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Fausses peurs et vrais dangers L’être humain est naturellement enclin à surestimer les très faibles probabilités. Si en plus, ces faibles probabilités sont associées à un dommage important et chargé émotionnellement, elles prendront une importance renforcée par la peur1. Ajoutons le fait que, dans les entreprises humaines, le risque zéro n’existe pas, et que nous vivons à une époque où toute information se médiatise à la vitesse d’Internet. Les ingrédients de base sont ainsi réunis pour que se développe une controverse médiatico-scientifique biaisée. Nous illustrons ce propos, dans ce numéro, avec l’analyse des causes et des conséquences du recul de la couverture vaccinale en France et en Europe, et avec celle d’une controverse naissante autour du rôle du cholestérol dans les maladies cardio-vasculaires.

É ditorial

Deux exemples différents, mais qui rendent compte d’une même difficulté, celle de développer une argumentation scientifique rationnelle permettant une évaluation objective du rapport risque-bénéfice. Ce rapport est difficile à appréhender à l’échelle individuelle, étant sujets à l’émotion, à la passion et à la subjectivité de l’expérience personnelle. Mais essayons d’œuvrer pour qu’au niveau de la société, les choix éclairés et fondés puissent prévaloir. Science et pseudo-sciences 1 Voir par exemple Gérald Bronner et Etienne Géhin, L’inquiétant principe de précaution, PUF

2010, et le chapitre « Les enjeux cognitifs du pari de l’excès de précaution ».

Cholestérol et infarctus.  Il n’y a pas de « grand complot ». Analyse d’une rumeur page 14 qui se propage. Vaccination. Quand de fausses peurs engendrent de vrais dangers : causes et conséquences du recul de la couverture vaccinale. page 23 Chemtrails. Traînées blanches dans le ciel : pourquoi inventer des théories fumeuses ? page 62 José (1930 - 2011)

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Sommaire complet en 4e page de couverture

Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Du côté de la science comme établi chez la souris, on ne peut pas dire la même chose chez l’homme où on n’a pas de preuve solide de l’existence de cet effet.

L’effet bénéfique des faibles doses de rayonnements ionisants a été clairement mis en évidence chez l’animal par Duport (2003) qui a colligé toutes les expérimentations sur le cancer radio-induit conduites chez la souris. Dans 40 % des études, on note une diminution du risque spontané de cancer, après exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants. Cet effet protecteur est appelé effet d’hormésis.

Certaines études, par exemple celle conduite par Thomson dans le Massachusetts (2010) qui montre qu'une exposition à de faibles concentrations de radon diminue le risque spontané de cancer du poumon, sont en faveur de l'existence de l'hormésis chez l'homme. On connaît également de nombreux exemples en toxicologie chimique. Bref, pour l’homme, c’est possible mais pas prouvé.

L’explication est probablement une stimulation des défenses naturelles contre le cancer, notamment l’induction de l’apoptose (mort cellulaire programmée) des cellules dont l’ADN a été endommagé, apoptose déclenchée par les cellules voisines qui, elles, sont intactes mais « stimulées » par les rayonnements. Donc, l’apoptose des cellules dont l’ADN est lésé se trouve stimulée par l’exposition des cellules saines qui les entourent à de faibles doses de radiations ionisantes, comme l’a montré Portess (2007). Si l’hormésis peut être considéré 2

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L’hormesis ou l’effet bénéfique des faibles doses

André Aurengo Professeur de biophysique Université Pierre & Marie Curie, ancien président de la Société Française de Radioprotection et membre de l’Académie de Médecine.

– Duport P. (2003). A database of cancer induction by low dose radiation in mammals : overview and initial observations, Int. J. Low Radiation 1, 120-131. – Portess D.I., Bauer G., Hill M.A., O’Neill P. (2007). Low-dose irradiation of nontransformed cells stimulates the selective removal of precancerous cells via intercellular induction of apoptosis, Cancer Res. 67, 1246-1253. – Thompson RE. Epidemiological Evidence for Possible Radiation Hormesis from Radon Exposure: A Case-Control Study Conducted in Worcester, MA. Dose Response. 2010 Dec 14;9(1), 59-75.

Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

Un champignon préhistorique à l’origine de l’arrêt de la formation du charbon ?

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La matière organique du bois s’est transformée en charbon par fossilisation pendant la période géologique appelée Carbonifère. Pourquoi ce processus s’est-il arrêté il y a 300 millions d’années ? Un projet de séquençage d’une trentaine de génomes de champignons saprophytes forestiers (projet piloté par l’Université de Clark, le Joint Genome Institute américain et impliquant des chercheurs de l’Inra associés à une équipe du CNRS et d’Aix-Marseille Université) propose une réponse. La généalogie moléculaire déduite des séquences de gènes codant des enzymes dégradant la lignine permet de remonter à l’ancêtre des champignons Agaricomycètes. L’apparition au cours de l’Évolution de ce premier champignon xylophage coïnciderait avec la fin de cette période. En

décomposant le bois mort de manière efficace, ce champignon et ses descendants auraient stoppé l’accumulation des débris végétaux qui avait jusqu’alors permis la formation du charbon. Marcel Kuntz Biologiste, Directeur de recherche au CNRS D. Floudas et al. The Paleozoic origin of enzymatic lignin decomposition reconstructed from 31 fungal genomes. Science, 2012, Vol. 336 no. 6089 pp. 1715-1719

Résistance à un insecticide par symbiose L’apparition de résistance à un insecticide, suite à une mutation génétique chez l’insecte cible, est un phénomène très répandu. Des chercheurs japonais viennent de mettre en évidence une autre voie de résistance, instantanée celle-là : l’association symbiotique dans le système digestif de l’insecte avec une bactérie capable de métaboliser l’insecticide. Leur publication décrit le cas d’un insecte ravageur du soja au Japon, dont la nymphe peut ingurgiter la bactérie Burkholderia présente dans le sol, et dont certaines souches peuvent digérer l’insecticide fenitrothion. Des souches rares, mais plus fréquentes dans les sols après traitement des champs par cet insecticide. Mauvaises nouvelles de plus : des souches de Burkholderia métabolisant le fenitrothion peuvent digérer jusqu’à trois autres insecticides, ou s’associer à des insectes ravageurs d’autres cultures. Ces associations symbiotiques n’ont, pour le moment, pas causé de préjudice pour les agriculteurs, mais la menace plane. Marcel Kuntz

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Attentat suicide chez les termites L’acte suicidaire de l’abeille lorsqu’elle pique est bien connu. On connaît moins les mœurs de certains termites qui, pour défendre la colonie, se transforment en kamikazes. Robert Hanus, de l’université libre de Bruxelles, vient de découvrir un nouveau genre de kamikaze chez les termites de l’espèce sudaméricaine Neocapritermes taracua. Les vieux ouvriers chez cette espèce développent sur le dessus de leur abdomen deux poches contenant une substance protéinée bleue riche en cuivre. La taille de ces poches augmente avec l’âge de l’insecte. En cas de danger, lorsque par exemple la colonie est attaquée, ces termites kamikazes explosent littéralement, libérant le contenu des poches qui se combine alors avec une autre substance issue des glandes salivaires de l’insecte. Cette combinaison produit un composé hautement toxique qui immobilise et tue l’ennemi en quelques minutes voire quelques secondes. Comme le fait remarquer le chercheur, contrairement à ce qui se passe chez les hommes, chez les termites… ce sont les sujets âgés qui partent pour faire la guerre. Kamil Fadel Directeur du département Physique, Palais de la découverte J. Šobotník et al., Explosive backpacks in old termite workers. Science. 2012 Jul 27 ;337(6093) :436.

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La farine de maïs livre ses secrets En mélangeant de l’eau à de la farine de riz ou de maïs dans les bonnes proportions (125g de farine de maïs pour 100g d’eau), on obtient une substance pâteuse plus ou moins fluide et relativement peu visqueuse qui coule très facilement, sauf… lorsqu’on la soumet à une contrainte, par exemple si on lui © Matauw | Dreamstime.com

Y. Kikuchi et al., Symbiont-mediated insecticide resistance, Proceedings of the National Academy of Sciences, doi:10.1073/pnas.1200231109

cogne dessus. Dans ce cas, elle se pétrifie littéralement et redevient fluide lorsque la contrainte cesse. Les physiciens appellent « fluide non newtonien » ce genre de substance dont la viscosité varie avec la contrainte. Dans ce cas, il s’agit d’un fluide rhéo-épaississant. Malgré des années de recherche, le mécanisme précis responsable de l’augmentation de viscosité sous contrainte demeure mal connu. Cependant, on admet généralement que, hors contrainte, les molécules d’amidon sont couvertes de molécules d’eau, ce qui leur permet de glisser les unes sur les autres. La contrainte expulse l’eau et découvre les molécules d’amidon, lesquelles s’accrochent alors les unes aux autres. Cette explication vient d’être confirmée expérimentalement par une équipe de l’université de Chicago qui a étu-

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dié le phénomène aux rayons X et à l’aide de simulations. Signalons que les militaires s’intéressent de près à cela. En effet, une combinaison remplie d’un fluide de ce genre se rigidifierait à l’endroit de l’impact d’une balle et protègerait ainsi le soldat. Kamil Fadel E. Brown et al., Shear thickening in densely packed suspensions of spheres and rods confined to few layers. Journal of rheology, 2010, vol. 54, n°5, pp. 1023-1046

Colibacilles et risques sanitaires

© Source : Elizabeth H. White, M.S., CDC, Public Health Library, nr. 9995

La pluralité considérable des souches de colibacilles (Escherichia coli) conduit à ce que, malgré les connaissances acquises sur cette bactérie – qui fut un modèle, tant pour la recherche fondamentale que pour les applications – des problèmes sanitaires font encore l’actualité sur ce germe. Ce sont surtout les souches appartenant au

groupe des STEC (E.coli producteurs de Shiga-toxine) et au sousgroupe dit EHEC (E.Coli EntéroHémorragique) qui sont responsables de ces problèmes, car elles induisent des syndromes digestifs (diarrhées hémorragiques) dont une partie peut évoluer vers les syndromes hémorragiques urémiques (SHU) particulièrement graves pour les jeunes enfants de moins de 5 ans et les adultes de plus de 65 ans. Ces souches pathogènes sont porteuses de gènes stx qui permettent de les caractériser. La plus impliquée d’entre-elles est E.coli O157-H7. Contrairement à ce qui se passe pour beaucoup de maladies infectieuses qui relèvent d’une origine déterminée, les causes de contamination par ce type de bactéries sont nombreuses et souvent imprécises. Ces bactéries sont trouvées chez des animaux domestiques, sauvages, et chez l’homme1. La cause la plus connue est le fait que des bovins peuvent être des porteurs inapparents et que la bactérie peut être transmise par la viande hachée, lorsque celle-ci n’est pas cuite à cœur. Depuis plusieurs décennies, des mesures d’hygiène ont été prises dans les abattoirs afin d’éviter la contamination des carcasses par souillure fécale lors de l’éviscération. Ces mesures ont fait l’objet d’améliorations continuelles, en particulier en 2011. Actuellement, des dispositions se mettent en place pour assurer un contrôle plus étroit (plan de surveillance2) des industries agro-alimentaires et de la distribution. Celles-ci comportent un accroissement des contrôles bactériologiques, des règles relatives à

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Henri Brugère Vétérinaire – ancien Président de l’Académie vétérinaire de France 1

Voir SPS n° 297, juillet 2011.

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Note de Service de la Direction générale de l’alimentation (03 avril 2012) http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/DGALN20128077Z_cle 8bffa1-1.pdf

Nanoparticules et cancer Il ne manque pas de substances toxiques pour tuer les cellules cancéreuses. Le problème est de ne pas tuer en même temps les cellules saines de l’organisme. Les ARN interférents (ARNi) découverts en 1998 sont capables d’inhiber ou de détruire spécifiquement un ARN messager et d’empêcher ainsi la synthèse de la protéine correspondante. Le séquençage de l’ensemble des gènes et en particulier de ceux qui sont fortement exprimés dans les cellules cancéreuses, permet d’identifier des cibles potentielles

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l’approvisionnement extensibles à l’UE, des stratégies de suivi et de rappel des produits en cas de problème. Logiquement, les analyses bactériologiques élaborées de typage des souches et l’accroissement des mesures de surveillance « de l’étable à la table » devraient conduire à une réduction notable des risques provenant de la filière viande. Cependant les autres causes, soit induites par des bactéries de groupes légèrement différents des STEC, telle la souche O104 responsable en 2011 de la « crise du concombre » qui était en réalité due au fenugrec, soit résultant de tous les défauts d’hygiène (en particulier de contaminations fécales) mériteraient d’être mieux identifiées afin d’en assurer la prévention.

pour les ARNi. Les ARNi sont très aisément synthétisés chimiquement. Les ARNi se dégradent après administration à des patients. Il faut par ailleurs les cibler vers les cellules cancéreuses. Il était admis que la protéine ID4 devenait une cible de première importance pour détruire les tumeurs ovariennes. Aucune des molécules synthétiques capables d’inhiber la protéine ID4 in vitro ne s’est avérée avoir des effets anticancéreux notables. En effet, la protéine ID4 se trouve dans le noyau des cellules où les molécules exogènes inhibitrices ne vont pas. Des nanoparticules contenant des ARNi dirigés contre l’ARN messager de la protéine ID4 caractéristique des cellules tumorales ovariennes et une molécule capable de reconnaître une protéine de ces cellules ont été administrées à des souris souffrant d’un cancer expérimental. Jusqu’à 82% des souris ont vu leurs tumeurs disparaître rapidement et sans effets secondaires apparents [1]. Les nanoparticules n’ont pas fini de nous étonner. Louis-Marie Houdebine Biologiste – Directeur de recherche honoraire INRA [1] Trafton A., (2012) New nanoparticles shrink tumors in mice. http://web.mit.edu/newsoffice/2012/newnanoparticles-shrink-tumors-in-mice0816.html

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Regards sur la science Des erreurs fécondes C’est le sujet apparemment paradoxal que traitent D. Kaiser et N.H. Creager, dans le numéro de juin 2012 du Scientific American (« The right way to get it wrong »). Plongeant dans l’océan des théories erronées, ils ressortent avec deux exemples de telles exceptions. Le premier, en mécanique quantique, est celui d’un schéma conçu par N. Herbert en 1981. Basé sur les résultats de N. Bell qui conduisirent au concept d’intrication1, il aurait permis l’envoi de messages à une vitesse plus grande que celle de la lumière, ce qui est en contradiction totale avec la théorie de la relativité. Il fallut beaucoup de recherches pour découvrir l’erreur qui était cachée dans le schéma. Mais elles permirent une avancée spectaculaire avec un théorème qui interdit la copie (ou le clonage) d’un état quantique inconnu sans perturbation de cet état. Ce théorème est à la base de fructueuses études de cryptographie quantique2. On se souvient qu’en septembre 2011, une annonce analogue sur la vitesse des neutrinos avait fait la une dans la presse. Mais en juin 2012, les auteurs d’OPERA ont finalement reconnu leur erreur, qui n’aura sûrement pas l’intérêt de la précédente ; on espère qu’elle servira au moins à renforcer le contrôle des mesures de distance dans les projets semblables.

Le second exemple de nos auteurs porte sur les recherches menées en 1943 par M. Delbrück, ancien étudiant de Niels Bohr. Il pensait que les virus avaient un seul gène et que la cellule hôte ne jouait pas de rôle dans leur reproduction. Ses tentatives de mise en évidence de ce gène échouèrent mais elles entraînèrent l’étude des bactériophages, par microscopie électronique, qui montra la complexité de ces organismes. Son erreur peut ainsi être vue comme étant à l’origine des recherches sur la structure de l’ADN. Comment soutenir des recherches audacieuses, éventuellement fondées sur des erreurs, mais qui peuvent conduire à des avancées inattendues ? C’est la question que se posent les auteurs dans leur conclusion. Georges Jobert Ancien directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris 1 Dans certaines conditions, on ne peut décrire séparément l’état quantique de deux objets, même s’ils sont spatialement séparés. On dit alors que ces objets sont dans un état intriqué. 2 Il s’agit en fait de méthodes permettant de donner à deux communicants accès à une même clé de chiffrement en assurant la sécurité de la transmission. Toute tentative de violation du message est détectée.

Qui faut-il croire ? Un livre « d’histoire » fait grand bruit en ce moment : il s’agit de Métronome, l’histoire de France au rythme du métro parisien, de Lorànt

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Saint Thomas d'Aquin (1225-1274)

Deutsch. Publié il y a trois ans, il a été vendu à deux millions d’exemplaires, et l’auteur a même été décoré de la médaille de vermeil de la Ville de Paris. De plus, l’ouvrage a donné lieu à une série documentaire sur France 5 en avril 2012. Il semble que ce soit à l’issue de cette diffusion que quelques historiens professionnels se sont réveillés et ont commencé à émettre des critiques sur ce livre, l’accusant en particulier d’être idéologiquement marqué. En effet, Deutsch se dit luimême « monarchiste » ; il a répondu dans une émission de France Inter que « l’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique », déclaration pour le moins surprenante ! Par ailleurs, il semble que Métronome contienne de nombreuses erreurs historiques, des récits inventés, et soit caractérisé par un manque total de sources. À la suite de cette critique, d’ailleurs, l’auteur a ajouté quelques références dans la deuxième édition.

