon autre oncle, le curé Marcel. Mon cousin Hubert a été un peu mon modèle quand j’étais petit. Très adroit, très bricoleur et très débroullard, très passionné de chasse puis de pêche. Je l’admirais. Il savait tout faire. Des lance-pierres et même ce qui m’a beaucoup impressionné, une arbalète lance-pierre avec laquelle il attrapait des petits oiseaux. Il m’emmenait


2 6 garder les vaches à 2 km près de l’étang de Moisan. Il a toujours été très adroit pour tirer à la chasse à l’alouette à la bécasse, à la palombe et aussi pêcher à l’anguille ou au lancer et à attraper de nombreux bars. Il a aussi beaucoup pêché la civelle en hiver. Après avoir passé son certificat d’étude et aidé son père, il est parti faire son service militaire en Algérie. Il a passé presque tout son temps sur un piton d’où il est revenu presque muet et un peu perturbé par ce qu’il avait vu et vécu. Engagé ensuite par une entreprise de Messange s’occupant des forêts du domaine d’État et de la dune côtière et de plantation variées pour des particuliers, il est vite devenu contremaître et expert en marquage d’arbres à abattre. Les propriétaires faisaient encore appel à lui après qu’il ait pris sa retraite. À 30 ans, il s’est marié à Alberte, une fille de Léon, village, où ils ont fait construire une maison et ont eu une fille qui ne leur a pas donné de descendance. Ma cousine Aline n’a que 2 ans de plus que moi. Elle adorait mon père qui le lui rendait bien. J’ai beaucoup joué avec elle quand nous étions enfants. Elle a eu beaucoup de succès dans les bals des fêtes communales. Elle dansait beaucoup et ne manquait pas de cavalier. Elle a vite trouvé chaussure à son pied. La chaussure était Pierrot Broqué dont je vais vous parler bientôt.


2 7 Aline est restée toute sa vie avec ses parents. Elle a beaucoup aidé son père et sa mère pour le travail de la métairie. Elle a un peu travaillé l’été dans une boulangerie à Moliets dès qu’elle a passé son permis de conduire. Très religieuse, elle aura été une paroissienne fidèle de l’Église de Messanges. Pierrot Broqué son mari est un homme très gentil. Originaire de Tosse, il a joué au rugby dans sa jeunesse et a abandonné quand il a connu Aline. Son frère a été un très bon 2e ligne de l’US Tyrosse et à même joué en équipe de France B. Pierrot s’est très bien entendu avec mon père. Ils ont passé des heures et des heures à chasser à la palombière. À chasser et surtout à construire. C’est aussi un amateur de pétanque et de chasse aux lièvres. Je m’entends très bien avec lui et on se téléphone de temps en temps. Nous nous sommes mariés la même année, il y a très longtemps, en 1962. Mon oncle Marcel Courtiau, le curé était l’aîné des Courtiau. Comme il travaillait bien à l’école communale, le curé de messange est venu le recruter à l’Ariou. Ma grand-mère, sa mère en l’occurrence, étant assez religieuse, a donné son accord et il a


2 8 rejoint le séminaire à Dax. Fait prisonnier en 1940, il a passé 5 années dans les camps nazis. En revenant, il a hésité d’après ma mère et a failli se défroquer, puis a rejoint la paroisse d’Aru, près de Montde-Marsan et il a recruté ma grand-mère Maria comme bonne du curé. C’était un prêtre assez spécial, qui n’a jamais essayé de convertir personne d’entre nous. Il savait que la religion n’était pas la tasse de thé de mon père, aussi, on parlait de tout sauf du bon Dieu. À la fin du repas, il lui arrivait de lire son bréviaire tout en participant activement à la conversation. Et il lui arrivait de temps en temps de le lire à l’envers… Il nous amusait aussi quand il mettait son immense béret en arrière et bien enfoncé sur la tête, qu’il attachait sa soutane avec une épingle de nourrice entre les jambes et démarrait sa grosse moto pour rentrer dans son diocèse d’origine, à une centaine de kilomètres. Devenu vieux, sa hantise était d’être obligé de rejoindre ses coreligionnaires dans leur maison de retraite. Il n’en a pas eu le loisir. Décédé d’un cancer à la Prade. Mon oncle Louis plus jeune que ses frères, a vécu la guerre chez Simone à l’Ariou. Il a été bien utile pour s’occuper de la métairie. Dès la fin des hostilités, il s’est engagé dans l’armée pour 2 ans et a rejoint l’Indochine, le Vietnam aujourd’hui ou commencait la


