LE DÉTAIL QUI TUE Flipbook PDF


10 downloads 98 Views 19MB Size

Recommend Stories


CQ14. FECHA: NOMBRE: ca que qui co cu. que. qui
FECHA: NOMBRE: ca que Escribe palabras que tengan... ca que qui co cu qui co cu Escribe los nombres. CQ14. CQ15. FECHA: NOMBRE: ca

BAR QUI LLO 49 MADRID
MADRID BAR QUI LLO MADRID 49 BAR QUI LLO 49 07 MA DRID 09 BA RRIO JUS TI CIA 11 CA LLES CON AR TE 13 GAS TRO NO MÍA 15 ARTE CUL TU RA Y OCIO

Story Transcript

LE DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

EDITO

Au-delà de raconter des histoires, un film est le lieu par excellence de mise en relation d’objets esthétiques, qu’ils soient d’ordre matériel, symbolique ou les deux. Sans bureau, un bureau est-il un bureau ? Sans canapé ou fauteuil, un salon est-il vraiment un salon ? Sans porte, un appartement représenterait-il toujours le foyer ? Sans le vert à l’image, est ce que Matrix serait le monument que l’on connaît ? Des questions qui nous permettent d’interroger l’importance du mobilier, du design et de la couleur dans les films, comme s’intégrant fondamentalement à la narration et permettant de la faire évoluer. Partant de ces “détails” qui peuvent rester en marge, nous avons décidé de les mettre à l’honneur au sein de ce numéro pilote qui esquisse un projet que nous espérons faire perdurer dans le temps grâce à vos participations. Montages

photos,

articles,

analyses

filmiques,

entretiens,

etc.

nos

contributeur.rices se sont investi.e.s pour rendre hommage à ces détails qui font du cinéma ce qu'il est. Nous espérons que ce premier numéro vous plaira autant qu’à nous et vous rendra attentif.ve.s aux "détails qui tuent".

L'EQUIPE DU DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

00

LES DESIGNS QUI TUENT

© Playtime (1967)

LE DÉTAIL QUI TUE

KNOCK KNOCK La porte d’entrée du domicile a un rôle déterminant dans de nombreux long métrages. Traits d’union entre le dedans et le dehors, elle est le point d’articulation entre le privé et le public, l’intime et l’ostensible, le calme et la tempête. À ce titre, elle apparait alors comme le dernier rempart face au danger extérieur. Il est pourtant rare qu’elle soit assez solide pour résister aux assauts des malfaiteurs, en témoigne l’état dans lequel finit la porte de la chambre de Wendy Torrance dans Shining de Stanley Kubrick. Cette scène culte nous rappelle que dans les « home invasion », sous-genre du film d’horreur dans lequel des intrus pénètrent une propriété privée pour s’en prendre à ses habitants, la porte d’entrée du domicile est souvent mise à rude épreuve. Elle est parfois forcée et/ou brisée (Haute tension d’Alexandre Aja, Panic Room de David Fincher) et ce malgré des systèmes de sécurité parfois très sophistiqué (The Purge de James DeMonaco). © Shining (1980)

Il arrive tout de même que les intrus optent pour la manière douce, en toquant gentiment (Mother! de Daren Aronofsky, Funny games U.S. de Michael Haneke, Knock at the cabin de M. Night Shyamalan). Dans ces cas-là, le danger, latent et insidieux, ne se formalise que progressivement et subtilement et la porte n’en subit pas les dégâts.

© 10th Cloverfield Lane (1980)

© Funny Games U.S (2007)

Notre porte d’entrée n’est quoi qu’il n’en soit pas toujours la séparation entre un intérieur sécurisé et un extérieur hostile, c’est parfois même le contraire. Dans de nombreux « huitclos » (10th Cloverfield Lane de Dan Tratchenberg, Ex Machina d’Alex Garland, Room de Lenny Abrahamson) la porte d’entrée est la voie qui mène à la libération et la salvation face à un intérieur étouffant et mortifère.