Je ne suis pas historienne et ne prétends nullement prendre parti dans cette controverse, mais cette affaire m’en rappelle de nombreuses autres qui se sont produites dans le domaine scientifique, et je pense que le phénomène mérite toute notre attention. Qu’y voit-on en effet ? Un personnage médiatique (acteur connu), publiant un livre d’histoire qui a un énorme succès populaire. Il est clair que le nom de l’auteur et la publicité dont il a bénéficié y ont été pour quelque chose, mais ce n’est pas tout. La forme anecdotique, les aphorismes assénés, les aspects « révolutionnaires » remettant en cause les idées reçues plaisent souvent au grand public. Il en est de même dans le domaine des sciences « dures ». Par ailleurs, on peut se demander pourquoi il a fallu attendre trois ans pour que les historiens s’intéressent à ce livre. Mon impression est qu’un syndrome identique existe pour les livres pseudo-scientifiques : les professionnels méprisent souvent ce genre d’ouvrages et estiment que ce serait une perte de temps que de les critiquer. Ils craignent également de passer pour des gens aigris, gardiens du temple d’une orthodoxie passéiste, et jaloux de leurs privilèges, ce que ne manquent pas de leur reprocher les non-spécialistes. Dans ma propre discipline, l’astronomie, plusieurs scientifiques écrivent régulièrement des livres pour le grand public. Il faut dire que c’est une science fascinante et assez facilement popularisée. Hubert Reeves, en particulier, a publié des ouvrages qui ont été en leur temps de vrais

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best-sellers. Outre qu’il est une figure médiatique connue, il a de grandes qualités pédagogiques et poétiques, tout en gardant une rigueur scientifique. Cependant, le succès de ses livres est loin d’être aussi grand que ceux d’autres auteurs, comme les Bogdanov dont une des thèses a fait l’objet d’un rapport très critique du CNRS. Or, ces personnages sont considérés par le grand public comme ayant réussi à comprendre ce qui s’est produit Avant le BigBang (titre de leur dernier livre), alors que tous les physiciens butent sur ce problème très complexe, qui nécessite d’avoir réussi à unifier la force de gravité avec les forces microscopiques ! Mais il serait très difficile d’en convaincre les admirateurs des Bogdanov à moins de rentrer dans une polémique de haut niveau, incompréhensible pour les non-spécialistes. Dans ces conditions, que faire ? Par quels moyens s’attaquer au problème ? Et l’enjeu vaut-il d’y consacrer une grande énergie ? Personnellement je le pense… Suzy Collin-Zahn Astronome – Associée au LUTh, Observatoire de Paris-Meudon

Les apports « accessoires » de Poincaré Nous célébrons cette année le 100e anniversaire de la mort de Henri Poincaré. Posons-nous la question : l’héritage de Poincaré ne consiste-til qu’en quelques articles scientifiques aujourd’hui approfondis et donc dépassés ? Vous devinez la réponse.

Remarquons d’abord que les étudiants travaillaient à l’époque sur des mathématiques que l’on ne prise plus guère. Les problèmes des concours étaient d’une teneur surannée, les mathématiques du géomètre Chasles1. Je ne sais pas si un mathématicien actuel voudrait attaquer le problème ou même comprendre la solution donnée par Poincaré à ce problème du concours général où il obtint le premier prix. Cela n’a pas empêché Poincaré de poursuivre par la suite une recherche moderne. Moralité : les programmes d’enseignement n’ont guère d’importance, pour autant que l’on enseigne aux élèves à réfléchir ! Les erreurs de Poincaré sont légendaires, ses prolongements sont riches. La plus connue est celle liée au « Problème des trois corps » où il s’agit d’analyser le mouvement de trois masses soumises à l’interaction gravitationnelle. La solution de cette question de formulation simple est d’une extrême complexité. Poincaré, conscient de la difficulté, simplifie le problème et considère

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qu’un des trois corps est de masse nulle ! Il voulait montrer, avec l’exemple le plus simple possible, où était le nœud du problème. Cette manière d’élaguer les difficultés accessoires pour se focaliser sur la difficulté principale est source d’inspiration. De plus, sa solution (fausse mais féconde) a inspiré plusieurs générations de mathématiciens. Poincaré avait exploré avec succès les arcanes mathématiques de la relativité restreinte quelques mois avant Einstein. Toutefois, il n’avait pas développé, comme l’a fait Einstein, ses prolongements physiques et quasi philosophiques sur la nature du temps. Son erreur a été de ne pas voir tout l’intérêt du sujet. Il est bien d’autres enseignements

de Poincaré, un commentateur trouvant toujours dans les œuvres d’un homme de génie mille belles intentions. Poincaré était un géant d’une stature anormale en mathématique et en philosophie de la Nature. La « normalité » indûment portée au pinacle aujourd’hui n’est pas de mise en sciences. Philippe Boulanger

Physicien – Fondateur de la revue Pour la Science 1 Voir par exemple : www.les-mathematiques.net/phorum/file.php?17,file=24138,file name=La_solution_de_Poincar_.pdf

Rubriques coordonnées par Nadine de Vos

La cuisine note à note Hervé This

Nous signalons bien volontiers...

Belin, 250 pages, 19,90 € Quelle est l’origine de cette odeur merveilleuse et familière qui caractérise de nombreux champignons et dans laquelle on retrouve à la fois du champignon, du sous-bois, de la forêt profonde et humide... ? Un composé au nom étrange, le 1-octène-3ol. Pourquoi ne pas tenter de s’en servir en cuisine, tout comme on utilise une épice ? Et le limonène, avec sa merveilleuse odeur fraîche, qui rappelle les citrons, les oranges…? Et le sotolon, à l'odeur de noix, de curry, de fenugrec, de vin jaune… ? Etc. Ces composés et bien d’autres, que l’on sait isoler ou synthétiser, enrichissent les étagères de la cuisine, à côté de l'eau de fleur d'oranger, de la noix de muscade, du gingembre... Et pourquoi ne pas se livrer à des mélanges de deux de ces nouveaux alliés culinaires ? Puis de trois, puis de quatre... C’est cela la « cuisine note à note »: la réalisation de mets à partir de composés purs, mélangés habilement. La révolution culinaire est en marche. À la clé, des mets inédits, des goûts nouveaux et une infinité de possibles pour des cuisiniers créatifs. Nos fruits, légumes, viandes et poissons céderont-ils la place à des composés purs ? La cuisine note à note prendra-t-elle le pas sur la cuisine traditionnelle ? Le débat est lancé. Présentation de l’éditeur Hervé This dirige le Groupe INRA de Gastronomie moléculaire à AgroParisTech, et il est directeur scientifique de la Fondation Science & Culture Alimentaire (Académie des sciences). Il est l'auteur de nombreux livres sur la gastronomie moléculaire, discipline dont il est le co-inventeur.

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José Tricot (1930 – 2011) osé nous a quittés à l’âge de 81 ans. Ses dessins humoristiques qui ont illustré Science et pseudo-sciences pendant près de vingt ans ans l’ont rendu familier à bon nombre de nos lecteurs. Tout en finesse, ses coups de crayon savaient résumer simplement une situation ou un propos complexe, sans jamais faire preuve de la moindre méchanceté. Ses dessins étaient, à l’image de son auteur, pleins d’humour, de gentillesse et de discrétion.

J

Après 25 ans de travail en tant que technicien dans l’industrie, José se consacre entièrement au dessin à l’âge de 46 ans. Il publie dans France-Dimanche, Le Hérisson, Liberté-Dimanche, le Vermot et Intermonde-Presse. Cela lui suffisait pour, disait-il, « assurer sa biscotte quotidienne ». Rationaliste convaincu, José a régulièrement collaboré, bénévolement, à Science et pseudo-sciences, non seulement en illustrant des articles à paraître, mais en rédigeant pendant plusieurs années une série de textes qu’il avait intitulé « Les chroniques de l’hyperparanormal ». Partant du constat que, « en gros, ce qui est vrai, c’est ce qui est vérifiable », mais que, par contre, « ce qui n’est pas faux mais qui n’est pas vérifiable peut constituer un véritable délice », ses chroniques se sont emparées de ces espaces imaginaires, mais pas scientifiquement infondés, invitant les lecteurs à se « régaler de ces vrais faux faux… ». À travers ses chroniques, José s’appuyait sur une connaissance très fine de la physique, de l’astronomie et la mécanique, acquise pour une bonne part en autodidacte, et rendait accessibles à tous des disciplines réputées arides. José était toujours d’une grande discrétion. Il parlait très peu de lui. Cet autoportrait, accompagné de quelques lignes rappelant les principaux journaux auxquels il a collaboré, est un des rares documents où il évoque sa vie de dessinateur. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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José a légué à l’AFIS le droit d’utiliser l’ensemble de ses dessins (plusieurs milliers de planches). En hommage à l’artiste, et à l’ami qui va beaucoup nous manquer, nous préparons un numéro spécial regroupant l’ensemble de ses chroniques (dont quelques-unes inédites) agrémentées de quelquesuns de ses dessins. En attendant d’autres projets pour rendre l’ensemble de son œuvre accessible à tous.

Le clin d’œil de José

– Vite, appelez un médecin... – Oh là là ! j’ai jamais vu une ligne de vie aussi courte...

– Je ne comprends pas que tu t’affoles pour cette stupide prévision de météorite géante !..

– Votre test graphologique est formel : vous êtes physiquement très fragile.... PLACEBO

– Des gélules fabuleuses ! Quand je regarde la boîte, j’arrête de tousser !

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Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

Heureusement, la lumière est invisible José, Chronique de l’Hyper-paranormal Science et pseudo-sciences n°248, septembre 2001 Vous êtes seul, assis dans le grand fauteuil du salon, avec simplement la lampe de l’abatjour allumée. Vous êtes prêt à jurer qu’il ne se passe rien. Second cas de figure : accoudé à la balustrade du jardin des Tuileries, côté Orangerie, vous contemplez la place de la Concorde. Un magicien métaphysique y dépose la totalité de l’humanité. Six milliards d’habitants, en vrac, en plusieurs couches. Dans cette fourmilière grouillante ils se mettent à courir dans tous les sens. Curieusement, ils y arrivent facilement sans se tamponner. Ce spectacle surréaliste n’est pourtant rien à côté de ce qui se passe dans votre salon feutré. Les photons quittent la lampe. Ceux qui ne s’écrasent pas sur l’abat-jour rebondissent sur tout ce qui traîne dans le salon, murs compris. Ils sont réémis éventuellement en infrarouge, même par l’abat-jour. Vous pouvez déplacer votre tête, ou la tourner, ils sont – Qu’est-ce que j’apprends ?!! Mon salon est partout. En tout point de l’espace, bourré de particules ! et, dans toutes les directions, il y a des photons baladeurs qui emportent leur petit bout d’image. Notre salon, ce n’est pas un espace vide : Il est bourré de photons sans aucun interstice vide... Pour « voir » quelque chose, il faut fort heureusement que la rétine « digère » le photon. Personne n’a jamais vu un photon. Pour qu’on « voie » un photon, il faudrait qu’il émette... un photon. Si vous avez un tonton richissime physicien des particules, ne lui répétez pas trop souvent qu’un photon, c’est un corpuscule de lumière, il finirait par vous déshériter. Si les photons étaient visibles, l’univers serait une monstrueuse mayonnaise luisante. La place de la Concorde embouteillée semble désertique à côté de notre salon. Par chance, quand deux photons se rencontrent, ils ne se parlent pas et se passent joyeusement au travers (sauf s’ils sont frères jumeaux et que Monsieur Fresnel les autorise à interférer). Tout cela se passe à une vitesse faramineuse (il n’existe pas de photon immobile : s’il s’arrête, il redevient un peu d’énergie idiote, et le carrosse se convertit en citrouille). Au fait, nous avons oublié de vous dire que votre salon est également bourré de molécules d’air. Quand un photon se déplace en ligne droite, chaque fois qu’il parcourt un millimètre, il se cogne à une dizaine de millions d’atomes alignés l’un derrière l’autre. Et il s’en sort sans une égratignure. C’est une Formule 1 traversant la jungle tropicale sans rayer sa peinture. Si tout cela vous semble rigoureusement incompréhensible, c’est que vous avez un cerveau parfaitement sain. Vous pouvez, bien sûr, acheter un très gros livre de mécanique quantique. En le laissant ouvert sur la table basse du salon, vous étonnerez tous vos amis. Mais n’espérez pas plus.

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Y aurait-il un « grand mensonge du cholestérol » ? Bernard Swynghedauw Bernard Swynghedauw est docteur en médecine, docteur ès sciences, ancien interne des hôpitaux de Paris, directeur de recherches émérite à l’INSERM, membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine, past-president de la Federation of European Physiological Societies (FEPS). Il a pendant longtemps dirigé une unité de recherches de cardiologie de l’INSERM à l’Hôpital Lariboisière à Paris. Il a publié deux ouvrages consacrés aux relations entre médecine et évolution biologique.

ne dénonciation d’un prétendu « complot » ou « grand mensonge du cholestérol » fait recette sur Internet et en librairie. Un réseau international s’est ainsi constitué, The International Network of cholesterol skeptics (THINCS), dont l’un des représentants en France est le Docteur de Lorgeril, auteur de plusieurs livres grand public, et qui proclame que le cholestérol n’a à voir ni avec la genèse des plaques d’athérosclérose1, ni avec ses manifestations cliniques, et qu’essayer d’en abaisser la concentration dans le sang, en particulier au moyen des statines, n’aurait aucun sens. Pour lui, tout ceci serait le résultat d’un complot ourdi par des médecins, chercheurs, biologistes, sociétés savantes, industrie pharmaceutique et régimes politiques2.

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Les campagnes de ces « militants anticholestérol » méritent d’être dénoncées avec une vigueur particulière car elles ont de nombreuses conséquences, non seulement en ce qui concerne les personnes en bonne santé, mais aussi en ce qui concerne de très nombreux malades. La science de l’athérosclérose n’a pas, bien évidemment, permis de rayer de la carte cette affection, elle a néanmoins suffisamment progressé – sur tous les fronts – pour que l’on puisse, en 2012, lui attribuer une grande partie de l’augmentation de la durée de vie que l’on observe depuis des années dans nos pays. La mortalité globale, en France, diminue régulièrement et cette diminution est essentiellement une conséquence de la réduction de la mortalité cardiovasculaire3. 1 À l’origine de nombreuses maladies cardiovasculaires, l’athérosclérose se caractérise par le dépôt d’une plaque de lipides (athérome) sur la paroi des artères, entraînant par la suite sa lésion (sclérose). 2 François Diévart. « Le retour de la théorie du complot ». Réalités Cardiologiques 2/03/2011 3 On trouvera ces données épidémiologiques, pour la France, dans les mises à jour que publie régulièrement l’INSERM [voir par exemple Aouba A et col. « Les causes médicales de décès en France en 2004 et leurs évolutions 1980-2004 ». Bul Epidémiol Hebd 2007 ;35-36 :308-314].

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Infarctus : le cholestérol serait hors de cause ! Un des ouvrages majeurs des « militants anticholestérol » en France est Cholestérol, mensonges et propagande de Michel de Lorgeril4. Le jugement y est sans appel : « le cholestérol est innocent et ne bouche pas les artères », il est « illusoire » de chercher à baisser son cholestérol pour baisser le risque d’infarctus, les différents médicaments « anti-cholestérol » proposés sont inefficaces (page 199).

Pieter Bruegel l'Ancien (1526/1530–1569), Le triomphe de la mort

Mais si ce n’est pas le cholestérol qui est responsable de l’infarctus, c’est quoi ? Le mécanisme proposé est surprenant : l’infarctus serait dû à la seule formation d’un caillot dans la circulation coronaire. Pas un mot sur son mode de formation, pourtant essentiel, pas un mot sur les milliers de travaux qui mettent en cause le cholestérol et de tout ce qui est maintenant bien établi concernant le mécanisme de l’athérogenèse. Le caillot serait dû à un processus, non expliqué, mettant en cause les plaquettes, la coagulation et la fibrinolyse. Pas un mot sur la paroi elle-même (p 228) ! Pas un mot sur le gigantesque et minutieux travail effectué par des centaines d’équipes et qui a établi progressivement la séquence d’événements depuis la pénétration du cholestérol dans la paroi jusqu’à la formation des stries lipidiques, leur transformation en plaques et leur ulcération, laquelle est à l’origine du caillot qui finalement va obturer l’artère. Une « inculture », pour reprendre le vocabulaire même de l’auteur, surprenante. Ajoutons les nombreuses simplifications abusives (exemples en encadré) que l’on retrouve dans le livre.

4 Thierry Souccar Editions (18 septembre 2008). Le même éditeur a publié, dans une même collection, et sous le titre générique « mensonges et propagande » : Lait, mensonges et propagande ; Vaccin, mensonges et propagandes.