2 9 guerre contre les indépendantistes communistes. Il avait les yeux qui brillaient quand il parlait des indochinoises. J’ai compris pourquoi quand j’ai fait un séjour en vacances dans ce pays. Quand il est revenu, il avait perdu ses cheveux et a rejoint ainsi, mais très jeune, les chauves de la famille. Il a séjourné quelques temps à l’Ariou en revenant mais était un peu en surnombre car Fernand était revenu et Hubert avait grandi. À cette époque, l’hiver, les hôtels de Vieux-Boucau gardaient une bonne pour les mois creux et licenciait les autres. C’est comme cela que Louis a connu sa femme, Odette à la Côte d’Argent. Elle deviendra sa femme. Il fera des travaux dans les bois, habitera au bout du chemin de Cametron avant de trouver du travail chez le baron Etchegoyen. Il s’occupera du parc et de la vigne, Odette entretiendra le château de Bayle qui devra être en état quand le baron arrivait, une fois par an pour régler ses affaires landaises, quelques milliers de hectares de pins qu’il possède. Le baron Etchegoyen arrive par le train avec sa femme pour quelques semaines. Il est précédé par la limousine, avec son chauffeur, son cuisinier et la femme de chambre de sa femme. Le château peut reprendre vie. Il est est maire d’une commune en Normandie. Sa femme est anglaise, de la famille Hennessy (Les cognacs). Il adore le vin de sable et trouve que Louis le vinifie très bien. Il rapporte avec lui de nombreuses bouteilles pour régaler sa


3 0 famille de Normandie ainsi que les parents anglais de sa femme. Louis a abusé un peu du vin de sable et à une fin très difficile chez sa fille, Liliane, en Chalosse. Il est décédé d’un cancer de la gorge. Liliane s’est mariée à un maçon et s’appelle Graciet. Son mari a longtemps fait de la pelote basque à mains nues et leur fille aînée, Séverine, a été championne du monde de paleta gomme à Mexico en 2014. Le 3e enfant par ordre d’âge, est ma mère Marie-Catherine appelée Anita par tout le monde. Elle a comme ses frères passé le certificat d’études avec succès. Seul Marcel, le curé, a eu le bac au séminaire. Après 14 ans, Anita a travaillé à la métairie. Mais dès qu’elle en a eu la possibilité, elle a quitté la ferme pour la fabrique de bouchons Thévenin à Vieux-Boucau. C’est là qu’elle a rencontré mon père et l’a poursuivi de ses assiduités, dixit Marcel, jusqu’au mariage en 1939. Il était déjà devenu gendarme. Elle l’a rejoint près de Nice, puis Argenteuil, Saint-Pée-Sur-Nivelle et enfin Dakar, avant le retour express à Vieux-Boucau. Elle était contente car elle avait envie de voir du pays et elle avait son Marcel, enfin.