LE DÉTAIL QUI TUE

La porte d’entrée est donc le lieu de la confrontation de deux mondes et le judas illustre parfaitement cette fonction narrative en offrant des possibilités de mise en scène impactantes (Opéra de Dario Argento, La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck, Léon de Luc Besson) © Léon (1994)

Nous l’avons vu, cette confrontation se fait souvent dans la violence, même lorsqu’il ne s’agit pas de « home invasion ». La porte d’entrée symbolise alors l’irréconciliable dont le franchissement ne peut que déboucher sur une pluie de balle et de sang (Novembre de Cédric Jimenez, Django Unchained de Quentin Tarantino, Green Room de Jeremy Saulnier). La porte d’entrée peut néanmoins être le lieu de négociations pacifiques mais qui ne déboucheront jamais que sur résolution illusoire, car temporaire, du conflit (scène d’arrestation de Mesrine, l’ennemi public numéro un, de Jean-François Richet).

© La prisonnière du désert (1956)

Comme pour les « huit clos », la porte d’entrée peut néanmoins être porteuse d’espoir et d’apaisement notamment lorsqu’il s’agit de clore une histoire. Le chef d’œuvre de John Ford, La Prisonnière du désert, constitue surement le meilleur exemple : plan fixe depuis l’intérieur du ranch dans lequel John Wayne, sur le pas de la porte ouverte, se retourne et s’en éloigne d’un pas léger, le sentiment du devoir accompli, pour ne faire plus qu’un avec la Monument Valley magnifiée par la profondeur de champ. Thomas Unterberger

LE DÉTAIL QUI TUE

CUT & COOK

On retrouve toujours une cuisine dans les films du duo Agnès Jaoui/Jean-Pierre Bacri et nous nous apercevons rapidement que c’est une pièce "à côté" de l’action principale mais où tout se joue en réalité. Où sont discutés les réels enjeux et où les décisions sont prises.

Ces cuisines sont des points de réunion modestes, le mobilier y est simple : buffet encombré, nappe en toile cirée, carrelage terne, égouttoir en plastique... Ce sont les cuisines que nous avons tous.tes, ou que nous avons tous.tes eu.e.s à un moment, et où nous discutons parfois de choses importantes tout en cuisinant des plats du quotidien. Et c’est parce qu’elles sont simples que ces cuisines correspondent à tous.tes, au même titre que les films portés par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri.

Leurs enjeux sont universels et touchants, et se déroulent dans des décors que nous avons l’impression de connaître. Klara Hélouvry

LE DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

Wild at Heart, Reservoir Dogs, Barton Fink : des toilettes volontairement similaires ? Au cinéma, les personnages ne vont pas souvent aux toilettes. Leur présence dans cet espace pourtant essentiel se résume souvent à des scènes de violence où des têtes finissent dans la cuvette (pêle-mêle dans The Big Lebowski, Trainspotting ou Sin City) ou à des scènes d’amour en soirée. Privées ou publiques, espace de passage ou d’action, lieu de détente ou de violence : dans tous les cas, placer ses personnages dans des WC n’est pas un acte anodin pour un réalisateur.

Du fait de cette rareté, il devient possible de se pencher sur une esthétique des toilettes au cinéma. Au vu du nombre de WC pouvant être utilisés comme lieu de tournage, il paraît improbable que l’un d’entre eux se retrouve filmé par deux réalisateurs de renom sans qu’il ne s’agisse d’une référence. C’est pourtant ce qu’il est possible de constater lors du visionnage de Wild at Heart (David Lynch, 1990) et de Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992).