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Exemples de simplifications abusives Pour nier le rôle du cholestérol dans les maladies coronariennes, un certain nombre de simplifications sont opérées. La confusion des bases cliniques du raisonnement pose tout autant problème : la linéarité de la relation cholestérol–maladies coronariennes est niée, en omettant le fait que cette linéarité n’est observée que par classe d’âge. Une étude1 a porté sur près de 900 000 adultes dont 55 000 sont morts de maladie vasculaire. Elle a montré une relation linéaire entre le taux de cholestérol sanguin, par classe d’âge, et la mortalité cardiovasculaire. La relation est, bien évidemment, beaucoup plus forte chez les adultes jeunes que chez les adultes âgés. Les essais cliniques portant sur les statines sont analysés d’une manière outrageusement sélective. Les statines (à la base des traitements anti-cholestérol) sont présentées comme des substances dangereuses, cancérigènes, et n’ayant aucun effet sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaire, malgré les très nombreuses preuves du contraire (voir plus loin). L’argumentation est basée sur de nombreuses simplifications, voire des erreurs. Deux exemples pour illustrer. Page 170, les deux essais cliniques de prévention secondaire CARE et LIPID sont présentés comme figurant dans un contexte « d’hystérie collective » et comme fournissant des résultats différents et contradictoires, ce qui est inexact : CARE porte sur 4 159 patients traités avec de la pravastatine, le risque de décès d’origine coronarienne y est réduit de 24 % ; dans LIPID, qui porte sur 9 014 patients, ce même risque est réduit avec le même médicament de 29 %2. L’essai ILLUMINATE, cité dans le tableau de la page 189, est présenté comme témoignant « d’une augmentation inattendue de la mortalité ». En fait, cet essai ne porte pas sur les statines mais sur les effets de l’addition à un traitement déjà institué avec une statine du Torcetrapib, un hypocholestérolémiant qui agit selon un mécanisme complètement différent de celui des statines3, ce que confirme l’annexe 4. L’essai, quoique négatif, a bien été publié au grand dam des inventeurs du Torcetrapib, les laboratoires Pfizer en l’occurrence, et cette publication a eu un effet désastreux sur ce laboratoire. 1 Prospective Study Collaboration. Lancet 2007, 370, 1829-1839 2 New England Journal of Medicine, NEJM, 1996, 335, 1001 ; Circulation 1998, 98, 2513 ; NEJM 1998, 339, 1349. 3 NEJM 2007, 357, 2109-2122

Les « militants anti-cholestérols » accusent l’industrie pharmaceutique d’être à l’origine de ce « grand mensonge », afin de promouvoir la vente de ses produits. Le médicament peut en effet être un enjeu économique majeur, et cet enjeu a conduit à des dérapages récents célèbres, mais il est bien évident que si ce seul argument suffisait à rejeter une thérapie, il ne resterait plus guère de traitements disponibles sur le marché. Par ailleurs, quel que soit le jugement que l’on peut en avoir, seule l’industrie a la puissance pour développer et permettre l’évaluation d’un médicament. Elle a les moyens de financer non seulement les recherches basiques, mais aussi les essais cliniques qui portent généralement dans ce domaine sur des milliers de patients et il est évident que cela génère des abus. Les organismes de recherche publique n’ont dans aucun pays les moyens de ce type de financement à de très rares exceptions près. Il faut aussi remarquer que ce 16

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n’est pas l’intérêt bien compris des industriels de commercialiser des médicaments inefficaces ou dangereux qui seront diffusés sur une très grande échelle, les retours de bâton sont inévitables et toujours très douloureux. Il existe par ailleurs de nombreux exemples d’essais négatifs publiés dans les plus grands journaux malgré la publicité négative qu’ils donnent à leurs promoteurs (voir par exemple l’essai sur le Torcetrapib cité en encadré).

Verres de vin, omega-3 et régime crétois contre traitements validés Face à ce « véritable complot du cholestérol », les auteurs opposent un plaidoyer en faveur d’une diététique « saine et naturelle » et une littérature relatant des résultats peu reproductibles, axée sur les bienfaits du verre de vin, des Omega 3 et du régime méditerranéen. Le Dr de Lorgeril a lui-même participé à une étude sur un traitement de l’athérosclérose, portant sur les bienfaits du « régime crétois » (consommation abondante de fruits, de légumes, de céréales et d’huile d’olive et faible consommation de viande et produits laitiers), l’étude de Lyon, aux résultats surprenants puisque la mortalité y était réduite de 70 % ! L’ampleur exceptionnelle de ces résultats, le grand nombre de biais méthodologiques, le petit nombre de sujets inclus et le fait qu’elle n’ait jamais été reproduite, suscitent le doute. L’auteur se présente également comme un partisan des Omega 3 sur lesquels il a écrit un livre, mais il n’a toujours pas été démontré, y compris par des études de grande puissance, que l’apport des Oméga 3 dans l’alimentation améliore le pronostic cardiovasculaire, tant en prévention primaire (prévenir le risque) que secondaire (diminuer les conséquences pour les personnes atteintes). Le seul effet démontré est une diminution des triglycérides plasmatiques qui sont un facteur de risque encore discuté.

Le rôle du cholestérol dans les maladies cardiaques Les cardiopathies ischémiques et les accidents vasculaires cérébraux (AVC)5, constituent l’une des toutes premières causes de mortalité dans le monde. L’origine de ces deux groupes d’affections est un processus morbide complexe, appelé athérosclérose. Cette affection est multifactorielle et a une double origine, génétique (la composante génétique6 est forte et les 5 Il y a ischémie quand le sang n’irrigue plus un organe, les cardiopathies ischémiques sont des maladies du cœur dues au fait que le muscle cardiaque ne reçoit plus suffisamment de sang par les vaisseaux qui en assurent normalement l’irrigation, les vaisseaux coronaires ; les AVC ont la même origine et sont dus au fait que les vaisseaux cérébraux n’irriguent plus le cerveau correctement. 6 Il existe de nombreuses formes monogéniques d’hypercholestérolémies familiales. Certaines de ces formes cliniques, heureusement rares, sont à l’origine d’infarctus du myocarde survenant chez de très jeunes gens. Par ailleurs, la composante génétique des affections dues à l’athérosclérose est forte, bien documentée, d’un grand intérêt pour conforter un diagnostic, mais multigénique [voir le chapitre 1, Partie 3 dans B. Swynghedauw. Quand le gène est en conflit avec son environnement. De Boeck ed. Paris/Bruxelles 2009].

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variants génétiques en cause sont très nombreux) et environnementale (essentiellement liée à un déséquilibre énergétique entre une surabondance alimentaire et une sédentarité excessive). L’importance de ces deux éléments étant éminemment variable d’une personne à l’autre. Un des éléments du consensus scientifique est que le cholestérol circulant joue un rôle majeur dans la genèse même de l’affection, à ses tout débuts, et que la réduction de sa concentration sanguine, la cholestérolémie, constitue une cible thérapeutique majeure. Ce consensus ne repose pas sur quelques idées vagues ou mercantiles, mais sur des milliers d’études reproductibles et reproduites, faites dans de très nombreux pays et qui sont à la fois expérimentales, anatomo-cliniques, cliniques, épidémiologiques et thérapeutiques. Dire que le sujet est documenté est un véritable euphémisme. Tous les traités de cardiologie sans exception comportent plusieurs chapitres sur le sujet. Il existe par ailleurs plusieurs journaux spécialisés de très haut niveau dont Atherosclerosis. Tous font état de ce type de consensus. Un complot jouant en sa faveur, s’il existait, devrait être planétaire et impliquer des dizaines de milliers de médecins et de scientifiques de Paris à New York et de Pékin à Tokyo. Il est non moins certain que le cholestérol n’est pas le seul élément en cause, il existe de nombreuses formes cliniques d’athérosclérose à cholestérolémie normale. De 18

Bon et mauvais cholestérol Le cholestérol est un élément essentiel à la vie cellulaire. C’est, entre autres, un composé de toutes les membranes cellulaires. Son métabolisme est bien connu. Comme tout lipide, le cholestérol est transporté dans le plasma sous forme de lipoprotéines, LP. Ce sont des sortes de particules analogues, la protéine en moins, aux particules qui forment une émulsion d’huile dans l’eau. La fraction protéique des LP s’appelle apoprotéine. Comme toute protéine, elle est codée par un gène et il existe de nombreuses apoprotéines codées par de nombreux gènes. Il existe aussi des mutations sur ces gènes, lesquelles rendent compte d’un certain nombre d’hyper ou d’hypolipidémies génétiques et familiales. Il existe plusieurs types de lipoprotéines que l’on a caractérisées en fonction de leur taille. Les plus importantes sont les Low Density Lipoproteins, LDL, de faible densité et les High Density Lipoprotéins, HDL. Ces LP servent toutes au transport des différents lipides et contiennent toutes du cholestérol. Les HDL servent à épurer le cholestérol des membranes cellulaires vers le foie où il sera éliminé dans la bile. L’élévation du cholestérol des LDL favorise le dépôt de cholestérol qui va progressivement boucher les artères et en éroder la paroi. Cette élévation est due à plusieurs facteurs : l’excès de graisses alimentaires, des anomalies portant sur les récepteurs chargés de faire pénétrer le cholestérol dans les tissus. Depuis longtemps, les dosages de routine d’un bilan lipidique du plasma comprennent celui du cholestérol total et du cholestérol des LDL et des HDL. Les études épidémiologiques ont clairement montré que le risque de faire une des manifestations cliniques de l’athérosclérose, comme un infarctus du myocarde, était lié à une élévation du cholestérol des LDL, le « mauvais cholestérol » et à une baisse du cholestérol des HDL, le « bon cholestérol »1 1 Buja LM. Atherosclerosis : pathologic anatomy. In

Cardiovascular medicine. Wllerson JT, Cohn JN eds. Churchill Livingstone pub. NwY. pp 1325-153.

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nombreuses autres anomalies sont associées de façon causale à l’athérosclérose, comme le diabète, le tabagisme ou l’hypertension artérielle, et le mécanisme en cause inclut certainement plusieurs autres éléments, le plus important étant la réaction inflammatoire7. Il est enfin certain que les tout premiers temps de la fabrication de la plaque d’athérosclérose posent encore des problèmes et comportent encore une large marche d’incertitudes. Les preuves qui concernent le rôle du cholestérol ne sont pas minces. L’athérosclérose se définit par l’accumulation de cholestérol, et d’autres graisses, dans la paroi © Guy Thiant, Le trou du cœur, avec l’aimable artérielle, cette accumulation va autorisation de l’artiste, www.guy-thiant-fineart.net progressivement entraîner la formation de plaques dans la paroi même des artères et déclencher une réaction inflammatoire aux conséquences néfastes. La paroi du vaisseau va se scléroser et s’ulcérer, et c’est ce processus qui sera à l’origine des accidents cliniques comme l’infarctus du myocarde. Le mécanisme comporte encore, bien évidemment, nombre d’inconnues (deux en particulier : le rôle de la réaction immunitaire et celui du « bon cholestérol » et de ses transporteurs). Il est validé par une immense littérature à la fois expérimentale (il y a de nombreux modèles animaux), anatomopathologique et utilisant les nouveaux outils de la génomique. Parallèlement, des multitudes d’études épidémiologiques, certaines portant sur près d’un million de personnes8, ont démontré qu’il existait, pour chaque classe d’âge, une relation parfaitement linéaire entre la concentration du cholestérol sanguin et le risque de faire un infarctus, cette relation étant, bien évidemment, d’autant plus forte que l’on a affaire à des sujets plus jeunes. D’autres hypothèses existent bien évidemment, aucune, pour l’instant n’est étayée par un tel faisceau d’arguments, en particulier l’idée soutenue par les cholestérol-sceptiques et qui a abouti à la prescription du régime dit méditerranéen. Cette hypothèse est faiblement étayée par des arguments épidémiologiques, cliniques ou expérimentaux et les informations sur le sujet ne font guère le poids à côté de ce qui est connu sur le cholestérol et l’inflammation. 7 Voir l’article de D. Steinberg au titre évocateur : « Atherogenesis in perspective : hypercholes-

terolemia and inflammation as partners in crime », Nature Med 2002, 8, 1211-1217, ainsi que la revue de C. Weber « Atherosclerosis : current pathogenesis and therapeutic options ». Nature Medicine 2011, 17, 1410-1422] qui insiste particulièrement sur la réaction inflammatoire. 8 Prospective Study Collaboration. Lancet 2007, 370, 1829-1839

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Les traitements et l’action des statines Abaisser la cholestérolémie est une cible ancienne, longtemps inaccessible faute de médicaments efficaces. Pendant longtemps, le seul traitement des hypercholestérolémies a été la diététique, d’efficacité très limitée, quelle qu’en soit la forme. Il est maintenant possible d’atteindre, en partie, cet objectif. La pharmacopée s’est en effet dotée de plusieurs composés capables d’abaisser significativement la cholestérolémie et, parmi eux, un composé particulièrement actif, les statines, qui sont bien l’une des grandes avancées thérapeutiques de ces temps derniers. Les statines agissent en inhibant spécifiquement l’enzyme qui synthétise le cholestérol. Néanmoins, le cholestérol est aussi un élément essentiel du fonctionnement cellulaire normal et il n’est pas surprenant que les statines aient de nombreux effets secondaires. Certains de ces effets sont bénéfiques comme leur effet anti-inflammatoire, certains délétères comme les douleurs musculaires (les statines, par contre, ne sont pas cancérigènes contrairement à ce que certains ont pu suggérer au début). La prescription des statines à la suite d’un accident coronarien, même chez des patients ayant une cholestérolémie normale (en prévention secondaire, voir encadré), a significativement abaissé la mortalité et la fréquence des récidives. Ceci ne soulève plus guère de contestations au point que la nonprescription d’une statine après un accident vasculaire est actuellement une quasi faute professionnelle. Mais il n’en reste pas moins que ce traitement ne guérit pas la maladie. La prescription des statines à titre préventif, en prévention primaire, chez des personnes ayant un cholestérol élevé mais ne souffrant d’aucune des manifestations cliniques de l’affection, a un effet moins solidement établi qui demande encore confirmation. La recommandation habituelle est de traiter les hypercholestérolémies quand elles dépassent un certain seuil.

Incidence, facteurs de risque, prévalence et préventions L’incidence annuelle d’une maladie ne tient compte que des nouveaux cas apparus pendant ce laps de temps. La prévalence d’une maladie à un temps donné (l’année par exemple), c’est le nombre total de patients souffrant de cette maladie présents à ce moment-là. Un facteur de risque est un état physiologique (l’âge, par exemple), pathologique (l’hypercholestérolémie) ou une habitude de vie (tabagisme) associés à une incidence accrue de la maladie. La prévention primaire comprend tous les actes destinés à diminuer l’incidence d’une maladie dans une population, donc à réduire le risque d’apparition de cas nouveaux. En ce qui concerne la pathologie cardiovasculaire, elle s’adresse aux patients indemnes de toute affection cardiaque ou vasculaire, cliniquement décelable et porte sur les facteurs de risque dont l’hypercholestérolémie, mais ce n’est pas le seul. La prévention secondaire comprend tous les actes destinés à diminuer la prévalence d’une maladie dans une population, donc à réduire la durée d’évolution de la maladie. Elle concerne les patients ayant déjà présenté un accident cardio-vasculaire et porte sur les facteurs de risque et sur la maladie cardio-vasculaire constituée. 20

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Faudrait-il prescrire des statines à tous les hommes de plus de 50 ans ? C’est la question que se pose le plus sérieusement du monde un récent éditorial de la revue The Lancet (11 août 2012), revue de référence dans le domaine médical. Une méta-analyse portant sur 27 études et publiée dans le même numéro de la revue montre un bénéfice significatif de la baisse du taux de cholestérol par la prise de statines, même pour les sujets à faible risque cardiovasculaire. Dans le même temps, cette méta-analyse relève une bonne tolérance des patients à ce traitement. L’éditorialiste du Lancet pose donc la question d’une recommandation de traitement par statines chez des sujets actuellement non ciblés, car ayant un risque d’événement vasculaire majeur à 5 ans inférieur à 10 % et en souligne les conséquences importantes en termes de santé publique et d’économie de la santé qui en résulterait.

Les preuves sont importantes. L’étude HPS parue en 2002 a montré que, dans les populations à très haut risque vasculaire, l’abaissement de la cholestérolémie était bénéfique, quel que soit le niveau de départ. Quatre études faites en prévention primaire (WOSCOPS, AFCAPS, ASCOT et HPS) et trois études en prévention secondaire (HPS, CARE et LIPID) ont montré que les statines réduisaient d’environ 25 à 30 % la cholestérolémie et diminuaient le risque relatif d’accident coronarien d’environ 24 à 30 %9. Une analyse regroupant 14 études différentes faites sur 5 ans et comprenant environ 93 000 sujets et 15 000 événements (ce que l’on appelle une « métaanalyse ») a démontré qu’une réduction de la cholestérolémie de 1 mmol/L (39 mg/L) par les statines réduit la mortalité de 20 %10. C’est sur ce type d’études qu’ont été établies les recommandations qui sont maintenant appliquées en cardiologie.