3 1 Je peux dire que j’ai adoré ma mère et qu’elle me l’a bien rendu. Au point que mes sœurs m’ont dit à sa mort, pas très gentiment, que j’avais été son chouchou. C’était un peu vrai. Car quand j’ai fait quelques zigzags en dehors des clous, elle m’a toujours trouvé des excuses. Elle a tout fait pour que je n’ai jamais de difficulté nulle part, ou du moins le moins possible. Elle a, ainsi que mon père, traversé une période difficile. Quand nous ne trouvions pas à louer à Vieux-Boucau de maison assez grande, ils se sont décidés à faire construire la villa Romiqui. Pour payer le terrain moins cher, ils en ont acheté un, tout juste constructible. Il y avait de l’eau saumâtre qui remontait à l’arrière quand le courant se bouchait ou que les marées étaient trop fortes. Ils n’ont pas pu faire un emprunt aussi important que celui qu’ils auraient voulu. Heureusement, l’entrepreneur constructeur, Monsieur Bouneau, Maire et conseiller général d’Aire sur Adour leur a fait un prêt pour qu’ils puissent réaliser leur rêve. Quelques années pénibles ont suivi, mon départ pour Dax n’arrangeant pas les choses. L’inflation galopante des années suivantes les a bien arrangés. Pour rembourser plus facilement, ma mère a fait des ménages chez une ancienne professeure d’Anglais à côté de l’ Ariou. Et aussi chez Jean Anouilh, très célèbre auteur de théâtre qui était venu passer 6 mois à Vieux-Boucau


3 2 pour être tranquille et écrire une nouvelle pièce. Elle a aussi lavé et repassé du linge l’été pour des estivants et travaillé dans des commerces, journaux et librairies chez Campion puis épicerie à la Coop chez son beau-frère, Pip dont je parlerai plus tard. Elle s’est toujours bien occupée de mon père et l’a un peu chouchouté lui aussi en vieillissant. Elle a adoré mes enfants Marc et Franck, et mes petites filles. Elle a fait de même pour mes sœurs et mes neveux. Elle a gentiment, ainsi que mon père, accueilli mes copains qui sont venus assez nombreux, de passage à Vieux-Boucau l’été. Malheureusement, elle a eu une fin de vie difficile après la mort de mon père. Elle a fini ses jours dans un EHPAD à Dax, subissant plusieurs AVC successifs et perdant petit à petit la tête. Elle a terminé sa vie à 92 ans. Et j’ai eu bien de la peine.


3 3 Parlons maintenant de ma famille paternelle, originaire de Bénesse-Maremne du côté paternel et de Vieux-Boucau, la famille Contis. Du côté de ma grand-mère Contis, je n’ai connu ni l’un ni l’autre de mes grands-parents. Ils sont morts très tôt. Mon grand-père trépané pendant la guerre 14-18, est mort d’un cancer en 1924. Il était très grand et très fort d’après ce que m’a dit un de ses amis qui avait le souvenir d’un policier militaire laissé KO sur le quai de la gare de Dax. KO parce qu’il pressait mon aïeul de cesser d’embrasser ma grand-mère, et de monter dans le train qui l’emmenait au front après une permission. Les DUVERT sont nombreux, encore maintenant à Benesse Marenne et les environs. Ma grand-mère a été mariée une première fois avec un Monsieur Manos avec lequel elle a donné naissance à une de mes tantes, Margot. Elle a connu mon grand-père muletier, qui passait de temps en temps à Vieux-Boucau pour son travail. En plus de ma tante Margot, elle a donné naissance à ma tante Marcelle et à mon père Jean, que tout le monde appelait Marcel. Je n’ai jamais eu de renseignements sur ce Manos et je ne sais pas comment il a quitté la famille, décès où divorce ? Ma grand-mère était toute petite. Elle est décédée en 1927, victime de la tuberculose. Mon père, né en 1913,