© Reservoir Dogs (1992)

LE DÉTAIL QUI TUE

Dans ces deux films, une scène clé se déroule dans les toilettes du Park Plaza Hotel de Los Angeles, un hôtel de luxe situé dans un imposant bâtiment de style Art Deco. Chez Lynch, le personnage principal, interprété par Nicolas Cage, y refuse les avances sexuelles de sa belle-mère tout en se soulageant, alors que chez Tarantino elles sont le lieu d’une métalepse narrative prenant la forme d’une anecdote racontée par Mr. Orange.

© Wild at heart (1990)

Même espace, même cadrage, lumière similaire : les similarités paraissent trop nombreuses pour qu’il s’agisse d’une coïncidence. Tarantino, dont le film est postérieur à celui de Lynch, a cependant affirmé en interview qu’il était le premier à filmer les toilettes de cet hôtel bien connu au cinéma, preuve qu’il n’avait pas connaissance de leur présence antérieure dans le lauréat de la Palme d’Or en 1990. Sylvain Labaste

© Barton Fink (1992)

LE DÉTAIL QUI TUE

Comprendre le projet Dans un premier temps, le titre. La relation entre le titre d’un film et ledit film est plus fondamentale que ce que l’on peut penser. "Il ne faut pas juger un livre par sa couverture, ou un film par son titre", est le plus gros mensonge qu’on nous ai jamais rapporté. Quand le titre est dit, il est un indice, un message caché, une pépite extraite de l'œuvre et cette connexion au reste de l'œuvre agit comme le ligament d’une articulation. Il lie des univers cachés, des atmosphères intra et intro-diégétiques, des promesses de récit et de péripéties, des cosmos de connotations culturelles. Quand le titre est écrit, il prend la parure des mots et apparaît sur l’écran dans un nouveau manteau typographique. Cette typographie est elle-même une porte vers de nouveaux univers cachés, de nouvelles atmosphères graphiques, de nouvelles promesses artistiques, et de nouveaux cosmos de connotations culturelles. Nombreux sont les cinéastes qui investissent cet interstice de sens au travers de leur générique, et dont la démarche résonne à présent dans les écoles de graphisme comme les cloches sacrées de la messe. On pense à Gaspar Noé, notamment avec le générique de Enter the Void - où la typographie est un écho sensuel des expériences des personnages, mais aussi à Wes Anderson qui établit des univers typographiques nostalgiques, élégants et cohérents de film en film. Une démarche qui perdure depuis les débuts du cinéma comme on peut le voir dans les cultissimes Vertigo d’Alfred Hitchcock ou West Side Story de Jerome Robbins et Robert Wise.. Et cette exploration de la relation entre récit filmique et typographie peut même se retrouver à investir la diégèse du film comme dans les excellents Le Redoutable de Michel Hazanavicius et Napoleon Dynamite de Jared Hess.

Deuxièmement, l'adaptation. Adapter une œuvre est le processus qui illustre le mieux à mes yeux le rôle du réalisateur. La manière dont l'œuvre est adoptée par ce dernier met en lumière sa vision telle une étoile dans la nuit. Dans tout ce qui est laissé, ajouté, modifié, on peut voir se dessiner les enjeux, thèmes, et tropes qui sont propres au réalisateur. Entre Le Château de Hurle de Diana Wynne Jones et Le Château Ambulant d'Hayao Miyazaki, on peut voir les motifs principaux qui traversent la vision du cinéaste. L’aviation, les femmes indépendantes et les hommes qui les suivent, et un mal qui ne s’incarne pas par des gens, mais par l’attrait du pouvoir et les guerres qui en résultent. Aussi une œuvre adaptée plusieurs fois, et par plusieurs réalisateurs, offre avec clarté une fenêtre sur leur processus de réalisation. Et quelle meilleure œuvre à adapter que les mythiques tomes de Frank Herbert.