Conclusion L’athérosclérose est un problème de santé publique majeur dans nos pays. Sa physiopathologie n’est qu’incomplètement connue, tout comme celle du cancer, mais il existe néanmoins un certain nombre de consensus sur le mécanisme de l’affection, sur sa prévention et son traitement, en témoigne la spectaculaire réduction récente de la mortalité cardiovasculaire en France. Le cholestérol fait partie de ce consensus et, pour l’instant, il est admis que les mesures diététiques n’ont qu’un effet très modeste. Malgré certains de ses effets secondaires, les statines sont actuellement le seul traitement qui ait démontré sa réelle efficacité. Prétendre, comme le font certains, que cette thérapeutique est inefficace et que sa promotion participe à un complot monté de toutes pièces par l’industrie pharmaceutique ne résiste pas à l’examen des faits. 9 WOSCOPS : The West of Scotland Coronary Prevention Group. AFCAPS ; Air Force Coronary Atherosclerosis Prevention Study. ASCOT : Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial. HPS : Heart Protection Study. CARE : Cholesterol And Recurrents Events. LIPID : Long Term Intervention With Pravastatin in Ischaemic Disease. CTT : Cholesterol Treatment Trialists. Ce type d’acronyme est couramment utilisé pour désigner des essais de pharmacologie clinique. La référence en la matière est le Professeur Robert Haïat, ancien président de la Société Française de Cardiologie. On trouvera les références de ces essais dans son livre [R. Haïat, G. Leroy. Recommandations et prescriptions en cardiologie. 4e ed. Frison Roche ed. Paris 2011 ; accessible sur www.cardio-log.com]. 10 CTT Lancet 2005, 366, 1267-1278

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Biologie de l’évolution et médecine Christian Frelin et Bernard Swynghedauw

Deux ouvrages de Bernard Swynghedauw

Médecine-Sciences Publication et Lavoisier, 2011, 178 p., 39 €

Ce livre est une introduction à la biologie de l’évolution destinée essentiellement à l’enseignement de cette discipline en biologie dans les facultés et les lycées. Il est préfacé par Michel Morange qui enseigne la biologie à l’École Normale Supérieure et qui est l’auteur de nombreux livres dans ce domaine. Il en souligne les grandes qualités pédagogiques. On y propose que l’enseignement de cette discipline soit développé non pas pour compliquer l’enseignement de la biologie mais, tout au contraire, pour le simplifier et pour rappeler une notion essentielle en biologie : rien ne saurait être enseigné sans une ouverture sur l’évolution. Ce livre est composé de cinq parties qui sont autant de propositions pour organiser cet enseignement. (1) La vie verticalement, c’est-à-dire l’histoire de la vie et de la Terre ; (2) la vie horizontalement, c’està-dire le classement des espèces vivantes ; (3) et (4) les mécanismes qui peuvent se résumer par « hasard et nécessité », hasard de la diversité génétique et de la dérive génétique, nécessité imposée par la sélection naturelle, en sachant l’intrication de ces deux paramètres. La cinquième partie présente des exemples pris chez les espèces primitives dont l’organisation génétique a évolué dans le temps. L’interaction conflictuelle entre un environnement en renouvellement permanent et un génome humain façonné par des millions d’années d’infections ou de famines est détaillée dans le chapitre Médecine évolutionniste. Fait important, les deux auteurs se tiennent à la disposition de leurs collègues enseignants pour s’expliquer et au besoin participer à la mise sur pied de ce type de programme. Marc Fellous

Quand le gène est en conflit avec son environnement Une introduction à la Médecine Darwinienne Bernard Swynghedauw (préface de J.-F. Bach) De Boeck Éditions, 2009, 368 pages, 28 €

Cet ouvrage veut combler un vide, dans la littérature francophone, et contribuer à l’introduction de cette notion majeure qu’est l’évolution dans l’enseignement médical, vétérinaire, pharmaceutique, mais aussi en biologie fondamentale. Les informations biologiques n’ont de sens que dans le cadre de l’évolution et recadrer le fait médical à ce niveau est un des moyens de classer et de hiérarchiser le torrent d’informations biologiques qui submerge actuellement aussi bien le physio-pathologiste que le praticien au lit de son malade. Ce livre tente de ramener la médecine dans le giron de l’évolution biologique, ce qui parait être une démarche essentielle à la compréhension de la physiopathologie. Présentation de l’éditeur

Rencontre avec l’auteur. L’Association Accueil Rencontre Culture de Saint-Rémy-lèsChevreuse (78470) organise un cycle de Séminaires de Sciences Humaines (Salle de l’ancienne mairie, Saint-Rémy-lès-Chevreuse, en face de la gare du RER). Le lundi 19 Novembre 2012 à 14 heures, Bernard Swynghedauw y interviendra sur le thème « Science et pseudo-sciences. Comment s’y retrouver dans les données “scientifiques” fournies par la grande presse ? »

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Vaccination En France, avant l’instauration d’une vaccination généralisée, la diphtérie, le tétanos et la coqueluche étaient, chacune, responsables de plusieurs centaines de décès chaque année. La tuberculose fauchait plusieurs milliers de personnes tous les ans. Des milliers de cas de poliomyélite étaient recensés provoquant quelques dizaines de décès, et laissant invalides des centaines et des centaines d’enfants. Ces souvenirs sont parfois oubliés (mais ce n’est pas si lointain, la fin des années 40 ou le début des années 50) rendant abstraite la nécessité de maintenir dans la population une couverture vaccinale appropriée. Les rumeurs et les peurs d’aujourd’hui ont vite fait de faire pencher du mauvais côté la balance risques-bénéfices perçue par chacun, et particulièrement par les parents devant faire vacciner leurs enfants. Et de fait, la couverture vaccinale pour certaines maladies recule en France et en Europe, et l’on voit réapparaître dans nos pays des maladies que l’on croyait éradiquées ou largement maîtrisées (coqueluche, rougeole, tuberculose...). L’origine du refus des vaccinations (Pierre Bégué).........................24 Les arguments fallacieux des ligues anti-vaccinales.....................36 L’affaire Wakefield : le rôle des lobbies anti-vaccin et les conséquences d’une fraude médicale (Hervé Maisonneuve)..........37 L’insuffisante couverture vaccinale en France et en Europe (Pierre Bégué) ......................................................................................40 Les adjuvants vaccinaux : quelle actualité en 2012 ? (Rapport de l’Académie de médecine) .................................................46

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La grippe H1N1 : une mauvaise gestion de crise et ses effets collatéraux (point de vue de Jean de Kervasdoué) ............................49

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L’origine du refus des vaccinations Pierre Bégué Les oppositions aux vaccins ont un développement préoccupant dans tous les pays occidentaux. Elles vont de l’opposition totale aux hésitations, négligences ou oublis et ont pour conséquence l’insuffisance de la couverture vaccinale. La crainte des effets adverses des vaccins a remplacé la peur des maladies. La société occidentale remet en question la justification de certains vaccins de routine, n’en percevant plus le bénéfice pour les maladies disparues (i.e. polio, diphtérie). Ces refus sont aggravés par les peurs du vaccin, les informations erronées sur Internet ou dans les médias, la perte de confiance dans les experts, certaines croyances. Toutes les enquêtes concluent au manque d’information des parents d’enfants non ou mal vaccinés. Les solutions sont principalement l’instauration d’une information mieux faite sur les vaccins, la révision de la formation universitaire pour les médecins et les soignants, le renforcement de l’enseignement des sciences à l’école et de l’hygiène pour le public afin d’améliorer la compréhension des messages de prévention. Les mesures de santé publique (gratuité des vaccins, obligation ou recommandation, calendrier vaccinal) sont à adapter à chaque pays mais ne donnent pas de solution parfaite. Pierre Bégué est professeur de Pédiatrie, ancien chef de service à l’Hôpital Trousseau, ancien Président du Comité technique des vaccinations (1985-1997). Pierre Bégué est membre de l’Académie nationale de médecine.

’histoire de la vaccinologie est pleine de débats sur les vaccins, à commencer par celui qui, au XVIIIe siècle opposait les détracteurs de la variolisation aux Encyclopédistes, défenseurs de l’inoculation. Aujourd’hui, comme aux siècles précédents, les vaccins ont toujours une position sociologique complexe [1]. Les raisons en sont politiques, religieuses, philosophiques, de plus en plus relayées par les médias. En outre, la meilleure connaissance de l’immunologie accroît la peur des réactions auto-immunes, argument fréquent des mouvements anti-vaccinaux. Mais il apparaît une diversification des oppositions qui préoccupe beaucoup de pays ces dernières années.

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Tableau d'André Brouillet montrant la vaccination d'un enfant en 1895.

Des oppositions déclarées aux hésitations et réticences Les oppositions à toutes les vaccinations s’observent pour une très infime minorité de personnes, dans tous les pays. On estime que 1 % des personnes, au maximum, appartiennent à cette catégorie. Il s’agit souvent de personnes affiliées à des associations ou à des ligues anti-vaccinales, mais il peut aussi s’agir de positions individuelles plus ou moins confortées par des mouvements philosophiques ou religieux. Il est très difficile de convaincre ces opposants, qui ont de plus en plus de sites Internet, où leurs justifications et leurs actions anti-vaccinales sont régulièrement tenues à jour. Les opposants aux vaccinations non obligatoires en France, plus nombreux, acceptent uniquement les vaccins obligatoires, Diphtérie, Tétanos, Poliomyélite, ce qui pose quelques problèmes en raison de l’arrêt de production du vaccin DTPolio1. Ils font souvent partie de mouvements et associations anti-vaccinales À côté des oppositions nettes et déclarées existent de nombreuses formes de refus : hésitations, omissions, réticences, plus difficiles à cerner, mais fréquentes et qui expliquent la situation actuelle. On connaît mieux aujourd’hui ces facteurs de sous-vaccination ou de non-vaccination grâce à des enquêtes qui abordent davantage les questions de notre société. 1 Seule la version DTPolio-Coqueluche est disponible. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Les enquêtes sur les refus vaccinaux En France, des enquêtes de population furent menées plusieurs années de suite par le CFES (Comité Français d’Éducation pour la Santé, devenu INPES, Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé) lors de la surveillance des campagnes de vaccination par le vaccin rougeolerubéole-oreillons en raison de la mauvaise couverture vaccinale de certains départements français. Une enquête portant sur des mères « non vaccinantes » en 1992-1993 retrouve 4 profils types de mères : les « écologistes » qui recherchent une médecine alternative, les « consuméristes » qui revendiquent de choisir librement leur vaccin, les « empiristes » qui pèsent avec leur médecin le rapport risque-bénéfice et les « dépendantes » qui font entièrement confiance au médecin mais demandent à être rassurées. Cette enquête a démontré la réalité de ces profils différents chez les parents refusant les vaccinations « systématiques » [2]. Aux États-Unis, plusieurs travaux récents ont porté sur les causes de nonvaccination. En 2003 le CDC américain (Centers for Disease Control and Prevention, agence de santé gouvernementale) a étudié la signification des retards à la vaccination chez 2921 parents d’enfants de 19 à 35 mois. Les parents qui retardent la vaccination de l’enfant pour maladie ont un profil différent de ceux qui la diffèrent par doute sur l’efficacité ou sur la sécurité des vaccins. La couverture vaccinale complète des enfants à 24 mois est de 70 % chez les parents du premier groupe contre seulement 46 % pour les parents du deuxième groupe. Le rattrapage vaccinal fonctionne donc mal dans cette dernière catégorie. Les parents réticents consultent davantage Internet que leur médecin, ont un niveau d’instruction supérieur et un niveau socio-économique plus élevé que les autres parents [3]. Une autre étude menée sur 150 000 nourrissons entre 1995 et 2001 conclut que les parents des enfants sans aucune vaccination s’y étaient opposés intentionnellement, alors que les parents des enfants insuffisamment vaccinés avaient surtout fait preuve de négligence et d’oubli, malheureusement souvent non rattrapés par leur médecin [4]. Le refus du vaccin au cours de l’adolescence est mieux connu grâce à des investigations récentes sur l’application de la vaccination HPV2 chez les jeunes filles aux États-Unis, mais aussi dans des pays en développement. En France les non-vaccinations, selon l’enquête de Sabiani [5], sont dues à la crainte des effets adverses et au manque d’information. D’après les précédentes publications, il est utile de distinguer les négligences des vrais refus. Beaucoup de négligences sont des refus déguisés, par crainte de la vaccination. Cette attitude est en progrès, en raison de la désinformation et de la propagande sur la sécurité, prétendument mal établie, des vaccins. 2 HPV, virus du papillome humain responsable de très nombreuses infections sexuelles

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Les causes des refus vaccinaux Bénéfice individuel et collectif Le bénéfice d’un vaccin est strictement individuel s’il prévient une maladie sans agir sur sa transmission, tels le vaccin tétanos ou le BCG. Mais pour la plupart des vaccins le bénéfice est à la fois individuel et collectif, car ils modifient la transmission de la maladie, en supprimant le portage microbien (vaccins diphtérie, rougeole, Haemophilus b, pneumocoque, méningocoque). Ce « bénéfice collectif » ou effet-troupeau, peut être perçu positivement ou négativement par le public. Pour les uns, la vaccination est individuelle et liée à un choix personnel, tandis que pour d’autres l’avantage de la protection collective est un argument supplémentaire pour améliorer la santé publique. Mais une vaccination ne concerne qu’un bénéfice lointain. La vaccination est un droit, faisant partie du droit à la santé, mais le refus de vaccination est aussi un droit, qui oblige le médecin à obtenir un consentement éclairé. La vaccination systématique, telle qu’elle est définie par les calendriers vaccinaux, est de plus en plus souvent discutée face aux conceptions individualistes de la société occidentale. La crainte des effets adverses des vaccins a remplacé la peur des maladies La crainte de maladies souvent disparues et méconnues (tétanos, diphtérie, poliomyélite) a été peu à peu supplantée par la crainte des effets adverses des vaccins et la balance bénéfice-risque s’est totalement inversée dans la société actuelle. Pour justifier et expliquer une vaccination, les arguments de « bénéfice » sont plus difficiles à appréhender par le public et même par le médecin, qui n’a pas connu ces maladies. Il est moins convaincant s’il ne connaît pas l’épidémiologie actuelle de ces infections. Les peurs du vaccin Les peurs du vaccin surviennent à la suite de crises pour un vaccin déterminé. Elles persistent longtemps, même après des études démontrant la sécurité du vaccin. On rappellera ici quelques récentes alertes. La crainte des lésions neurologiques provoquées par les vaccins de la coqueluche, à germes entiers, a provoqué l’arrêt du vaccin dans beaucoup de pays et un état endémique de coqueluche en Europe, de 1978 à 1996. Ceci a mené à la mise au point des nouveaux vaccins acellulaires bien tolérés, actuellement utilisés. En Grande-Bretagne, le vaccin contre la rougeole fut accusé en 1998 de provoquer l’autisme et la maladie de Crohn. Il faudra attendre 2010 pour que la publication initiale du Dr Wakefield sur le sujet soit supprimée par le journal Lancet et que le vaccin soit réhabilité. Néanmoins, la peur persiste encore et s’est étendue dans d’autres pays, dont les États-Unis. Aux États-Unis, on constate que certains États ont encore une couverture rougeole insuffisante en 2010, malgré les efforts Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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La peur se propage vite et de façon durable Un rapport publié en France en 2010 par l’Institut de veille sanitaire1 révèle, à propos du vaccin contre l’hépatite B, très controversé dans les années 1990 à cause d’une relation alléguée, mais jamais établie, avec la sclérose en plaques, qu’il aura fallu attendre une quinzaine d’années pour que la couverture vaccinale recommence à augmenter. Le rapport souligne que cette augmentation n’est pas due aux études invalidant toute responsabilité du vaccin, aux communiqués rassurants des agences de sécurité sanitaire française ou internationales, mais tout simplement à l’arrivée de nouvelles générations de parents qui n’ont pas connu la controverse et font vacciner leurs enfants. Le temps, et non pas les démentis scientifiques, semble un élément déterminant pour parvenir à dissiper les peurs… Le temps, mais aussi la conviction des médecins généralistes qui avaient aussi subi les conséquences des doutes sur un lien avec la sclérose en plaques. Sans retrouver les niveaux d’avant la controverse (plus de 97 % se disaient très favorables à la vaccination des adolescents en 1994, alors qu’ils ne sont plus que 78 % maintenant, malgré une légère progression depuis 2003)2. En attendant, la France est toujours en retard, par rapport à ses voisins européens qui n’ont pas connu la polémique. Chaque année, en France, 1300 personnes3 décèdent de l’hépatite B. J.-P.K. 1

http://www.invs.sante.fr/behweb/2010/01/pdf/n1.pdf www.invs.sante.fr/content/download/41267/188875/v ersion/3/file/beh_29_30_2012.pdf 3 http://hepatiteweb.typepad.fr/hepatiteweb/pdf/Plan_h epatites_2009_2012.pdf 2

d’information [6]. En France, la vaccination Hépatite B continue à être redoutée, malgré les études qui, depuis 1995, ont démontré qu’il n’existait pas de lien entre le vaccin et la sclérose en plaques. La peur des adjuvants a relayé cette polémique à la suite de la vaccination contre la grippe pandémique en 2009. La myofasciite à macrophages fait partie de cette polémique, stigmatisant l’aluminium utilisé comme adjuvant. Les croyances Les diverses croyances et certains mouvements philosophiques peuvent profondément altérer la confiance du public. C’est ainsi qu’à partir d’écoles anthroposophiques3 une épidémie de rougeole s’est propagée en 2008 de la Suisse vers l’Autriche, puis vers l’Allemagne. Des mesures immédiates durent être mises en œuvre à l’échelon européen, à la veille du championnat européen de football 2008 à Berlin [7,8,9]. Tout récemment, des auteurs israéliens ont rapporté que seulement 65 % des enfants de parents ultra-orthodoxes de Jérusalem sont correctement vaccinés malgré de bonnes conditions d’accès aux vaccins. Ils insistent sur la nécessité d’améliorer l’éducation sanitaire et la confiance dans les autorités de santé [10].

Le rôle des médias et d’Internet Il est de plus en plus évident que l’information scientifique sur les vaccins, comme pour beaucoup d’autres domaines médicaux, est concurrencée par les médias et surtout Internet. On trouve beaucoup plus de critiques alarmistes sur les sites et sur les blogs que de recommandations en faveur des 3 L’anthroposophie a été créée par Rudolf Steiner (1861-1925), mystique autrichien et « clair-

voyant » autoproclamé. En plus de son intérêt prononcé pour le spiritualisme, Steiner a fondé le mouvement des écoles Waldorf, qui comprennent de nos jours environ 800 établissements et a créé la « médecine anthroposophique » qui inspire des pratiques « biodynamiques ». Voir par exemple : http://www.charlatans.info/medecine-anthroposophique.php [NDLR]

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Louis Pasteur -1885 (tableau d’Albert Edelfelt (1854-1905)

vaccins. Les réseaux sociaux contribuent à disséminer les fausses informations : autisme et vaccin rougeole, crainte du Thiomersal, peur des adjuvants, etc. [11]. Les médias, journaux, radio, télévision, abordent le sujet des vaccins surtout à l’occasion de scandales ou de peurs diverses, au nom de l’information. Les débats télévisés sont très déséquilibrés entre antivaccins et pro-vaccins, semant le doute dans le public, au profit de l’émotion. Il en a été ainsi récemment en France pour la grippe pandémique, les adjuvants, l’aluminium ou le vaccin HPV. En septembre 2011, un débat s’est engagé aux États-Unis sur la vaccination des jeunes filles par le vaccin HPV, suite aux déclarations d’une députée qui accusait ce vaccin d’être responsable de réactions dangereuses et même d’avoir provoqué un retard mental chez une fille de 12 ans. La plupart des grand journaux américains se sont élevés contre une telle désinformation. La revue Nature fit remarquer la gravité de ces incitations au refus de la vaccination [12]. La perte de confiance dans les experts Un autre aspect très inquiétant de nos sociétés modernes est la perte de confiance dans l’expertise. Ce phénomène est général et les vaccins n’y échappent pas. La validité des connaissances scientifiques est remise en question et surtout la bonne foi de l’expert est suspecte en raison des conflits d’intérêt avec l’industrie des vaccins. Cette question est primordiale, surtout dans les pays développés, car elle s’ajoute très lourdement aux autres causes de non-vaccination et de refus [13].