3 4 s’est donc trouvé très vite orphelin et ce sont ses sœurs aînées qui se sont occupées de lui. Il ne m’a jamais parlé de son père et de sa mère. Il gardait une rancune tenace envers ses oncles de Labenne et de son grand-père qui ne se sont jamais souciés de lui ni de ses sœurs. La seule qui trouvait grâce à ses yeux était une tante habitant à Labenne et qu’on voyait souvent. Il passe le certificat d’études et rentre aussitôt dans l’usine de bouchons où travaille sa sœur, Marcelle. Margot, elle fait la cuisine et s’occupe des enfants dans la maison des patrons Thévenin. Mon père fait quelques courses de vélo, sort souvent avec ses cousins Contis et passe 18 mois au service militaire à Marrakech, avant de s’engager dans la gendarmerie. Il fait la connaissance d’Anita à l’usine de bouchons. Il est passionné de pêche et de chasse comme la plupart des hommes de Vieux-Boucau. Il est vrai que le gibier, tourterelles, palombes, alouettes et autres petits oiseaux, canards, bécasses, bécassines, vanneaux est abondant dans le marais entourant Vieux-Boucau ainsi que dans la forêt de pins. Les poissons sont nombreux eux aussi, autant dans la mer que dans le courant de Soustons ou dans le ruisseau de Messanges, mulets, maigres, louvines bars, sôles, turbos, plies, anguilles, pibales. Les façons de pêcher. (Surfcasting, lafoêne, filet, vermée) et de chasser (fusils, pantes) sont très nombreuses et beaucoup de boucalais arrivent


3 5 presque à doubler leur salaire de bouchonnier qui n’est pas très élevé, grâce à toutes ces activités. À 27 ans, le voilà marié et gendarme et retraité à 34 ans en revenant de Dakar. À Vieux-Boucau, il reprend son travail à l’usine ainsi que ses passions. Il essaie de gagner un peu d’argent supplémentaire en faisant des extras, en particulier en travaillant dans la forêt, pour abattre des poteaux de mines de jeunes pins pelés qui serviront dans les mines de charbon pour étayer les galeries. Il a renoué bien sûr avec la chasse à l’alouette, la pêche à la ligne en bord de mer, la pêche à la pinasse car il est sociétaire d’une des 3 embarcations de Vieux-Boucau, la pêche à la pibale. À la maison, au menu, c’est très très souvent poisson ou gibier. Je peux d’ailleurs encore me souvenir du goût des chardonnerets ou des écureuils, des piballes ou des vanneaux. Malgré tout, la famille ne roule pas sur l’or. Miracle, un jour, ma mère voit sur le journal qu’on cherche un garde-chasse départemental. Il se présente, on lui fait faire une dictée, il passe le permis moto. Il va faire un stage d’un mois à Cadarache, en Provence et le voilà gardechasse. Un travail sûr qui lui conviendra très bien. Il deviendra garde chef puis garde principal du département, chargé des autres gardes, mais aussi de


3 6 l’élevage du gibier, faisans, perdrix, Colins de Virginie et de la surveillance du gros gibier. Pendant la guerre de 1940, les biches ont quasiment disparu dans les Landes. On lui demandera de participer peu avant 1955 à la reprise, à Chambord, de quelques cerfs et quelques biches, de s’occuper du transport et du « lâcher » dans le département. Le premier de ces lâchers aura lieu à Pichelèbe à côté de Moliets et j’y assisterai. Ce sera un succès et avant sa retraite, mon père effectuera de nombreuses reprises pour aider d’autres départements. Retraité à 65 ans, bien décidé à profiter de la pêche de la chasse à la bécasse, de la chasse à la palombe avec son neveu Pierrot. Quand j’étais jeune, il y a longtemps…, il m’emmenait partout, sur le siège arrière de sa moto. J’ai visité ainsi de nombreux villages des Landes quand il allait voir les présidents d’associations communales. J’allais aussi avec lui, bien sûr, à la pêche ou à la chasse et on s’entendait bien. Il a beaucoup aimé mes fils, Marc et Franck. Ce dernier lui a fait faire toutes sortes d’engins bizarres, propulsions de bateau, remorque pour planche à voile, etc. car il bricolait pas mal et ne savait pas refuser quand on lui demandait quelque chose.


3 7 Il a eu des ennuis de santé, triple pontage, opération de la colonne vertébrale.., mais il s’est toujours bien remis de ces opérations. Il est décédé d’un anévrisme à 88 ans en se douchant après avoir été faire son tour de lac à vélo et bu son whisky. J’ai bien aimé mon père et comme j’ai dit la même chose de ma mère, je peux assurer que j’ai eu une enfance heureuse et que j’ai profité d’eux et de leur amour longtemps.