LE DÉTAIL QUI TUE

Alors Dune. Dune est un monument de science-fiction qui fascine depuis des décennies. Par trois fois il fut adapté pour le grand écran en 1973, en 1984 et en 2021. La première adaptation n’a jamais atteint sa forme filmique mais vit au travers d’un superbe storyboard dessiné par la star de la sci-fi à bulles : Moebius. Dans ce découpage on découvre une fresque colorée et titanesque, qui transpire l’ambition et le symbolisme spirituel, à l’image de son réalisateur Alejandro Jodorowsky. Dans la seconde, un space opéra visionnaire voit le jour, méticuleusement travaillé dans les moindres détails, mais qui rencontre des péripéties de production qui le mutile, et aussitôt enfanté le rend orphelin de son créateur David Lynch qui signera l’œuvre Alan Smithee. Et enfin Denis Villeneuve s’empare du projet et nous livre une fresque épique et sensuelle suivant une quête initiatique dans des décors brutalistes à couper le souffle. Dune de par son titre est un monde caché sous la surface du désert, une atmosphère brûlante et chargée d’épice, la promesse d’une errance et d’un voyage par delà les galaxies, un cosmos de dynasties, d’empires, de révoltes, de haine, d’amour et d’humanité.

Enfin la publication. Dans ces quelques scans, je cristallise mes réflexions et mes connections sur ces œuvres qui m'habitent. À la manière de couches géologiques d’une planète étrangère (Arrakis?), les thèmes communs, les écueils récurrents, et les intentions propres se superposent concentriquement. Une vision fracturée et sensuelle, telles les prémonitions de Paul Atréides, où les éléments se répondent, et les superpositions tantôt créent des ponts, ou des ruptures entre les images et leur sens. Créé à partir des deux écrans titre du Dune de Lynch et le Dune partie 1 de Villeneuve, qui constituent le noyau de cette micro-publication, sur ces pages on retrouve les univers cachés, les atmosphères graphiques, les promesses artistiques, et certaines strates du cosmos de cette saga collective. Héloïse d'Almeida

LE DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

LA LAMPE EMERALITE La lampe de banquier est un objet qui a fait son apparition dans de nombreux films au fil des ans. Cette lampe est généralement petite et conçue avec une base lourde, souvent en laiton pour la stabilité et un abat-jour en verre qui diffuse une lumière tamisée et chaleureuse. C’est un objet qui a été conçu à l'origine pour les banques allemandes à la fin du XIXe siècle. Ce type de lampe a été créé pour être utilisé sur les comptoirs des banques, où les employés avaient besoin d'une lumière tamisée pour travailler sur des dossiers financiers. Depuis lors, la lampe de banquier est devenue un symbole classique de la banque et de l'industrie financière, représentant la stabilité, la qualité et la sécurité. Lampe de banquier / lampe emeralite

En plus de son utilisation dans les banques, la lampe est également populaire dans les librairies, les bibliothèques et les cours de justice. Elle offre une lumière idéale pour la lecture et le travail individuel, les abatjours servant également à filtrer la lumière naturelle en créant une ambiance confortable et stable dans les espaces dans lesquels elle est utilisée.

Bibliothèque national d'Irlande, salle principale

LE DÉTAIL QUI TUE

La lampe de banquier est devenue populaire dans de nombreux films, où elle a justement été utilisée pour créer une ambiance particulière dans les scènes de bureau, de lecture ou de tribunal. Ici, dans le film La Revanche d'une blonde de Robert Luketic (2001),, la lampe est utilisée dans une cour de justice pour éclairer les documents importants pendant les procès et les audiences en créant une ambiance et un contraste de couleur avec la tenue portée par Reese Witherspoon.

© La Revanche d'une blonde, 2001

© Seven, 1995

Dans d'autres films, elle peut être utilisée pour renforcer la gravité et le sérieux d'une situation. C’est le cas dans le film Seven de David Fincher où elle représente un espace de travail sérieux et professionnel lorsque l’inspecteur Somerset interprété par Morgan Freeman étudie dans une bibliothèque. Sa présence crée une atmosphère sombre et inquiétante tout en ajoutant une touche de sophistication à la décoration de la pièce.