Les conséquences sur la couverture vaccinale L’insuffisance de la couverture vaccinale est le résultat des refus de vaccination et elle conduit à la persistance des maladies et parfois à des épidémies. Elle fut la cause de la persistance de la coqueluche en Europe par arrêt de la vaccination, et de la réapparition de la diphtérie en 1990 en Russie. Depuis 2008, la rougeole sévit en Europe car certains pays, dont la France, après de longues années de stagnation de leur couverture vaccinale sont le siège de foyers épidémiques, avec des complications graves touchant les nourrissons mais aussi des adolescents et des adultes. La poliomyélite aurait pu être éliminée grâce à un vaccin très efficace. Malheureusement, les refus du vaccin dans certaines régions du monde, Nord du Nigeria, Pakistan, a permis la survenue d’épidémies ces dernières années, laissant à penser que le maintien de la vaccination est encore nécessaire pour très longtemps dans le monde entier [14]. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Les solutions proposées peuvent être regroupées sous trois rubriques : l’information, la formation et les mesures de santé publique.

L’information du public et des vaccinateurs Régénérer l’enseignement des sciences à l’école. Depuis plusieurs années, on constate un certain désintérêt de la population pour les disciplines scientifiques, ce qui a conduit à mettre en place de nombreuses initiatives pour attirer l’intérêt des élèves vers ces disciplines. Ce point semble essentiel pour comprendre les doutes de nos sociétés modernes sur la vaccination. Une formation claire à l’école sur la biologie et les sciences exactes permettrait au public de mieux appréhender les notions d’épidémiologie qui soustendent les justifications de la vaccination. Sans cela, le dialogue avec les parents et le public demeurera toujours difficile pour aborder les domaines du choix d’une vaccination systématique, de son coût ou de l’évaluation des effets adverses. Savoir bien répondre aux questions sur les vaccins. Les arguments courants avancés par les parents refusant une vaccination (voir encadré) appellent des réponses scientifiques, compréhensibles et actualisées [16]. Un certain nombre mettent en balance la vaccination et des médecines alternatives. La compréhension de la vaccination passe par trois points essentiels : sa justification vis-à-vis de l’infection prévenue, son activité immunologique et sa tolérance. Les refus ou les doutes portent sur l’un ou l’ensemble de ces trois points. L’infection est-elle si grave qu’une vaccination systématique est nécessaire ? Citons deux exemples d’arguments avancés par les détracteurs des vaccins : « La rougeole est bénigne » et « l’hépatite B est exceptionnelle en France ». Mais, pour le premier, les personnes ignorent les complications encéphalitiques, leur gravité et leur nombre. Pour le second, l’argument maintes fois avancé sans prendre en compte l’extension de cette maladie hautement contagieuse, ses formes insidieuses et surtout la circulation internationale actuelle du virus entre les zones de forte endémie et les pays de faible endémie.

Les principaux arguments avancés par les parents refusant une vaccination 

Les maladies avaient déjà commencé leur déclin avant la vaccination grâce aux progrès de l’hygiène. Les vaccins n’y sont pour rien.



Les maladies ont disparu, il est inutile de continuer à vacciner.



Donner plusieurs vaccins simultanément aux enfants produit une surcharge de leur système immunitaire et augmente le risque de réponse négative aux vaccins.



Beaucoup de personnes vaccinées sont cependant malades. Les vaccins sont inefficaces.



Les vaccins sont responsables de trop d’effets adverses préjudiciables, voire mortels et on ignore leurs effets à très long terme : maladies auto-immunes ou cancers.

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La protection aussi est mise en doute, sur l’argument que des personnes vaccinées contractent la maladie. Si quelques rares personnes, apparemment bien vaccinées, ont eu la rougeole, on omet de dire que la quasi-totalité des cas de rougeole en Europe sont survenus chez des non-vaccinés ! Enfin, la sécurité vaccinale est contestée, sur l’argument que les effets adverses graves ne seraient pas pris en compte, argument central des débats et polémiques médiatiques sur les vaccins depuis 20 ans. Ces constatations montrent que l’information sur la vaccination est insuffisante. Beaucoup de parents sont mal informés et l’ignorent. Le rôle du médecin est essentiel, en particulier en France où 90 % des vaccinations sont faites dans le secteur privé [17]. La communication avec les familles. Les vaccins sont des médicaments particuliers, administrés à titre préventif à des personnes a priori non malades et consentantes. Le geste vaccinal, le plus souvent par injection, est intrusif et redouté. Par conséquent, pour être accepté, il demande une explication patiente et convaincante, nécessitant du temps. Cet effort est plus important que pour un médicament curatif qui laisse entrevoir au malade un bénéfice proche. La notion de bénéfice individuel de la vaccination doit être associée à celle de bénéfice collectif pour parvenir à une couverture vaccinale élevée. On peut cependant se demander si l’information actuelle dans les pays industrialisés convient pour assurer une couverture vaccinale suffisante, puisque celle-ci a tendance à stagner voire à diminuer pour certains vaccins. Des moyens complémentaires sont certainement utiles. Des auteurs anglo-saxons envisagent de mieux prendre en compte la psychologie, le comportement et les croyances des parents, pour déceler ceux qui seraient réfractaires à la vaccination [18,19]. Les rappels de rendez-vous de vaccination par téléphone ou par courriel sont suggérés d’après l’analyse de 553 articles sur l’insuffisance de couverture vaccinale [19]. Une information plus pertinente est nécessaire, mais avec un discours adapté et non moralisateur. Il faut régulièrement s’enquérir des arguments nouveaux et préférés des opposants aux vaccins, afin d’adapter les réponses attendues du public [20]. Les moyens matériels modernes d’éducation et d’information. En France, l’éducation pour la santé est dévolue à l’Institut national d’éducation et de prévention pour la santé ou INPES (ex CFES). Le public et les professionnels de santé peuvent trouver sur son site de nombreux documents sur la vaccination. Mais les campagnes mises en œuvre, la semaine européenne de vaccination ou la campagne sur la rougeole, restent peu visibles auprès des médecins et du public. En Grande-Bretagne, on a suggéré de compléter les documents écrits informatifs par une réunion de parents de deux heures, pour améliorer la confiance des parents dans la sécurité du vaccin triple rougeole-rubéole-oreillons, après la peur de l’autisme. Les parents ayant eu l’information en réunion vaccinaient davantage (93 %) que ceux n’ayant été informés que par un livret (73 %) [21]. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Les sites Internet Pour remédier aux fausses informations sur les vaccins, il est souhaitable que le public connaisse des sites ayant un label de fiabilité [22]. Même s’il est impossible d’empêcher la propagande anti-vaccinale, il est nécessaire de fournir aux parents et au public des sites dont la qualité scientifique soit contrôlée. Une récente publication américaine donne une liste de sites Internet à recommander aux parents hésitants ou se posant des questions [23].

Refonder la formation universitaire Pour bien informer, il faut une formation de qualité des informateurs. Il faut former ceux qui informent sur les vaccins, les médecins mais aussi les autres professions de santé au contact des patients : infirmiers, sagesfemmes, pharmaciens, qui devraient avoir un rôle de choix dans l’information sur les vaccins.

Université à Bologne, seconde moitié du 14e siècle

La refonte de l’enseignement de la vaccinologie dans le cursus des étudiants en médecine est nécessaire car les programmes actuels en France ne comportent que peu ou pas d’heures d’enseignement spécifique. Les politiques vaccinales ne sont pas expliquées, ni les effets adverses des vaccins. Les maladies infectieuses prévenues par les vaccins doivent être enseignées, même si elles sont devenues rares (diphtérie, poliomyélite, etc..). D’un point de vue éthique, le médecin doit connaître les maladies contre lesquelles il vaccine. Il peut ainsi répondre aux questions des patients sur la maladie et la raison de la vaccination, faute de quoi il per-

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dra leur confiance. L’enseignement de l’épidémiologie est primordial pour la compréhension des enjeux vaccinaux en santé publique et pour que le médecin transmette un message compréhensible et fiable aux personnes qui le questionnent. La formation médicale continue devrait proposer plus fréquemment le thème de la vaccination. Il est important que cet enseignement post-universitaire soit assuré par l’Université. L’industrie des vaccins, malgré sa compétence et sa volonté d’aider, ne peut pas être aujourd’hui le vecteur principal de l’enseignement des vaccins. Il faut assurer la transparence d’un enseignement scientifique dégagé de tout lien.

Santé publique et politique Gratuité des vaccins : est-ce suffisant ? La gratuité des vaccins établie dans beaucoup de pays est nécessaire, mais non suffisante. En France, si la gratuité est efficace pour la vaccination des nourrissons et des enfants, elle n’est pas suffisante, puisque la couverture stagne pour plusieurs vaccins. Certains freins d’ordre religieux ou philosophiques doivent aussi être pris en compte. Un calendrier vaccinal complexe et peu commenté On reproche souvent la différence des calendriers d’un pays à l’autre, 29 modes de vaccination diphtérique pour 72 pays, et l’absence d’uniformisation européenne. Les changements fréquents de stratégie ne sont pas bien compris et engendrent plutôt la défiance, même parmi les médecins. Pourtant, le calendrier vaccinal français est de plus en plus documenté et très informatif. La lecture n’en est pas toujours facile pour les non-spécialistes et des calendriers simplifiés sont souhaitables, comme sur le site du CDC américain. Les articles consacrés à ce calendrier et à la pratique vaccinale sont rares en France. Obligation vaccinale ou recommandation ? En France, seuls les vaccins Tétanos, Diphtérie et Poliomyélite sont obligatoires. Les autres vaccins sont recommandés. Cette dualité fait croire au public qu’un vaccin recommandé peut être facultatif, ce qui entrave la compréhension de la politique vaccinale. Ni l’obligation ni la recommandation vaccinale ne sont des solutions idéales face au refus de la vaccination. Le récent rapport sur la santé à l’Assemblée nationale fait part du souhait d’instaurer l’obligation vaccinale pour le vaccin rougeole, ce qui est probablement insuffisant pour gagner les quelques points manquants de couverture vaccinale [29]. Enfin, il est important de rappeler que si cette obligation a permis d’appliquer facilement la vaccination en France et de lutter naguère contre des fléaux, elle a longtemps empêché le corps médical d’apprendre à communiquer sur les vaccins. Une meilleure approche des effets adverses Le recueil des effets adverses post-vaccinaux pourrait être amélioré. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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L’analyse des cas complexes par des médecins indépendants et une écoute plus attentive des familles pourrait améliorer le dialogue et apporter plus de confiance sur l’imputabilité. En quelque sorte, une humanisation de la pharmacovigilance améliorerait la communication sur des évènements graves attribués à une vaccination [20]. Une harmonisation européenne de la prise en charge des effets adverses graves reconnus est préconisé par plusieurs équipes assurant ainsi une meilleure transparence [29]. L’éducation sanitaire Les notions d’hygiène ont cessé de concerner les familles et les éducateurs depuis 50 ans. Cette « instruction » sanitaire est tout récemment évoquée dans le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) en février 2012 [30]. Il est souhaitable aussi de renforcer la médecine scolaire et la médecine du travail qui ont un rôle majeur dans la politique de prévention. La politique vaccinale bénéficierait de ces deux secteurs, école et travail, pour les enfants et pour la vaccination des adultes. l’Institut national de la prévention et de l’éducation pour la santé (INPES) pourrait voir sa place très étendue et centrale, pour coordonner les actions aujourd’hui dispersées. Organisation de la vaccination et institutions politiques Une meilleure cohérence entre les institutions est souhaitable en France. Le rapport de la MECSS note l’« absence de coordination de nombreux intervenants, insuffisance, voire absence de pilotage, grande incertitude sur le montant des financements consacrés à la prévention, manque d’évaluation de plans divers et peu cohérents entre eux, défaut de hiérarchisation des objectifs fixés dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique » [30]. La vaccination en France souffre de cette apparente dispersion des moyens et des acteurs : État, conseils généraux et des différents agences concernées par la politique vaccinale : Haute autorité de santé, Haut conseil de santé publique, AFSSAPS, INPES, Assurance maladie, Éducation nationale, Ministère de la santé et aussi les communes, les associations.

Conclusion Les oppositions à la vaccination représentent un obstacle à la prévention des maladies infectieuses et leur développement est préoccupant dans tous les pays occidentaux. De la simple hésitation au refus complet, elles varient selon les régions. Toutes les enquêtes concluent sur le manque d’information des parents d’enfants non ou mal vaccinés. La formation sur la vaccination devrait être très améliorée en France. L’éducation sanitaire de la population doit être renforcée pour que le dialogue soit plus convaincant entre les vaccinateurs et les personnes. L’influence actuelle des médias et d’Internet justifie une réflexion internationale pour lutter contre la nuisance des informations non scientifiques et erronées. La meilleure organisation et le recentrage des structures responsables de la vaccination est souhaitable en France pour mieux informer le public et restaurer sa confiance. 34

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Les arguments fallacieux des ligues anti-vaccinales Les différentes associations anti-vaccinales connaissent depuis plusieurs années un regain d’activité et bénéficient d’une audience de plus en plus large. Elles puisent leurs arguments à plusieurs sources. La peur : facile à propager La première est bien entendu la peur : celle des effets secondaires des vaccins. Elles n’hésitent pas à propager rumeurs et fausses informations, parfois les plus incroyables, et effrayantes pour ceux qui y croient. De façon plus subtile, certaines vont également médiatiser de façon très partisane toute controverse autour de la vaccination. Un vaccin est un produit actif, et à ce titre, il ne peut pas être inoffensif, sans effets indésirables. L’art est alors de présenter toute controverse scientifique, tout cas malheureux d’effet secondaire grave, comme remettant en cause l’approche vaccinale dans son ensemble et le rapport risque/bénéfice positif. La peur est une arme facile à manier et aux effets d’autant plus redoutables que la vaccination s’adresse à des personnes bien portantes. Chaque individu se voit ainsi mettre en balance un avantage théorique pour la société, mais finalement abstrait (beaucoup des maladies combattues sont peu présentes du fait de la vaccination, justement), et un risque pour soi-même, aux probabilités certes infimes, mais matérialisé pour chacun par l’injection. La raison et le bénéfice ne sont pas à armes égales face à la peur. Les droits de la personne Les ligues anti-vaccinales jouent ensuite sur « les droits individuels » et s’attaquent au « caractère obligatoire des vaccinations comme une atteinte à l’intégrité physique et morale de l’individu et à la liberté de conscience ». Les bénéfices de la vaccination sont niés, et la controverse est transformée en « querelle philosophique ». Ainsi, la LNLV, une des associations les plus actives, affirme, à l’image des créationnistes qui contestent la théorie de l’évolution, que « le “pasteurisme” n’est qu’une théorie scientifique que le corps médical est loin de partager “universellement” et que, par conséquent, l’État ne devrait pas l’imposer ». Ceci pour justifier sa demande d’abrogation de tous les cadres réglementaires concernant la vaccination, et la liberté pour chacun de choisir d’être vacciné ou non, choix que les parents devraient pouvoir imposer à leurs enfants. Pourtant, la santé publique, et plus généralement, le progrès humain, ne peuvent pas se construire sur une somme de décisions individuelles éclairées par la peur et la perception mal informée des enjeux et des réels dangers. J-P.K 1 Site de la Ligue Nationale pour la liberté des vaccinations (LNLV).

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L’affaire Wakefield

Le rôle des lobbies anti-vaccin et les conséquences d’une fraude médicale Hervé Maisonneuve Hervé Maisonneuve est professeur associé au département de santé publique, d’évaluation et d’information médicale, Faculté de médecine, Paris-Sud 11. Il anime par ailleurs un blog qui s’adresse aux professionnels de santé désirant connaître le fonctionnement et les actualités des revues biomédicales. www.redactionmedicale.fr

n Angleterre, douze ans ont été nécessaires pour vaincre les nombreuses résistances et mettre en évidence une fraude dont les conclusions ont été le retrait du droit d’exercer la médecine pour Andrew Wakefield, et la rétractation en 2010 d’un article du Lancet de 1998 sur les éventuels liens entre le vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) et l’autisme. C’est un journaliste d’investigation tenace, Brian Deer, qui aura mis en lumière la fraude et permis de comprendre ce qui s’était passé.

E

En 1996, un cabinet d’avocats anglais mandaté par un lobby anti-vaccin a contacté un chirurgien digestif pour travailler sur le lien entre ROR et autisme. Ce chirurgien, Andrew Wakefield, travaillait alors sur le diagnostic des colites par la détection du virus de la rougeole dans le tissu intestinal et les liquides biologiques, et voulait monter une société produisant des tests diagnostic. L’avocat lui a proposé un contrat pour attaquer les fabricants du vaccin, permettant ainsi à A. Wakefield d’obtenir l’argent nécessaire pour ses recherches. En 1998, A. Wakefield a publié dans The Lancet, avec 12 coauteurs, une étude portant sur une série de douze cas d’enfants et avançant l’hypothèse suivante : le vaccin ROR pourrait être la cause d’un syndrome associant autisme et maladie intestinale. La conférence de presse organisée à l’occasion de la publication de l’article a dérapé en faisant croire que le lien entre ROR et autisme était réellement établi. Les tabloïds anglais se sont emballés et la machine médiatique a dépassé tout le monde en omettant de dire qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse. En 2001, l’hôpi-

Nouvelle alerte sur le vaccin ROR. Lynda Lee-Potter : l’hypocrisie et les mots creux à propos du ROR sont causes de blessures jamais dévoilées. Maintenant, nous voulons la vérité.