3 8 Comme je ne suis pas fils unique, il faut que je vous parle aussi de mes sœurs. Marie Thérèse dite Mitou est née en 1945. Après son premier bac à Dax, elle a été reçue au concours des postes et a été vivre à Carrières-Sous-Poissy où elle a réussi une carrière très honorable. Elle s’est mariée avec un soustonnais Michel Barrère, qui lui aussi est arrivé dans la région parisienne. Pour leur retraite, ils ont fait construire une maison à Soustons, où ils reçoivent souvent leur fils Franck, sa femme et ses enfants. Marie-Christine, dite Kiki est née le soir de Noël 1947. Elle est devenue infirmière des hôpitaux de Paris, puis infirmière scolaire, et présidente du syndicat national. Elle a épousé Dominique Tremblay, docteur en pharmacie, passionné de recherche médicale qui a fini sa carrière sur un poste très important chez Roussel UCLAF, après avoir été pour beaucoup dans la mise au point de la pilule du lendemain. Ils ont eu 2 enfants, Julien, cadre SNCF qui vit à Lille et est marié à une infirmière chti. Ils ont un garçon et une fille. Simon vit à Lyon et a un fils.


3 9 Kiki, sa mère, a déménagé et habite non loin de lui après le décès par cancer de son pharmacien de mari. Avec mes sœurs et mes neveux, nous avons été très proches quand mes parents étaient vivants, mais les liens se sont distendus à leur décès. Histoire de famille. La faute à qui ? Peut-être était-ce inéluctable, mais c’est dommage. Parlons maintenant des sœurs de mon père. Marguerite, dite Margot, était toute petite. Elle est restée célibataire, mais je lui connais au moins une aventure avec un Portugais très gentil. Elle a commencé sa vie comme femme à tout faire dans le foyer des Thèvenin, les propriétaires de l’usine de bouchons. Elle y a fait la cuisine et s’est occupée des enfants qui se rappelaient d’elle et lui étaient reconnaissants. C’est grâce à elle que mon père et sa sœur Marcelle ont eu un toit après le décès de leurs parents. De temps en temps, elle nous réunissait, ses neveux et nièces pour un repas de fête ou un pique-nique. À la retraite, elle passait l’été à l’hôtel de la plage, à Moliets, où elle officiait en cuisine. Elle me disait qu’elle était contenté de servir à quelque chose. Elle se promenait beaucoup au bord de la mer et sur les chemins et en revenant, elle passait souvent à Romiqui pour donner à ma mère un bouquet d’œillets des dunes et tuer aussi les tiques qui embarrassaient les chiens de la maison. À la fin


4 0 de sa vie, elle perdait un peu la tête et ne reconnaissait plus son chemin. Marcelle, mon autre tante, n’a eu qu’une fille et je pense qu’elle aurait aimé avoir un fils. J’ai servi de substitut dans mon enfance. Elle adorait me voir et m’agaçait un peu quand elle ne cessait de m’embrasser. Je lui disais : « tu m’embêtes avec tes je t’aime ». Elle adorait aussi mon père. Le souvenir de leur enfance, je pense. Elle a travaillé elle aussi dans l’usine de bouchons. Cela, j’ai déjà dû vous le dire, mais vous m’excuserez les redites, c’est l’effet de l’âge. Marcelle s’est marié avec Gaston Lesca que tout le monde appelait Pip car, étant très jeune, il adorait boire du peppermint : un apéritif alcoolisé à la menthe. Né dans une ferme à l’entrée de Vieux-Boucau, il a fait son service militaire dans la marine, à Toulon. N’étant pas héritier de la ferme de ses parents dévolue à son frère aîné, il s’est fait embaucher, déjà marié, dans les scieries itinérantes qui coupaient les pins dans la forêt des Landes. Ces scieries s’installaient pour des mois à un endroit et repartaient quand tout était coupé. C’était un monde d’hommes et même d’hommes des bois un peu sauvages. Ils étaient tous spécialisés ; Les coupeurs ou « coupayres » qui faisait tomber les pins à la scie passepartout, les peleurs ou « pelayres », qui otaient les écorces