La lampe parle d’elle-même et possède une identité visuelle propre au point d’être également utilisée dans les films d’animation pour représenter ces espaces cultes auxquels elle est associée. C'est un objet polyvalent qui a fait son apparition dans de nombreux films au fil des ans. Elle peut être utilisée pour symboliser la richesse et le pouvoir d'un personnage, ou pour créer une ambiance intime ou sérieuse dans des scènes de lecture ou de travail. En plus de son utilité pratique, la lampe de banquier est également un choix de décoration populaire pour ajouter une touche de sophistication à n'importe quelle pièce. Nicole Anastasiou

LE DÉTAIL QUI TUE

LA CHAISE BARCELONA DE MIES VAN DER ROHE La chaise Barcelona est l'un des designs les plus emblématiques de l'architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe. Introduite pour la première fois en 1929 lors de l'Exposition internationale de Barcelone, la chaise a rapidement acquis une réputation de sophistication et d'élégance intemporelle. La création de cet artefact prend le contrepied de l'école allemande Bahaus en créant un objet luxueux, un trône contemporain pour le Roi d'Espagne, là où les créateurs socialistes souhaitaient fabriquer des meubles à bas coûts, minimalistes et à destination de la classe ouvrière allemande. Pavillon allemand de l'Exposition internationale de Barcelone en 1929

Depuis lors, la chaise Barcelona est devenue un élément incontournable du design d'intérieur moderne utilisé dans les foyers et les bureaux du monde entier. Mais si l’assise a séduit les amateurs de design, elle a également été largement prisée par les décorateurs et ensembliers du cinéma.

Dans les années 1950 et 1960, la chaise Barcelona est devenue un accessoire incontournable des plateaux de cinéma. Les réalisateurs de cette époque, comme Alfred Hitchcock, ont incorporé la chaise dans leurs décors pour y ajouter une touche de sophistication et de modernité. La chaise Barcelona at été utilisée dans des films tels que Batman v Superman: Dawn of Justice et The Wolf of Wall Street ou encore American Psycho ou Spectre. Dans ces films, la chaise est utilisée pour représenter le pouvoir et la richesse, la délicate élégance du mobilier. En somme, la chaise Barcelona de Mies van der Rohe est un exemple parfait de la façon dont le design peut transcender les époques et les industries. Son intemporalité en a fait l’un des éléments de design les plus utilisés sur le grand écran, au service de films parmi les plus emblématiques de l'histoire du cinéma. Anonyme

LE DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

BLUE VALENTINE Blue Valentine, titre faisant référence à la chanson de Tom Waits - contant une déception amoureuse - annonce déjà la couleur du film. "Blue” en anglais fait référence à la désuétude, la mélancolie, la déception. C’est aussi la musique “Blues” dérivée des chants de travail des esclaves noir-américains. Les bluesmen chantaient leurs conditions de vie difficiles, la ségrégation et la violence en place aux États-Unis. Du côté européen, en ancien français, il désignait les histoires personnelles. Ce mot est ainsi emprunt d'une quantité de significations qui se sont construites à travers l'histoire de cette couleur et de la culture visuelle. Aujourd'hui il est ancré que "blue”/"bleu" porte les idées et les éléments que nous avons commencé à lui assigner depuis cette période : la mélancolie, le rêve, l’eau, le ciel, la nuit, la morale ou encore la paix. Couleur préférée des occidentaux, elle ponctue nos vies et par conséquent les images de cinéma. © Blue Valentine (2010)

LE DÉTAIL QUI TUE

© Blue Valentine (2010)

Blue Valentine (Derek Cianfrance, 2010), use et épuise cette couleur pour nous raconter l'histoire d’un couple et surtout son délitement au bout de quelques années. L'utilisation de celle-ci dans la mise en scène sert mais aussi renforce les arcs narratifs.