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tal a demandé à Wakefield de quitter son poste ; la vaccination ROR a baissé dans le Royaume-Uni (voir la figure en page suivante), avec résurgence de cas de rougeole dans Londres, et en 2006, un premier cas de décès d’un enfant de 13 ans victime de la rougeole a été observé. Toutefois, en 2004, suite aux affirmations réitérées de Brian Deer, The Lancet a réalisé un audit dans l’hôpital où travaillait Andrew Wakefield (mais sans consulter les dossiers des douze patients traités dans l’étude). À l’issue de cet audit, le journal a publié cinq lettres réfutant toutes les allégations de Brian Deer. Mais dix des douze co-auteurs de l’étude controversée n’ont pas soutenu Andrew Wakefield. Brian Deer a néanmoins maintenu ses accusations, et trouvera un relais dans les médias. En 2009, le General Medical Council (GMC) a finalement demandé un audit, dont les conclusions, rendues publiques en 2010, sont sans ambiguïté : les cas rapportés dans The Lancet en 1998 comportaient de nombreuses erreurs par rapport aux dossiers de l’hôpital. Trois critères avaient été proposés pour émettre l’hypothèse d’un lien entre ROR et autisme (autisme régressif, colite non spécifique, symptômes après la vaccination ROR). Or, dans l’article du Lancet, 6 enfants sur 12 remplissaient les 3 critères, mais aucun dans les dossiers de l’hôpital ! En 2012, Andrew Wakefield vit à Austin, Texas, USA et donne des conférences pour des lobbies anti-vaccins. Trois livres ont été publiés sur cette affaire, ainsi que des chapitres de livres et des articles.

Les conséquences d’une fraude médicale Les conséquences des mauvaises pratiques en science sont, de façon générale, mal connues. Qu’ont-elles été dans le cas particulier de l’affaire Andrew Wakefield ? Humaines et financières, elles ont été importantes, mais jamais évaluées, et les connaître est difficile. On peut cependant en identifier quatre types : 

Les coûts individuels : Andrew Wakefield a perdu son emploi de chirurgien, a engagé des procédures judiciaires contre des revues, et contre le journaliste Brian Deer. Le British Medical Journal a été attaqué par Wakefield et a eu à supporter des frais pour se défendre en justice. À tout cela il faut ajouter le temps passé sur ce dossier pour la rédaction. De façon similaire, plusieurs procès aux USA se sont appuyés sur les « résultats » de Wakefield ;



L’image des protagonistes. The Lancet garde probablement sa notoriété, mais le rédacteur en chef a été très critiqué. L’hôpital où exerçait Andrew Wakefield a masqué la fraude pendant longtemps. Les tabloïds anglais, ainsi que des chaînes de télévision qui ont soutenu Brian Deer, sont sortis très positivement de l’affaire. Les lobbies anti-vaccins ont perdu une bataille, mais ils continuent à faire comme si ROR et autisme étaient liés. Quelles images restera-t-il des douze co-auteurs (seuls deux l’ont soutenu) ? D’autres revues qui avaient publié des articles de Wakefield ont dû les rétracter. 38

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Le déclin de la vaccination ROR au Royaune-Uni En bleu, le taux de vaccination chez les enfants de moins de 16 mois. En vert, la proportion de mères estimant que le vaccin ROR est sûr ou presque sûr. 1 : la première publication alléguant un lien entre le vaccin et des maladies intestinales. 2 : la publication alléguant un lien entre le vaccin et l’autisme. 3 : les campagnes médiatiques répétées.

Source : site de Brian Deer d’après des données du ministère de la Santé britannique. 

Coûts scientifiques pour tenter de confirmer l’hypothèse. Combien d’études ont été faites à partir de cette hypothèse et pour quels coûts directs et indirects ? Nous avons recensé 7 études de cohortes, 9 études cas-témoins et 4 études à partir de registres qui ont été publiées après 1998, et aucune n’a mis en évidence de lien entre ROR et autisme. Pendant douze ans, combien d’autorités de santé, combien de départements de pharmacovigilance, combien d’industries pharmaceutiques dans le monde ont analysé, voire re-analysé, des données pour rassurer les décideurs, ou le public ? Combien de dépenses ont été liées aux audits, jusqu’à celui du GMC en 2010 ?



Les conséquences humaines. Les taux de vaccination ROR ayant diminué au Royaume-Uni, combien de cas de rougeole, oreillons ou rubéole auraient pu être évités ? Des morts par rougeole ont été observés. Combien de symptômes, de craintes diverses ont entraîné des consultations médicales, etc. ? Le retentissement sur le public dans les Références pays anglo-saxons (Royaume-Uni et Maisonneuve H, Floret D. « L’affaire USA) n’est pas évaluable, puisque Wakefield : 12 ans d’errance car aucun lien même Tony Blair a été interpellé. Il n’a entre autisme et vaccination ROR n’a été montré ». La Presse Médicale 2012, numéro pas su dire si son dernier né était vacthématique de septembre. Prépublication ciné, ce qui a augmenté la polémique. http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.03.022 2012 iThenticate report. True costs of research misconduct. Disponible sur : http://www.ithenticate.com/research-misconduct-report/ (consulté le 22 août 2012)

L’absence de culture méthodologique et d’esprit critique de la plupart des acteurs explique que des guerres d’opinions aient été médiatisées, et qu’il aura fallu attendre 12 ans pour décider d’analyser les données sources…

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L’insuffisante couverture vaccinale en France et en Europe Pierre Bégué Les refus de vaccination ont pour principale conséquence l’insuffisance de la couverture vaccinale. Le bénéfice collectif d’une vaccination n’est obtenu qu’au prix d’une couverture vaccinale efficace et maintenue. Son insuffisance conduit à la persistance des maladies et parfois à leur glissement vers l’âge adulte. C’est actuellement le cas de la rougeole en Europe, où certains pays, dont la France, après de longues années de stagnation de leur couverture vaccinale, n’ont pas atteint le niveau efficace de 95 % et sont le siège de foyers épidémiques, avec des complications graves touchant des adolescents et des adultes, atteignant aussi les nourrissons très jeunes non encore vaccinés. En France, la couverture vaccinale contre l’hépatite B est également toujours très basse chez les nourrissons et les adolescents. En 1970, on pouvait constater la persistance de la coqueluche en Europe et la réapparition de la diphtérie en 1990 en Russie. En 2010, la société occidentale remet en question la justification de certains vaccins de routine, n’en percevant plus le bénéfice pour les maladies disparues (polio, diphtérie) ou mal connues du public (hépatite B, infections à HPV – Human Papilloma Virus).

e bénéfice individuel ou collectif des vaccins est diversement perçu et accepté. Le caractère « systématique », ou de masse, d’une vaccination généralisée est de plus en plus en opposition avec les tendances individualistes ou libérales de nos sociétés occidentales, mais également d’autres régions du monde, en raison des progrès de l’information et d’Internet.

L

Le bénéfice des vaccins peut être purement individuel s’il n’intéresse que la prévention de la maladie sans interférer sur la transmission : c’est le cas du vaccin tétanos et de la vaccination BCG. Mais pour la plupart des vaccins, le bénéfice est mixte, à la fois individuel et collectif : l’individu vacciné est protégé, mais la transmission de la maladie est également diminuée ou interrompue, grâce à l’élimination du portage microbien ou à la suppression des cas de maladies. 40

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Le terme de « bénéfice collectif » peut être perçu de différentes façons par le public. Certains sont très motivés par le fait qu’en vaccinant leur enfant ou euxmêmes, ils vont améliorer la santé en général et réaliser ainsi un geste citoyen. Inversement, d’autres sont très réticents et redoutent d’être confondus dans la masse, défendant par individualisme leur liberté de choix. Il faudra beaucoup d’explications pour convaincre ces derniers des conséquences néfastes de leur refus sur la santé de leurs contemporains. Si la couverture vaccinale est bonne en France en 2003 pour les vaccins DTP – diphtérie-tétanospoliomyélite – (92 %) ou coqueluche (90 %) elle demeure insuffisante pour le vaccin rougeole (en classe de CM2, 94 % des enfants ont reçu une dose de vaccin et seulement 74 % deux doses) [2,3]. Il existe aussi les insuffisances de la couverture vaccinale chez l’adulte : vaccins contre la diphtérie, le tétanos, la grippe ou le pneumocoque.

L’échec de la vaccination contre la rougeole en Europe Les vaccins disponibles depuis 1963 sont efficaces, puisque tous les pays qui les utilisent constatent une diminution spectaculaire des cas, des décès et des complications. Cependant, la majorité des pays industrialisés éprouvent de grandes difficultés à éliminer la rougeole. En Europe, seule la Finlande a réussi à élimi-

L’évolution des maladies sous l’effet des vaccinations Toutes les expériences passées et actuelles concourent à démontrer que le bénéfice collectif des vaccinations exige une couverture vaccinale élevée. Son insuffisance conduit, d’une part, à la persistance des maladies et, d’autre part, à un dangereux glissement des cas de l’enfance vers l’âge adulte [1]. La vaccination généralisée pour une maladie transmissible inter-humaine produit, dans un premier temps, un effondrement du nombre des cas. La maladie devient rare pendant de nombreuses années. Ce phénomène, souvent nommé « lune de miel », résulte de l’équilibre entre les individus bien vaccinés et ceux qui ont eu la maladie récemment, ces deux populations possédant chacune des anticorps suffisants pour les protéger. Au bout de quelques années, si la couverture vaccinale stagne à un niveau insuffisant, la situation se déséquilibre. La disparition ou la raréfaction de la maladie diminue la fréquence des contacts avec le virus ou la bactérie : de ce fait, les rappels dits « naturels » tendent à s’espacer ou à être absents et l’immunité « naturelle » s’affaiblit : l’effet de « relance » immunitaire n’existe plus. Si une vaccination de rattrapage n’est pas entreprise, on assiste alors à la coexistence de plusieurs catégories d’individus, évaluée par des études de séro-prévalence : les sujets bien protégés par le vaccin ou par la maladie, les anciens vaccinés qui n’ont plus d’anticorps protecteurs ou qui n’ont pas répondu aux vaccins, les anciens malades qui ont perdu leurs anticorps faute de rappel « naturel » et les non vaccinés, par refus ou négligence, qui ne rencontrent pas l’agent pathogène du fait de sa moindre circulation et demeurent réceptifs. Cette situation complexe a deux conséquences principales : – La survenue de foyers épidémiques : une couverture vaccinale insuffisante dans une région pérennise la circulation de l’agent pathogène, créant ainsi des foyers épidémiques à partir des sujets réceptifs. – La modification de l’âge et des symptômes des maladies : formes de très jeunes nourrissons, non vaccinés et non protégés par les anticorps maternels, et surtout formes de l’adolescent et de l’adulte plus graves. Chaque infection a son épidémiologie propre et chaque vaccin une immunité particulière, la conjonction des deux conférant tel ou tel profil aux modifications observées.

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ner durablement la rougeole, la rubéole et les oreillons (depuis 1982 [4]). Une injection vaccinale devrait suffire pour l’éliminer puisque son réservoir est purement humain. Le taux d’infectiosité (Ro) de la rougeole est très élevé, bien supérieur à celui de la varicelle et des oreillons, ce qui nécessite une couverture vaccinale d’au moins 95 %. Une deuxième difficulté est l’absence de réponse sérologique après 12 mois chez au moins 5 % environ des nourrissons correctement vaccinés. Une deuxième dose de vaccin s’impose donc pour rattraper les nourrissons non répondeurs ainsi que les enfants qui n’ont pas eu leur première dose avant 2 ans. Une épidémie de rougeole sévit en Europe depuis 2006 avec 12 032 cas recensés en 2006-2007, dont la moitié en Grande-Bretagne et en Suisse [5]. En France, la rougeole est loin de l’élimination prévue pour 2010, puisque, selon les déclarations obligatoires, on a décompté 604 cas en 2008 et 1525 cas en 2009. Les différents foyers observés se sont développés en 2008 en Bourgogne à partir d’une souche importée de Suisse (génotype D5). En 2009, une large épidémie s’est également propagée à partir de cas chez les gens du voyage. La déclaration obligatoire sous-estime certainement le chiffre réel de cette épidémie. L’absence de vaccination est notée pour 85 % des cas, et 13 % n’ont reçu qu’une dose de vaccin. L’âge moyen est de 12 ans, mais les cas d’adultes sont nombreux, ainsi que les rougeoles de très jeunes nourrissons fragiles. En 2009, sur 1516 rougeoles suivies on déplore que 421 patients (28 %) aient été hospitalisés, dont 119 âgés de 20 à 29 ans et 58 de plus de 30 ans. On dénombre 2 cas d’encéphalites, dont l’une a provoqué le décès d’une fillette de 12 ans, et 70 cas de pneumopathies graves dont un décès [6]. On savait depuis la fin des années 80 aux USA que l’élimination de la rougeole ne serait possible qu’avec une couverture vaccinale de 95 % et une deuxième dose de vaccin. En 1988, la mauvaise couverture vaccinale des nourrissons aux USA fut responsable d’épidémies graves avec de nombreux cas de rougeoles d’adultes [7]. Elles n’étaient pas dues à un refus de la population, mais à une insuffisance de ressources, faute de couverture sociale, et aussi à une erreur de stratégie, car la vaccination était faite trop tard, à l’entrée de l’école à 6 ans. En revanche, les difficultés rencontrées actuellement en Europe proviennent bien de la négligence ou du refus. Pire encore, en Grande-Bretagne, la peur d’une relation entre le vaccin rougeole et l’autisme, à la suite des publications de Wakefield, a entraîné une baisse de la couverture vaccinale responsable d’épidémies de rougeoles et d’oreillons chez les adolescents [8]. Malgré les travaux innocentant le vaccin [9, 10], le public anglais continua à avoir peur de la vaccination rougeole1, d’où une baisse de la couverture vaccinale chez les enfants de 16 mois : 82 % en 1994, 76 % en 1998, suivie d’une épidémie de 1220 cas de rougeole dont 2 décès. La Hollande fut aussi indirectement concernée avec 1750 cas et 3 décès. 1 La publication de Wakefield a été invalidée par la suite, et retirée par le Lancet en 2010, suite à la mise à jour de fausses déclarations (voir l’article dans ce dossier).

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© Coll. BIU Santé Médecine

La vaccination gratuite contre la variole dans le grand hall du Petit Journal Supplément illustré du Petit Journal, daté du dimanche 20 août 1905

L’échec de la vaccination contre l’hépatite B en France Après l’instauration de la vaccination généralisée contre l’hépatite B en France, en 1994, des cas de scléroses en plaques furent rapportés par dizaines chez des adultes vaccinés, suscitant une campagne médiatique sur la vaccination. Cette polémique et la décision du ministre de la santé d’arrêter la vaccination en milieu scolaire en 1998 provoquèrent l’effondrement de la couverture vaccinale chez les adolescents, sa stagnation à moins de 30 % chez les nourrissons, et une méfiance durable à l’égard de ce vaccin (voir encadré), malgré les deux réunions nationales de consensus organisées par le Ministère de la santé en 2003 et 2004. Aucune étude ne démontre pourtant de relation causale entre la vaccination contre l’hépatite B et les maladies démyélinisantes (dont la sclérose en plaques), ni en France ni dans les pays qui recommandent cette vaccination [12,13]. La vaccination de l’hépatite B a subi une autre menace en France, lors de la publication concernant la myofasciite à macrophages et l’aluminium, jusqu’à la conclusion, par l’AFSSAPS en 2004, sur l’absence de relation entre l’aluminium et une maladie généralisée [14]. En 2009, la vaccination des nourrissons français paraît progresser pour la première fois, avec une couverture vaccinale supérieure à 60 %, favorisée par le remboursement du vaccin combiné hexavalent. On peut s’inquiéter cependant de l’augmentation possible des cas d’hépatite B lorsque les adolescents actuellement non vaccinés atteindront l’âge adulte. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Que se passe-t-il lorsque la couverture vaccinale s’effondre ou qu’un vaccin est arrêté ? Illustrons sur trois exemples l’importance de maintenir une couverture vaccinale à un taux adéquat. La coqueluche En 1970, une propagande mondiale sur les supposés accidents neurologiques graves et les morts subites dus au vaccin de la coqueluche à germes entiers provoqua la chute de la couverture vaccinale dans plusieurs pays occidentaux. En Suède, pays bien vacciné dès 1960, la vaccination fut arrêtée en 1979, d’où la réapparition d’une forte incidence de la coqueluche, de 100/100 000, dès 1980 [16]. L’Italie et l’Allemagne (l’Allemagne de l’Ouest à cette époque) avaient également une couverture très faible et une coqueluche endémique y a régné jusqu’en 1996. La vaccination n’a été reprise qu’en 1996, avec les nouveaux vaccins coqueluche acellulaires. En GrandeBretagne, la couverture vaccinale s’est effondrée de 80 % à moins de 30 % dans les années 70, par peur des effets indésirables du vaccin. Deux épidémies de 50 000 cas chacune survinrent en 1978 et en 1982. Par la suite, la Grande-Bretagne a ravivé la vaccination avec le même vaccin, dont la couverture dépassait 90 % en 1993 [17]. Le Japon a cessé également de vacciner en 1978 mais il a cherché une solution, en mettant au point de nouveaux vaccins coqueluche acellulaires bien tolérés, procédé utilisé dans la plupart des pays occidentaux. La diphtérie Une grande épidémie de diphtérie est survenue dans les pays de l’ex-URSS entre 1990 et 1998. Le nombre total des cas recensés par l’OMS a été de 160 000 et le nombre de décès a dépassé 4 000 [18]. La conjonction d’une baisse d’immunité importante chez les adultes et d’un nombre considérable d’enfants non vaccinés à partir de 1989 a favorisé l’explosion de cette redoutable maladie. Après la disparition de l’URSS, la population a rejeté les vaccinations, considérées comme une expression de coercition adminis-

Maladies prévenues par les vaccins viraux avant et après vaccination aux États-Unis (d’après S.Plotkin)

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trative. La crainte des effets adverses des vaccins, sans aucune intervention des autorités de santé pour soutenir les médecins dans leur tâche de prévention, a accentué la sous-vaccination. Cette épidémie a prouvé que la diphtérie pouvait resurgir dès que la couverture vaccinale des enfants passait en dessous d’un seuil de 70 %, et que l’immunité des adultes devait être entretenue régulièrement, ce qui fut à l’origine de la recommandation de l’OMS de pratiquer un rappel tous les 10 ans chez l’adulte. La poliomyélite En 1992, un virus de génotype indien importé du Canada fut responsable, en Hollande, d’une flambée de poliomyélite (69 cas de paralysie, dont deux décès) dans une communauté religieuse refusant la vaccination [19]. Actuellement, la maladie est éliminée d’Europe mais il faut expliquer aux familles que la vaccination doit être maintenue puisque le virus circule toujours dans le monde entier ; ceci souligne la menace que représente l’importation du virus dans les régions où la couverture vaccinale deviendrait insuffisante.