4 1 avec un outil spécial, les machinayres ou scieurs qui taillaient les troncs pour en faire des planches à l’aide d’une scie automatique mue par une machine à vapeur. Des muletiers étaient là aussi pour le transport des troncs, puis des planches. Tout ce monde dormait sur place, dans des cabanes. Le dimanche, les hommes traînaient dans les villages les plus proches, souvent dans les bistrots. Ils revenaient très peu chez eux. Cela a été la vie de Pip pendant quelques années, au grand dam de Marcelle, qui restait toute seule loin de son mari. Pip avait de la ressource et il l’a prouvé. Il est revenu vivre totalement à Vieux-Boucau et s’est mué en épicier. Il a tenu longtemps la Coop et a gagné pas mal d’argent. Il n’y avait pas de supermarché et l’été, les estivants se pressaient chez lui. Il avait aussi d’autres cordes à son arc. Tueur de cochons pour les particuliers, mais aussi garçon de café à la Côte d’Argent. On l’appelait les jours de fête, de communion, de mariage. Il enfilait son costume de garçon de café. Pantalon rayé, chemise blanche et gilet à petites poches et bien sûr, nœud papillon. Bebel, son patron, était content de lui. À la Coop travaillait sa fille Paulette, ma cousine. Marcelle était dans la cuisine et s’occupait de nombreux enfants de sa fille. Le gendre Robert Mauresmo était chargé du transport des bouteilles. L’été, tout cela marchait à merveille, aidé aussi par ma mère et quelquefois par ma sœur Mitou. Pip n’a pas profité


4 2 beaucoup de sa retraite. Il est décédé d’un problème cardiaque. Marcelle a vécu jusqu’à 99 ans. Elle a fini ses jours dans un EHPAD agricole à Vielle Saint Girons. Elle a continué jusqu’à la fin à lire des romans d’amour et à plaisanter. Quand je suis allé la voir, chaque fois, elle m’a raconté une histoire grivoise que lui avait appris un de ses petits-enfants où arrière-petits-enfants. Elle a trouvé dans son Ephad un copain de son âge très amoureux. Il s’est malheureusement fait mettre à la porte de l’établissement car il avait tapé sur une pensionnaire victime de la maladie d’Alzheimer, qui avait le tort d’embêter son amour de Marcelle. Paulette, la fille de la famille, a eu 6 enfants. Elle est décédée d’un problème cardiaque en 2021. Pip a acheté à la famille Thévenin la maison rue du couvent, où ont vécu jeunes : Margot, Marcelle et aussi mon père. Dans cette maison, une des plus vieilles de Vieux-Boucau, on blanchissait encore les murs à la chaux tous les ans en 1950. Une vieille tante, Tatie Mayotte y vivait aussi avec sa nièce, cousine Madeleine. Cette vieille tante m’a amenée avec elle pour pêcher l’anguille au chapelet (la Vermée en Vendée). Elle enfilait, à l’aide d’une aiguille, des vers de terre sur un fil de coton à plusieurs brins. Quand elle avait obtenu un chapelet de vers de 2 mètres de long environ, elle les groupait et


4 3 accrochait la boule obtenue à un bâton. Au bord des ruisseaux, elle s’installait, assise, son vieux parapluie noir ouvert à l’envers à côté d’elle. Quand la nuit tombait et que la marée montait, les anguilles grosses comme mon pouce se jetaient sur les vers. Leurs dents s’accrochaient au coton. Ma tante avait le temps de soulever son bâton, de mettre l’anguille au-dessus du parapluie ou elle se décrochait et n’arrivait pas à remonter. Elle prenait ainsi, en une ou deux heures une trentaine d’anguilles. J’adorais aller avec elle car elle me faisait un petit chapelet et je me postais de l’autre côté du parapluie pour tenter ma chance.