Le bleu est partout, tout le temps, dans toutes ses nuances.

LE DÉTAIL QUI TUE

© Blue Valentine (2010)

Les décors Les vêtements La lumière La colorimétrie Le maquillage Les accessoires Le son

LE DÉTAIL QUI TUE

© Blue Valentine (2010)

Le bleu est un appui visuel qui octroie une identité à l'image mais qui porte aussi véritablement l’histoire. Lorsque la fin du couple approche, au cours d'une soirée dans une chambre d’hôtel futuriste, le bleu turquoise en lumière néon est omniprésent. Il appuie de nombreux contrastes notamment sur les visages des personnages. Cette couleur criarde perturbe la vision, elle renforce le sentiment inconfortable qui émane de la séquence. Cette dernière, qui avait la vocation de ressouder le couple fera tout le contraire. Le bleu enveloppe tout de façon étouffante et oppressante. À cela s'ajoute une absence totale de fenêtre construisant une sensation de bulle dans laquelle tout le monde est prisonnier (aussi bien les protagonistes que les spectateurs).

LE DÉTAIL QUI TUE

Le bleu est aussi un élément de construction des personnages et de leur trajectoire. Il marque les évolutions, les changements tout comme leur espace mental. Dean (Ryan Gosling), est en premier lieu vêtu de rouge dans le cadre du travail qui amènera la rencontre avec Cindy (Michelle Williams). Période de bouillonnement et de passion entre les nouveaux amoureux. Cependant, lors de leur mariage - alors même qu'ils sont dans une période d'amour nouveau Dean porte du bleu ciel, c'est une première bascule. Le bleu, couleur de la morale, prend ici sa place alors que Dean endosse officiellement des responsabilités. Plus tard, désormais peintre en bâtiment, il a toujours les mains couvertes de peinture bleue, couleur également présente sur ses vêtements de travail, qu’il porte fréquemment lors des séquences familiales. Peu à peu, ce bleu s'étale à travers les accessoires. Nous le retrouvons sur la canette de bière qu’il tient plusieurs fois par jour et ce dès le matin puisque son travail le lui permet. L’alcool, dans un contenant bleu, est ici l’objet par lequel Dean rêve à une vie meilleure. Ou plutôt cela lui permet de croire que sa vie est la meilleure dont il puisse rêver. Le bleu fait passer les personnages, donc leur histoire, de la passion aux responsabilités avant d'échouer sur une vie froide, remplie de déception et de tristesse que chacun tente d'idéaliser pendant un temps.

© Blue Valentine (2010)

LE DÉTAIL QUI TUE

Le bleu est partout aussi bien dans les accessoires que les décors ou les costumes en passant par les lumières. Chaque plan possède une touche de bleu. Plus nous avançons dans le temps de la narration plus il envahit l'image. Une palette de bleu se déploie accompagnant les personnages et imprégnant d'une tonalité émotionnelle chaque scène pour nous offrir une histoire et une identité visuelle. La colorimétrie choisie joue un rôle d'accompagnement et d'harmonisation des temporalités et des divers états des protagonistes. Elle est le fil rouge qui crée une unité de lieu et un récit linéaire. Les navigations entre le présent de la dissolution du couple et le passé de leur rencontre que nous suivons en parallèle. Ainsi, dès l'évocation du titre, nous pouvons aisément imaginer la trajectoire de ce couple et sa fin annoncée. C'est aussi la promesse d'une douceur dans ce déchirement puisqu'il n'est pas question de faire appel à la couleur de la colère : le rouge. C'est la couleur de la paix qui est utilisée afin de suivre ce couple qui n'était simplement pas fait pour être ensemble. Rachel Genini © Blue Valentine (2010)

LE DÉTAIL QUI TUE

UNE ODE À L'HÉDONISME Dans L'Auberge espagnole, Cédric Klapisch propose une poétique du lit et des espaces de couchage qui s'inscrivent dès lors dans la dialectique du récit.