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Rapport de l’Académie de médecine

Les adjuvants vaccinaux : quelle actualité en 2012 ? L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 26 juin 2012, a adopté à l’unanimité le texte d’un rapport portant sur les adjuvants vaccinaux. Nous en publions ici l’introduction et la conclusion. Le rapport est disponible en intégralité sur le site de l’Académie1. es adjuvants vaccinaux sont indispensables à l’efficacité de très nombreux vaccins. Les plus utilisés sont les sels d’aluminium, mais depuis quelques années de nombreux adjuvants nouveaux ont été développés. L’Académie Nationale de Médecine a porté sa réflexion sur ce sujet, car les adjuvants vaccinaux sont devenus une préoccupation pour le public et les médias, notamment depuis la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 en 2009, avec des craintes et des questions sur leur nature et leur utilité.

L

Dans le même temps, un débat s’est installé dans les médias autour de l’aluminium et, en particulier, de l’aluminium des adjuvants vaccinaux. Il est né, en partie, des travaux sur la myofasciite à macrophages (MFM) et de l’hypothèse de son association éventuelle à des troubles neurologiques ou cognitifs. Le rôle éventuel que jouerait l’aluminium vaccinal dans le développement de troubles neurologiques dégénératifs ou de maladies auto-

immunes est à la source d’interrogations, qui ont très récemment conduit un groupe de députés de l’Assemblée nationale à réclamer un moratoire sur les vaccins contenant de l’aluminium. Enfin, la place des nouveaux adjuvants et leur capacité à remplacer les adjuvants aluminiques méritent aussi des éclaircissements. L’Académie de médecine, au terme de ce rapport, apporte les réponses suivantes aux cinq questions posées. Les adjuvants vaccinaux sontils nécessaires, en particulier ceux comportant de l’aluminium ? Les adjuvants restent indispensables à la plupart des vaccins, notamment les plus récents et les plus purifiés et aussi pour les vaccins du futur. Leur rôle est de stimuler les mécanismes de l’immunité innée afin d’activer les cellules qui produisent la réponse immune acquise adaptative.

1 www.academie-medecine.fr/Upload/adjuvants %20vaccinaux %20rapport %20ANM1.pdf

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Que sait-on actuellement du cheminement de l’aluminium vaccinal dans l’organisme humain ? L’aluminium présent dans les adjuvants vaccinaux est sous une forme particulière répondant à des normes physico-chimiques très précises. Des recommandations (OMS, FDA) ont permis d’établir des valeurs toxicologiques de référence pour l’aluminium alimentaire, déterminées à partir de l’expérimentation animale et extrapolées à l’homme : le taux minimal de risque ou MRL (minimal risk level) est fixé à 1 mg/Kg/jour. Il tient compte essentiellement du risque de neurotoxicité. Les vaccins du calendrier vaccinal contiennent une dose d’aluminium réglementaire inférieur à 0,85mg/dose.

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La cinétique comparée entre aluminium ingéré et aluminium injecté est bien étudiée et elle indique que,

par voie digestive, l’aluminium de l’alimentation courante est très peu absorbé tandis qu’administré par voie sanguine, il se concentre principalement dans l’os, alors que sa présence dans le cerveau est en très faibles quantités. Un seul travail expérimental, utilisant les adjuvants marqués, démontre que la quantité d’aluminium importée par les vaccins injectés aux nourrissons et prévus par le calendrier vaccinal exposent à un risque très inférieur à la dose de sécurité minimale actuellement définie pour l’alimentation. Existe-t-il des preuves établies d’une possibilité de toxicité neurologique de l’aluminium vaccinal ? Même si de très faibles quantités d’aluminium sont présentes dans le tissu cérébral, la relation lointaine avec la maladie d’Alzheimer fait débat depuis des décennies, mais sans preuves. En particulier, chez les patients décédés d’encéphalopathies dues à l’hémodialyse et chez l’animal, les lésions cérébrales ne sont pas morphologiquement caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Aucune preuve de toxicité neurologique imputable à l’aluminium de l’alimentation ou des adjuvants n’ayant pu être fournie, il existe un consensus pour considérer l’aluminium comme un produit neurotoxique de façon aiguë, lors d’une forte ingestion et en cas de consommation chronique à des dosages élevés. Dans la myofasciite à macrophages, les troubles cognitifs publiés ne correspondent pas non plus à ceux de la maladie d’Alzheimer.

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La myofasciite à macrophages La myofasciite à macrophages se caractérise par la présence d’une lésion particulière de tissus musculaires. Les investigations ont révélé la présence d’aluminium au sein de cette lésion, retrouvée principalement dans le muscle deltoïde, lieu d’injection du vaccin. Si l’existence d’une lésion histologique de myofasciite est bien établie, et très probablement liée au vaccin, la notion de maladie associée à cette lésion fait l’objet d’une controverse : une équipe française dirigée par Romain Gherardi (INSERM, CHU de Créteil) met en cause la responsabilité de l’aluminium utilisé comme adjuvant, qui migrerait, chez certains sujets sensibles, de façon plus importante, vers d’autres organes, dont le cerveau, provoquant différents symptômes tels que des douleurs musculaires ou une importante fatigue chronique1. Pour l’Académie de médecine et les Agences de santé publique, il s’agit d’une lésion réactionnelle locale, et, en l’état actuel des connaissances, aucun syndrome clinique spécifique n’est retrouvé associé à la vaccination avec des vaccins contenant des adjuvants aluminiques. Les syndromes allégués sont divers, aux symptômes variés et peu spécifiques. L’Académie nationale de médecine confirme donc, en 2012, l’avis émis en 2004 par l’AFSSAPS2 (maintenant, ANSM, Agence Nationale du Médicament) relatif à l’absence de lien entre le syndrome de myofasciite à macrophages et la vaccination. Cet avis concorde avec celui rendu par le Comité scientifique pour la Sécurité des Vaccins de l’Organisation Mondiale de la Santé2 les 3 et 4 décembre 2003. 1

Voir par exemple : http://myofasciite.fr/Contenu/Divers/2008_Exley.pdf http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/La-myofasciite-a-macrophages-Point-dinformation

2

3

Sur l’avis de l’OMS, lire par exemple : www.who.int/vaccine_safety/topics/aluminium/questions/fr/index.html

Quels sont les nouveaux adjuvants vaccinaux, leur utilité, leur toxicité éventuelle ?

contrôles, nécessitant de nombreuses années (environ 5 à 10 ans).

Les adjuvants non aluminiques nouveaux et/ou en cours d’investigation ne sont pas destinés au remplacement des sels d’aluminium, mais à permettre d’élaborer d’autres vaccins contre des maladies telles que le paludisme, l’infection à VIH, la tuberculose ou certains cancers. Les différents adjuvants ne sont pas interchangeables et demeurent spécifiques de tel ou tel vaccin. Pour le phosphate de calcium, parfois revendiqué en remplacement de l’aluminium, les études sont dissociées, voire contradictoires sur son efficacité. Le débat reste donc ouvert et des travaux supplémentaires seraient souhaitables.

L’auto-immunité due aux adjuvants est-elle une menace réelle ?

Si la recherche s’orientait pour remplacer l’aluminium, la substitution ne pourrait être faite qu’après de longs et nombreux essais et 48

Quel que soit l’adjuvant utilisé dans un vaccin, la question de l’autoimmunité sera toujours soulevée. L’analyse détaillée des conditions nécessaires à la provocation d’une maladie auto-immune n’apporte aucune preuve à ce jour permettant d’incriminer les vaccins ou les adjuvants. Un moratoire portant sur l’utilisation des vaccins contenant un adjuvant aluminique rendrait impossible, sans aucune preuve, la majorité des vaccinations. La résurgence de la maladie prévenue par le vaccin entraînerait, de façon certaine, une morbidité très supérieure à celle, hypothétique, des maladies neurologiques ou auto-immunes imputées.

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Point de vue

La grippe H1N1 : une mauvaise gestion de crise et ses effets collatéraux Jean de Kervasdoué Jean de Kervasdoué est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la Chaire d’Économie et gestion des services de santé, membre de l’Académie des Technologies. Il est également membre du comité de parrainage scientifique de l’AFIS et de la revue Science et pseudo-sciences.

Ce texte reproduit, avec l’autorisation de l’auteur, des extraits d’un chapitre de son livre La peur est au-dessus de nos moyens, pour en finir avec le principe de précaution, Plon, 2011. Les titres et intertitres sont de la rédaction.

« II n’y a plus nécessité de savoir pour agir, il suffit d’avoir peur1. » omme toujours, une crise sanitaire surprend et, dans le cas de cette grippe H1N1, illustre l’incapacité collective, non pas à maîtriser, mais à faire face, puis à accompagner, à tenir compte, en un mot à « gérer » un phénomène sanitaire et social classique, sinon simple. Ainsi, en l’espace de quelques mois, aura été créé un système de santé spécifique pour la prise en charge d’une maladie, contagieuse certes, mais moins grave que bien d’autres, le sida par exemple. Le Ministère de la Santé aura commandé, avec de l’argent public qu’il n’avait pas, 94 millions de doses de vaccin, le tiers des réserves mondiales de Tamiflu (330 millions de doses), médicament antiviral, et 1,7 milliard de masques. Il a également conçu et organisé un accompagnement publicitaire et une campagne de vaccination en ouvrant 1 080 centres dans des lieux qui n’avaient, pour la plupart, aucune destination sanitaire, dramatisant par ce signe exceptionnel la gravité de l’épidémie. Il l’a fait avec du personnel dont il ne disposait pas plus qu’il n’avait d’argent. Il l’a réquisitionné, faute de vouloir faire appel aux médecins généralistes qui, jusque-là, prenaient pour l’essentiel en charge ce type d’épidémie. Il a enfin considéré qu’il fallait regrouper la population pour la vacciner en série, or regrouper en un point un nombre important de personnes en période d’épidémie est pour le moins discutable. Pourquoi d’un côté fermer les écoles et de l’autre ouvrir les centres de vaccination ?

C

1 Georges David, Guy Nicolas, Claude Sureau, « La médecine et le principe de précaution », Rapport de l’Académie de médecine, Paris, adopté le 17 octobre 2000.

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En quelques mois, comme l’a dit Roselyne Bachelot, la ministre de la santé de l’époque, il a été « organisé la plus grosse opération de santé publique ». La plus grosse ? Peut-être. La plus onéreuse ? Vraisemblablement. Mais avant de considérer que la plus grosse et la plus chère soit aussi la meilleure, il convient d’en débattre.

Médecins traitants mis à l’écart, inquiétude renforcée De la peur des gouvernants d’être un jour poursuivis naît leur volonté de se protéger. Cette protection ne peut se concevoir par eux que si les moyens ne sont pas limités et si leur pouvoir, et donc leur capacité de contrôle, est absolu. Par essence, ce désir de contrôle évacue toute confiance et induit donc la création d’une bureaucratie nouvelle. Cette défiance, bien entendu, n’échappe pas au public, d’autant que toutes les « précautions » veulent être prises par l’équipe ministérielle et tous les doutes levés, tâche impossible au sens fondamental du terme. L’inquiétude se renforce alors et, dans le cas de ce vaccin, se porte en priorité sur l’adjuvant2 dont on va douter de l’innocuité. Désemparé, ne sachant que penser, le public se retourne vers ses conseillers habituels : les médecins traitants. Mais ces médecins traitants, aux mérites tant vantés, viennent d’être mis à l’écart, comme l’ensemble de leurs confrères libéraux : ils ne peuvent pas vacciner dans leur cabinet. Sollicités par leurs patients, ces médecins font part de leurs interrogations, justifiées ou non, peu importe à ce stade. L’inquiétude ne disparaît pas, elle s’accroît. L’épidémie n’est encore, en France, qu’un objet de débat. La vaccination n’est pas obligatoire. La charge de la décision pèse cependant sur chacun et est d’autant plus angoissante que la personne concernée a charge de famille. Qui croire ? Que faire ? En qui peut-on avoir confiance ? En son médecin mis sur la touche, en ses amis, en Internet, reflet de la diversité des opinions, où l’on trouve tout et son contraire ? Au début de cette campagne menée par voie de presse (fin août 2009), à l’instar de la « drôle de guerre », rien ne se passe : les réquisitionnés font des dizaines de kilomètres pour se retrouver dans des salles de sport vides, la population ne bouge pas et n’a pas l’intention de le faire. Puis, quelques cas mortels de détresse respiratoire font la une des journaux. L’opinion change. Les cabinets des médecins traitants croulent sous les appels, et les consultations non programmées emplissent les salles d’attente. À ceux qui ne les avaient pas encore consultés, ces praticiens qui, jusque-là, prenaient en charge les grippes saisonnières et les autres épidémies, ne peuvent, une fois encore, que faire part de leur conseil, en même temps qu’ils les informent de leur incapacité à agir. Un vague prétexte de conditionnement du vaccin par dose de dix, argument utilisé pour organiser ce circuit spécifique, ne peut pas être pris au sérieux : comme si un généraliste ne pouvait 2 Le scalène, produit connu, pour lequel il existe un recul d’une dizaine d’années. Il n’a produit de réactions graves que sur un cas pour 200 000, ce qui est négligeable par rapport à son bénéfice. C’est aussi l’occasion de rappeler que seuls les produits thérapeutiques inefficaces (eau, mie de pain, sucre...) ou inexistants (homéopathie) sont sans risque ! Mais, « principe de précaution » ou pas, les produits efficaces ont toujours un risque, fût-il minime.

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La chronologie de l’épidémie Après la détection des premiers cas humains d’infection par le nouveau virus de la grippe A(H1N1) au Mexique, un dispositif d’alerte et de surveillance a été déclenché en France dès le 24 avril 2009. Les premiers cas humains ont été identifiés le 1er mai 2009 chez des voyageurs de retour du Mexique. Au cours des premières semaines, tous les cas identifiés étaient des cas importés ou avaient un lien avec un cas importé. Une augmentation de l’activité grippale a été observée à l’été 2009, tout en restant inférieure au seuil épidémique. Au 28 septembre 2009, 253 épisodes de cas groupés, concernant environ 2 500 personnes, avaient été confirmés. Toutes les régions avaient été touchées. Le seuil épidémique du réseau Sentinelles a été franchi la seconde semaine de septembre. Le pic épidémique a été atteint la première semaine de décembre 2009. L’épidémie s’est achevée la dernière semaine de l’année 2009 après une durée qui peut être estimée à dix semaines. L’épidémie de grippe H1N1 a été plus précoce que les épidémies saisonnières des dix dernières années et il est estimé qu’entre 13 % et 24 % de la population de France métropolitaine a été infectée par ce virus. Si la mortalité liée paraît limitée, le profil des cas graves et des personnes décédées de la grippe à été modifié et a concerné majoritairement des personnes âgées de moins de 65 ans. Au 13 avril 2010, 1 334 cas graves avaient été signalés, 312 décès liés à la grippe ont été enregistrés, dont 27 (9 %) survenus chez des enfants de moins de 15 ans et 49 (16 %) chez des patients n’ayant pas de facteur de risque connu. La situation épidémiologique a été reportée de façon transparente et continue par des bulletins réguliers publiés sur le site Internet de l’InVS, et ce dès le 26 avril 2009. La vaccination a commencé en France le 20 octobre pour les personnels hospitaliers, et les centres de vaccination ont ouvert le 12 novembre 2009. La campagne d’information aura commencé deux mois avant, fin août 2009. Les centres de vaccination ont été fermés le 30 janvier 2010. Source : Bulletin épidémiologique hebdomadaire, numéro thématique « Épidémie de grippe A(H1N1)2009 : premiers éléments de bilan en France », 29 juin 2010. www.invs.sante.fr/beh/2010/24_25_26/beh_24_25_26_2010.pdf

pas programmer dix vaccinations de suite un ou deux jours de la semaine ! Comment alors, quand on est le parent d’un enfant « prioritaire » (moins de six ans), agir dans cette cacophonie où circulent les conseils avisés et les rumeurs farfelues ? Les plus rationnels, se souvenant qu’ils ont été eux-mêmes un jour vaccinés et qu’ils ne s’en sont pas trop mal portés depuis, se rendent vers leur centre de vaccination dès qu’ils reçoivent leur « bon ». Les réquisitionnés sont alors subitement débordés, les familles attendent plusieurs heures. Des nuées d’enfants se retrouvent dans un lieu clos et ainsi, parfois, à l’instar de deux de mes petites-filles, y attrapent... la grippe.