4 4 J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire l’histoire de mes premières années et aussi évoquer ma parentèle. Ceci pourra peut-être intéresser un de mes descendants. Nous sommes en 2022. En faisant revivre mes souvenirs, ce qui m’a frappé et à quoi nous ne réfléchissons pas assez, c’est l’évolution rapide de la façon de vivre. C’est aussi la régression de la vie animale sauvage. En 1950, les boucalais et les messangeots vivaient encore au rythme des passages d’oiseaux et de poissons. De septembre à novembre, les vieux de Vieux-Boucau se rassemblaient sur le pont du ruisseau, le regard tourné vers le Nord. Ils étaient déjà quelquefois là en août pour observer le passage des bergeronnettes. Puis venaient les tourterelles et les pigeons bisets (les ramiers) en septembre, suivi des palombes et des alouettes en octobre et novembre. Le froid arrivant, c’était ensuite belote et chopines chez Bebel ou chez Fafa. Dans le Junka, la mairie louait, par adjudication, une dizaine de chasses à l’ alouette. Certains louaient un morceau de dune à l’État. Les messangeots, eux, construisaient leur chasse aux pantes près de leur maison. Tous attrapaient entre 100 et 300 douzaines d’alouettes tous les ans, depuis des dizaines et peut-être des centaines d’années. Jamais le nombre ne diminuait. Les oiseaux étaient vendus le soir et ceux-ci permettaient aux familles de mieux vivre dans l’année.


4 5 Vers 1970, les passages se sont raréfiés, les chasseurs aussi, et puis plus rien, ni chasse, ni alouette, plus rien. La cause… ? C’était aussi la pêche au filet (aux couts) à marée basse en juillet-août pour les mulets et les bars tachetés, la garolle la nuit pour les soles et les turbots et toute l’année dans le courant ou le ruisseau, la foëne, les fascines, le chapelet pour les anguilles la huche pour les plies. Et bien sûr, quand la mer était belle et calme, les expéditions en pinasse (bateau) à la recherche des maigres, des verrues (ombrines) ou des louvines (les bars). Le record, 118 quintaux de maigres en 1953. Il faut dire que le quintal Boucalais était bizarrement de 50 kg, comme en Espagne. Cela fait quand même six tonnes d’un coup de filet. Les pibales, où civelles : La grosse affaire avec les alouettes. Leur pêche se passait la nuit l’hiver à l’embouchure du courant et dans le courant, il fallait se vêtir très chaudement, se protéger du froid, de la pluie, des vagues, se munir d’un tamis et d’une caisse, plonger le tamis dans l’eau pour essayer d’attraper le plus possible de civelles. Le matin, elles étaient pesées


4 6 et vendues sous la Halle. Elle partait la plupart en Espagne. Elles valaient très cher. Et le matin suivant, au boulot, c’était très rémunérateur mais aussi très fatiguant. La pêche des civelles est maintenant interdite, celle des anguilles aussi. Il n’y en a plus. Pourquoi… ?


4 7 Les voitures étaient encore rares. Il a fallu attendre 1960 pour que mon père achète une 2 CV. Il était le premier de la famille à avoir une auto. Par contre, les vélos étaient rois. Les vélomoteurs commençaient à se montrer. On prenait très souvent le car Vieux-Boucau-Dax où Vieux-Boucau – Bayonne ou même encore le train Vieux-Boucau-SaintVincent-De-Tyrosse. La télé n’était pas encore arrivée et je verrai la première en 1957 à Châteauroux. La radio et surtout les journaux locaux, le « sud-ouest » nous donnaient des nouvelles du monde. Le garde-champêtre passait avec son tambour donner « l’avis à la population » pour les décisions locales. C’était Pascal avec son cheval qui ramassait les poubelles une fois par semaine. Nulle trace de plastique, tout était en bois, en métal, en cuir ou en carton. Ma sœur Mitou a eu