© L'Auberge espagnole (2002)

LE DÉTAIL QUI TUE

© L'Auberge espagnole (2002)

LE DÉTAIL QUI TUE

© L'Auberge espagnole (2002)

LE DÉTAIL QUI TUE

© L'Auberge espagnole (2002)

Suivre la trajectoire de Xavier et des autres protagonistes à travers l'espace intime du lit, du canapé ou encore d'un hamac, donne accès à l'intériorité des différents personnages. Iels y dorment, font l'amour, deviennent ami.e.s, fument, se disputent, fantasment et s'y retrouvent. Le spectateur ou la spectatrice n'a qu'une envie, prendre part à ces effusions de vie qui font vivre le temps de deux heures l'expérience d'un séjour à l'étranger, les relations qui s'étiolent et se créent avec réalisme et une drôlerie assumée.

Clara Nol

LE DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

ENTRETIEN : ISABELLE MILBEAU, LE MÉTIER D'ENSEMBLIÈRE AU CINÉMA Isabelle Milbeau est ensemblière pour le cinéma basée à Rennes et accessoiriste pour l'opéra. Elle est douée de plus de quinze ans d'expérience et a accepté de s'entretenir avec Le Détail qui tue pour nous faire entrer dans les coulisses de son métier. Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre métier, quel est votre domaine d’expertise? Au cinéma, mon poste est “ensemblière”, cela touche vraiment au mobilier, aux tissus, aux rideaux, à créer un ensemble. Quand je travaille pour le théâtre ou pour l’opéra, ce poste s’appelle “accessoiriste”, ce n’est pas le même métier. Si j’extrapole un peu, on peut même parler du régisseur d’extérieur, qui lui va s’occuper des accessoires de jeu, comme des boules de pétanques par exemple. Moi je suis donc “ensemblière”, c’est-à-dire tout ce qui est recherche de mobilier, de tissus, “faire un ensemble” pour un décor. Pouvez-vous nous parler de votre parcours, comment avez-vous débuté dans ce métier? On me pose souvent la question, je suis arrivée là à 40 ans, j’ai tout appris sur le terrain. Il existe des formations pour le théâtre, et parfois dans les écoles de cinéma. Pour ma part j’ai d’abord fait des études d’anglais, des études d’histoire de l’art mais j’ai toujours été intéressée par le cinéma, j’avais d’ailleurs publié une petite revue de cinéma à la fac. Ça a vraiment commencé entre copains, tous et toutes passionnés de cinéma. Certains faisaient des courts-métrages et déjà j'aimais trouver des choses

qui manquaient, des détails pour raccorder le décor. Puis j’ai travaillé et à 40 ans j’ai voulu changer de métier, je me suis posé la question de ce que j’aimais faire, et c’est vrai qu’on me disait souvent que j’avais l’oeil pour les meubles, les accessoires, que je trouvais toujours des trucs de dingue. Je me suis rendu compte qu’il y avait un métier pour ça. Comment s’est passée votre insertion dans ce métier après avoir réalisé que cette carrière était faite pour vous? Je passais beaucoup de temps dans les festivals de la région Bretagne. À force d’être là par curiosité, j’ai identifié les sociétés de production de la région, les équipes qui travaillaient sur des courts-métrages. Je connaissais donc ces gens avant de faire ce métier, je me suis construit mon réseau comme ça, et j’avais aussi un réseau de brocanteurs et de commerçants pour avoir travaillé dans ce milieu avant. Ç'a été très utile pour me faire prêter des choses à mes débuts, pour des courts-métrages sans budget. J’avais travaillé sur une série pour Arte et ils avaient besoin de produits de luxe pour meubler le décor, grâce à ce réseau j’ai pu amener ça sans que ça ne coûte rien à la production.