4 8 droit pour un noël à un baigneur en celluloïd. Là voilà la catastrophe qui arrive… Le lait n’était pas pasteurisé. Il fallait aller le chercher là où il y avait des vaches, dans un pot en aluminium. Et ne pas oublier de le faire bouillir. Les besoins se faisaient dans une cabane au fond du jardin ou dans la forêt proche, en ce qui concerne l ‘Ariou. À Messange les tracteurs n’étaient pas encore arrivés et les charrettes à grandes roues attelées d’une paire de mules circulaient encore partout. On amendait la terre beaucoup trop acide avec de la chaux et le fumier des vaches ou des mules, pas beaucoup d’engrais et bien sûr pas de glyphosate. La Batteuse passait pour battre le seigle. C’était l’occasion d’une fête entre voisins et réunion aussi le soir pour dépouiller le maïs à la main. On mangeait des volailles et du porc élevés à la ferme, à qui on faisait la fête funèbre. Pas de sensiblerie, on s’emparait du cochon, on arrivait à l’allonger sur la « mée ». Quatre hommes lui tenaient les pattes et il m’est arrivé de tenir la queue, et celui qui officiait l’égorgeait. L’animal criait beaucoup et assez longtemps, mais on recueillait tout son sang pour faire le boudin. Pas de frigo, aussi, beaucoup de conserves sous la graisse du porc ;


4 9 confit de porc, de canard et d’alouettes aussi. On buvait le vin de la maison qui pouvait être plus ou moins bon suivant que le propriétaire était un vigneron doué ou non. À la fin du repas, on débouchait une bouteille de vin de sable les jours de fête. Pour le 14 juillet, la commune de Messanges mettait gracieusement une barrique devant la mairie avec du pain et de l’edam. Les Landes n’étant pas un pays de fromage, c’était toujours du fromage hollandais. Peut-être d’ailleurs, cette coutume date t elle de la révolution ? À Vieux-Boucau les estivants arrivaient tous les ans plus nombreux. Les campeurs venaient emplir leurs outre à la pompe devant les platanes de la place. Tous les dimanches, l’été, le bal du Capitaine et celui de la Frégate regroupaient les estivants, mais aussi les jeunes venus du département. En 1949, les incendies démarraient partout. À VieuxBoucau la fumée se voyait de tous côtés. Au sud de Bordeaux et au Nord des Landes, 50000 hectares ont été la proie des flammes et on a déploré 82 pompiers morts brûlés. L’État a décidé de renforcer le corps des sapeurs


5 0 forestiers. Les pare-feux et les pylônes pour donner l’alerte, ont bien amélioré la situation. Les fêtes locales réunissaient beaucoup de monde. Les gens invitaient leur famille et cela durait en général 3 jours. Les héros sportifs étaient cyclistes (Coppi et Bartali les Italiens, Robic le français vainqueur du Tour de France en 1947, ou le boxeur Cerdan. J’allais avec mon père par le car au col du Tourmalet ou au match de rugby à Soustons. Les traditions n’étaient pas encore toutes effacées. À Vieux-Boucau pour le carnaval, les jeunes se déguisaient et passaient dans les maisons ramasser des œufs, du jambon et des petites sommes d’argent. Ils mangeaient l’omelette et payaient trois musiciens pour faire danser tout le monde à la salle des fêtes. À la fête des équipages (des pinasses), les sociétaires faisaient un banquet, chantaient de vieilles chansons de marins et buvaient pas mal. Les jours de pêche à la senne, les hommes avaient le droit de quitter l’atelier de bouchon sans être payé bien sûr, et le mois de vacances était automatiquement le mois d’octobre pour les alouettes et les palombes. Les jours d’enterrement, les femmes allaient à la messe, les hommes au bistrot et tous se retrouvaient pour accompagner le mort au cimetière. Il avait droit au beau


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