LE DÉTAIL QUI TUE

Et avez-vous des difficultés à accorder l’univers des réalisateurs avec vos inspirations? Je me suis rendue compte assez vite que quand on me donne un scénario, je sais tout de suite ce qu’il faut. Je peux me tromper évidemment, ou faire des recherches si besoin. Le réalisateur a déjà son univers car il a travaillé le scénario, il présente des plans, il a déjà des indications, qu’il faut approfondir, mais ça aide beaucoup. Je travaille beaucoup avec le chef décorateur sur les tournages, qui lui a déjà travaillé avec le/la réal. C’est lui qui coordonne les équipes de décoration. Il nous indique ce que représente tel personnage, son style. On fait un énorme travail de recherche un mois, un mois et demi avant le tournage. J’ai aussi des stocks que je peux réutiliser, comme des lampes, des rideaux, on en a toujours besoin. Et puis on travaille beaucoup avec les recycleries, avec Emmaüs, on leur emprunte des meubles puis on leur rend. Pour Fleurs Amères de Peter May par exemple, qui raconte l’histoire de femmes chinoises qui viennent travailler en France, on a tourné dans une maison à Rennes. Elles laissent leurs familles, arrivent seules et sont logées dans des familles chinoises déjà installées. Dans ce film, ce sont des prostituées. On a dû imaginer leur lieu de vie, leur dortoir. On a refait tous les châssis, le hall d’entrée. On avait un conseiller artistique chinois qui nous a guidé. Il fallait beaucoup de tissus, recouvrir les canapés de plastique, énormément de détails pour rendre l’ensemble le plus réaliste possible. Parmi les actrices, certaines avaient réellement vécu la prostitution à Belleville. En arrivant dans le décor, elles se sont mises à pleurer.

Vous êtes basée à Rennes et travaillez en grande majorité dans la région Bretagne. Il y a un véritable entre-soi parisien dans le cinéma, comment le ressentez-vous? Il y a ce parisianisme que je trouve totalement dépassé, ça ne devrait plus avoir lieu. Ça existe de moins en moins mais ça persiste encore. On le sent de la part d'équipes qui “viennent en région” comme ils disent mais je leur répond “Paris est une région aussi”. J’ai du mal des fois avec ça, des petites remarques, c’est risible, snob et arriéré. Quand je monte à Paris pour des événements et qu’on me dit “ah ouais mais comment t’es venue de Bretagne?”, je me moque et je leur réponds “bah en calèche!”. Quand une production arrive, et qu’ils ont l’aide de la région, ils ont l’obligation d’engager des équipes locales. Quelles sont vos influences, des décors, des univers au cinéma qui vous ont marquée? Étudiante, j’allais très souvent au cinéma, j’allais voir des rétrospectives de Truffaut, Bergman, de Fellini, j’ai vu tout ça en boucle, pleins de styles. Mais je ne me suis jamais dit “oh j’aurais aimé faire ce décor là”, je n’y pensais pas à cette époque là. Je me projette plus dans des univers. Je pense aux films de Kaurismäki, j’aimerais bien faire ça, des décors épurés, des aplats. Il faut accepter les murs blancs, je ne veux pas les cacher avec une affiche, un mur blanc bien éclairé c’est tellement beau. J’adore travailler les couleurs. Mais j’aime tellement de choses différentes, tout est intéressant. LDQT

LE DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

Nous tenons à remercier chaleureusement tous.tes les participants.es à cette première édition du magazine.

Vous pouvez participer à votre tour en nous envoyant vos articles et créations à [email protected] pour la prochaine édition sur la gastronomie au cinéma.

Nous sommes intéressé.e.s par vos retours sur ce numéro pilote, pour pouvoir faire mieux pour le prochain

L'EQUIPE DU DÉTAIL QUI TUE

LE DÉTAIL QUI TUE

Get in touch

Social

© Copyright 2013 - 2024 MYDOKUMENT.COM - All rights reserved.