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Gestion calamiteuse et crise de confiance La première vague d’épidémie passe. Une étude réalisée, fin décembre 2009, à Marseille, chez deux mille femmes enceintes, indique que dans 50 à 80 % des cas, contre 30 à 40 % dans les grippes saisonnières, le virus n’a pas provoqué de syndromes grippaux. Autrement dit, plus de la moitié de ceux qui ont eu la grippe ne s’en sont pas aperçus. Les vaccins commandés sont, pour la plupart, inutilisés. Le corps médical désavoué est furieux : l’État n’a pas voulu lui faire confiance et les patients ont été laissés à euxmêmes. En fait d’économie supposée pour éviter le gâchis de fractions de doses conditionnées par paquets de dix, le gâchis réel se chiffrera en dizaine de millions de vaccins achetés et non utilisés. Le scandale éclate le 4 janvier 2010. La ministre annonce au journal de 20 heures sur TF1 la résiliation des commandes de 50 millions de doses. « Ces commandes n’avaient été ni livrées, ni payées, elles sont donc résiliées. » Il paraît clair cependant qu’elles ont été commandées et qu’en la matière, une résiliation se traduit toujours par une indemnisation, quelle qu’en soit la forme ! De surcroît, les généralistes qui avaient été exclus sont réintroduits dans la campagne de vaccination (ils peuvent vacciner dans leur cabinet à partir du 11 janvier 2010). Ils renâclent. Le dommage n’est pas que financier. En effet, bien après cette péripétie, plus tard, la méfiance demeurera, et avec, le mépris de l’État. De surcroît, le public suspecte encore davantage le bienfait des vaccins. Les techniques utilisées pour « la plus grosse opération de santé publique », afin de convaincre les Français de l’utilité de ce combat, s’apparentent à celles imaginées pour persuader les Américains et les Anglais du bien-fondé de la seconde guerre d’Irak. Dans les deux cas, il a fallu distinguer un risque et en magnifier le danger afin de construire une légitimité permettant de mobiliser des moyens exceptionnels. Une fois la guerre déclenchée, l’on constate, dans ce cas aussi, que l’ennemi s’est dérobé et que des dégâts collatéraux sont considérables sans que le gouvernement puisse se désavouer ou se désengager ayant autant, et si bien, attiré l’attention sur lui. On peut certes toujours prétendre que les choses auraient été pires si rien n’avait été fait, affirmation imparable car elle ne peut pas être formellement démentie. Mais, en revanche, ce qui est certain, c’est qu’une action de précaution unidimensionnelle qui s’apparente à un acte de guerre fait fi de l’existence d’un système social, complexe préexistant. Il ignore que la gestion d’une épidémie est autre chose que l’achat de vaccins, de masques et de Tamiflu. Une épidémie est certes un phénomène médical, mais sa gestion est avant tout un phénomène social. En France, au cours d’une année moyenne sinon « normale », une épidémie de grippe tue environ 2 500 personnes. Pour ce qui est de H1N1, le 29 décembre 2009, entre 6 et 8 millions de personnes avaient eu cette grippe3. 3 Source Institut de veille sanitaire (InVS), d’autres sources donnent des chiffres deux à trois fois supérieurs. Ces derniers sont vraisemblablement plus proches de la réalité.

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20104,

Le 14 janvier 5,4 millions de Français étaient vaccinés5 et l’on recensait 246 décès. Ce chiffre sera porté à 3126 au 13 avril 20107. On est donc loin des 30 000 morts provoquées en France par la grippe de HongKong en 1968-1969. D’autant que ces chiffres sont des estimations. Tous les syndromes grippaux ne sont pas dus au virus de la grippe, et beaucoup de personnes infectées ne s’en aperçoivent pas ; elles ne sont pas, au sens clinique, « grippées ». Une étude britannique d’Elizabeth Miller8, basée sur l’analyse sérologique de 1 500 personnes à une année d’intervalle, démontre en effet que des syndromes grippaux ne sont apparus que dans un cas sur dix, plus encore qu’à Marseille en somme ! Cette grippe a donc surtout été asymptomatique. Les enfants ont été les plus atteints car ils n’étaient pas immunisés, et l’école, pour des raisons évidentes de promiscuité, favorise la diffusion des épidémies. II était donc justifié qu’ils soient prioritaires.

Le début de l’épidémie Le virus apparaît le 17 avril 2009 au Mexique. Après la première alerte mexicaine, des cas se déclarent quasi simultanément aux États-Unis, puis, très vite, au Royaume-Uni. On en surestime la létalité car, au 4 Ibid. 5 Source : Direction de la sécurité civile. 6 Dont 263 avaient un autre facteur de risque : insuffisance cardiaque, diabète, affection res-

piratoire... 7 Vaux S. et al, « Dynamique et impact de l’épidémie A (H1N1) 2009 en France métropolitaine, 2009-2010 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2010, p. 259-264. 8 Elizabeth Miller et al, The Lancet, vol. 375, pp. 1100-1108, 27 mars 2010, édition en ligne, doi : 10.1016/501140-6736(09)62126-7.

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Mexique, pays sans réelle surveillance sanitaire, seuls les cas graves ont été déclarés. Avec ces informations, l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS)9 déclenche le 30 avril une alerte de « niveau 5 »10. La France se prépare, commande massivement des vaccins11, avant donc que l’OMS ne déclenche le niveau d’alerte maximum de « niveau 6 », crée un site Internet pour informer le public et mobilise ses services avant de déclarer que l’épidémie est arrivée en France. Dès le début juin, on sait que si le virus se révèle contagieux, il est le plus souvent bénin et peu létal, même s’il peut provoquer dans de rares cas de profondes détresses respiratoires, notamment chez certains adolescents. Les médecins libéraux, jusque-là exclus des soins, sont autorisés à prendre en charge les grippés, pas encore à les vacciner. La gestion de l’épidémie, certes dramatisée, semble à la fois prudente et souple. Mais, nous venons de le voir, ce n’est pas le cas si les commandes ont bien été passées en mai 2009. Car fin juin, le risque potentiel ne s’est pas révélé aussi dangereux qu’on pouvait le craindre. Il fallait alors changer de stratégie, ce qui ne fut pas le cas.

Virus moins dangereux : il aurait fallu changer de stratégie Fin juillet 2009, le cap des 100 cas est dépassé et le premier décès déclaré. Fin août commence la campagne d’information, la vaccination ne débute que le 20 octobre. Entre-temps, l’inquiétude aura monté et la polémique se sera envenimée. La première interrogation qui se diffuse jusqu’au public va consister à se demander s’il faut, ou non, vacciner les enfants et les femmes enceintes avec le même vaccin que les adultes. En effet, il est théoriquement – théoriquement, j’insiste – possible que l’adjuvant utilisé pour potentialiser les réactions immunitaires de ce vaccin produise dans quelques cas infimes un syndrome de Guillain-Barré12. Chacun se remémore alors les problèmes de Gérald Ford, à l’époque président des États-Unis, qui, à l’occasion d’une épidémie de grippe, rendit la vaccination obligatoire pour une partie de la population de son pays. Il commanda 65 millions de doses de vaccin, mais dut interrompre cette campagne car on lui attribua, sans preuve, l’apparition de dix cas de Guillain-Barré. S’ils furent recensés à l’occasion de cette campagne de vaccination, ils ne furent vraisemblablement pas induits par elle, mais le doute planait. La presse s’en empara, les vaccinations durent s’interrompre et les vaccins jetés. Gérald Ford, pour cette affaire, dit-on, perdit l’élection présidentielle au profit de Jimmy Carter. 9 À la fin décembre de l’année 2009, la directrice générale de cette institution avouera qu’elle ne s’est « pas encore » fait vacciner ! 10 Il y a six niveaux. 11 Note « confidentielle » du ministère de la Santé du 11 mai 2009, mise en évidence par le député Gérard Bapt, Espace social européen, 18-24 juin 2010, n° 944. 12 Maladie auto-immune du système nerveux périphérique.

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En France, trente-trois ans plus tard, il a donc été décidé que les femmes enceintes seraient vaccinées sans adjuvant. Mais comment justifier ce choix si l’adjuvant est pratiquement sans danger ? On voit bien là une dérive classique du principe de précaution, on prend une mesure particulière non pas parce qu’il est dangereux mais parce que l’on pense qu’il pourrait l’être, et, ce faisant, l’angoisse s’installe. En Allemagne, les choix en la matière sont encore plus discutables, car ce même vaccin sans adjuvant a aussi été réservé aux hauts fonctionnaires, militaires et cadres du système de santé... Une violente polémique s’est ensuivie. De ce côté du Rhin, la seconde annonce d’importance va être celle de la commande de vaccins, rendue publique en juillet, deux mois après leur passation effective. La ministre de la santé souhaite être prioritairement livrée. Afin de déterminer la quantité à commander, il faut décider qui doit être vacciné et comment. Faut-il vacciner tout le monde ? Doit-on administrer une ou deux doses13 et, dans ce dernier cas, à quel intervalle ? Le 15 juillet 2009, les réponses ministérielles frappent par leur simplicité : il convient de vacciner tout le monde, à trois semaines d’écart, et comme 20 % de la population refusera de se faire vacciner14, il faut donc commander 94 millions de dose, chiffre précis. De surcroît, comme si cette grippe H1N1 était aussi létale qu’une grippe aviaire, il convient de bâtir au plus vite une organisation spécifique pour la vaccination de la population. Ces 94 millions de doses représentent, soulignons-le encore, 10 % de la capacité mondiale de production de vaccins, or les Français à tête folle ne représentent que 1 % de la population mondiale. Ils ne s’arrêtent pas là d’ailleurs, car ils © Krishnacreations | Dreamstime.com

13 L’Agence européenne du médicament rappellera encore le 23 octobre 2009 qu’il faut deux doses. 14 D’où vient ce chiffre ? Pourquoi 20 % et pas 10 % ou 40 % ?

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commandent et stockent également un tiers des réserves de Tamiflu du monde dont l’utilisation, jusqu’en octobre 2009, sera réservée. Les restrictions ne seront levées qu’en décembre.

Dramatisation de l’épidémie et détérioration de l’image de la vaccination Un « gros » marché (de 712 millions d’euros15), pour reprendre le qualificatif, ici justifié, de la ministre, est passé auprès de quatre grandes firmes multinationales, dont une française. Ce qui conduit alors l’opposition à s’interroger sur la nature des contrats. Certains parlementaires demandent à les examiner, puis l’exigent faute d’avoir reçu de réponse comme la loi les y autorise. L’un d’eux, Gérard Bapt, se rend même physiquement au ministère de la Santé pour les obtenir, sans succès immédiat d’ailleurs. Il n’en obtiendra communication que vingt-quatre heures plus tard. Ceux qui ont pu les consulter disent qu’ils sont « classiques » et qu’ils n’auraient pour particularité notable que celle d’exonérer, en cas d’accident, les fournisseurs d’une partie des responsabilités habituelles en la matière, ce qui n’est pas rien. Il semblerait donc que si l’on a perdu au moins un demi-milliard d’euros, c’est en toute légalité. Rassurant. La question des contrats prendra plus tard un tour international quand des parlementaires européens suspecteront des experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’être un peu trop proches des industriels fabricants de vaccins. Ils auraient en effet contribué à dramatiser une épidémie.

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La dramatisation de l’épidémie qui frappe plus les catégories modestes que les favorisées16, le désaveu symbolique de la médecine libérale, la réquisition des médecins hospitaliers pour réaliser des actes simples alors que des malades graves les attendent à l’hôpital, l’absence de compréhension par le public des bienfaits et des risques de la vaccination, la relative bénignité du virus... tout cela a contribué à faire encore reculer en France l’image de la vaccination et celle de l’État. Et, surtout, n’a pu que susciter des inquiétudes devant l’incapacité à gérer socialement une crise. La bataille de la communication a été perdue le jour où les médecins ont été discrédités et l’opinion affolée par les précautions incompréhensibles sur l’adjuvant. Pour la vaccination, le dossier était déjà lourd. La première mise en cause sérieuse

15 Plusieurs chiffres ont été donnés sur le montant de ces seules commandes et vont de 700 à 856 millions ; ils ne couvrent pas le coût de la prise en charge qui en double (au moins) le montant. 16 L’Express, 1er août 2009, sondage réalisé par l’IFOP pour dimanche Ouest-France.

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remonte en effet à 1998, quand Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, décida de laisser aux Français « à risque » le choix de se faire, ou de ne pas se faire, vacciner contre l’hépatite B par crainte des conséquences potentielles des effets de ce vaccin sur l’apparition de scléroses en plaques. Pourtant, déjà à l’époque, malgré ces risques potentiels, les experts recommandaient de faire vacciner les personnes à risque tant les bénéfices étaient supérieurs aux risques hypothétiques. Depuis, en effet, l’hypothèse a été levée, il a été démontré que les craintes étaient sans fondement, mais la liberté de choix d’être ou de ne pas être vacciné demeure, et avec elle environ deux mille cas de cancers du foie qui se produiront, alors qu’ils auraient pu être évités grâce à la vaccination.

L’aberration des « centres de vaccination » L’ouverture de 1 080 centres de vaccination ad hoc, en excluant pendant plus de deux mois la médecine de ville, tout en réquisitionnant les moyens hospitaliers en dehors de leur enceinte, a nui à la vaccination. Du point de vue de la personne désirant se faire vacciner, elle devait être suffisamment convaincue pour se déplacer, souvent loin, parfois plusieurs fois si les enfants avaient des « priorités » différentes. Le ministère de l’Intérieur avait estimé qu’en raison de son système collectiviste, la vaccination coûterait 5,8 euros en centre, moins cher donc que le tarif d’une consultation chez le généraliste conventionné (22 euros). Il est très vraisemblable que ce résultat de 5,8 euros a été obtenu après un calcul qui faisait non seulement l’hypothèse que 80 % des Français iraient se faire vacciner deux fois, mais aussi qu’ils ne consulteraient jamais leur médecin traitant avant de se rendre docilement dans ces centres. Il n’est vraiment pas facile de créer un autre système de vaccination. Soulignons en outre qu’un système qui n’a vacciné que 5 % de la population en deux mois n’aurait vraisemblablement pas protégé la population si l’épidémie avait eu la gravité escomptée. Avec le scandale du début janvier, la politique change, nous l’avons vu. Les généralistes redeviennent des acteurs du dispositif. Le 4 janvier 2010, Mme Bachelot annonce que « dès la semaine prochaine, les médecins généralistes pourront vacciner dans leur cabinet ». Ceux-ci refusent alors de se rendre dans les centres de vaccination et demandent de revenir sinon à la raison, du moins aux habitudes, à savoir que les doses soient enfin disponibles dans les pharmacies d’officine. Certes, la ministre a raison d’appeler, toujours ce même soir, à « ne pas relâcher la garde sur la vaccination », mais le mal est fait. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Interrogés le lendemain par l’Union généraliste, 1 364 médecins répondent. Seulement 16,6 % indiquent qu’ils proposeront le vaccin à tous leurs patients, 44,2 % seulement à ceux qui le demandent, 10,6 % disent qu’ils ne le feront pas parce qu’ils ne sont pas convaincus, et 14,4 % non plus parce que les démarches sont trop lourdes. Les commentaires qui accompagnent ces résultats statistiques sont encore plus illustratifs et traduisent un profond désarroi.

Quelques leçons à tirer De ce cas, qui ne s’éteindra qu’avec ce virus, plusieurs leçons peuvent cependant être d’ores et déjà tirées. Tout d’abord, l’opinion ne pardonne aucune erreur dans le domaine de la santé. Mais étant donné ce fait social, la classe politique peut se féliciter de la chance qu’elle a de disposer de moyens a priori illimités. Pour le public, la question du coût n’avait alors encore aucune importance. Cette particularité nationale me fascine. Quand on parle aux Français des dépenses de l’État ou de l’Assurance maladie, ils se comportent comme s’ils n’étaient pas concernés, comme s’il ne s’agissait jamais de leur argent, et qu’il existait une entité abstraite – « Sécu » ou « État » – qui n’était pas eux et dont les moyens seraient illimités. Peu importe alors que le montant de la seule commande des vaccins représente plus de 1 % de l’impôt sur le revenu de l’année, que l’argent soit emprunté et que, surtout, on aurait vraiment pu mieux l’utiliser ailleurs. Non, il semble que l’on puisse tout faire quand il s’agit de santé et que l’on est sous le feu des projecteurs médiatiques. Car, ailleurs, dans la vraie vie des hôpitaux ou des dispensaires, bien entendu l’argent compte, bien entendu les soins sont de facto rationnés, bien entendu personne ne veut dépenser un million d’euros pour garder une personne en vie une seconde de plus. Mais constatons, une fois encore, dans ce domaine, l’infantilisme de l’opinion nourri de la « protection » de la classe politique. Sans vouloir donner une valeur monétaire à la vie, sans être utilitariste, peut-on prétendre que le fruit du dur labeur de ceux qui cotisent à l’assurance maladie peut être dépensé sans compter ? Peut-on affirmer qu’il est financièrement impossible de couvrir tous les risques sanitaires, même les plus improbables ? Alors que chacun sait, par exemple, qu’il n’est pas envisageable d’offrir à chaque Français en fin de vie, à l’instar de certains chefs d’État ou de célébrités médiatiques, dix, quinze, vingt ou cinquante médecins pour prolonger leur passage sur Terre de quelques minutes, jours ou semaines. Contrairement aux pays anglo-saxons, souvent plus solidaires et équitables que nous ne le sommes, il est en France impossible d’ébaucher un débat public sur le prix des risques acceptables. L’argent dans la santé demeure un tabou. Le risque sanitaire doit être à tout prix couvert. À tout prix ! Oui, tant que les Français croient que ce n’est pas eux qui payent. Généreux et responsables quand ils cherchent à s’offrir l’image d’euxmêmes, la réalité du caractère national est plus nuancée, l’égoïsme semble en effet aussi, parfois, le décrire. « Pour être les premiers servis », comme l’a dit Mme Bachelot, ils ont confisqué à leur profit 10 % de la production mon58

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diale de vaccins et 33 % de celle de Tamiflu, et étalé leur opulence devant des pays du tiers-monde qui n’ont pas les moyens de soigner les malades du sida. Marc Gentilini, président honoraire de l’Académie de médecine, parle à ce propos de « pandémie de l’indécence » et dit sa honte devant ces efforts inutiles et ces moyens si mal mobilisés (Le Monde, 6 août 2009). Mme Bachelot a bien dit : « si c’était à refaire, je referais exactement la même chose », et elle évoque les crises sanitaires du passé, comme si le drame du sang contaminé n’avait eu lieu qu’en France, comme si ce problème n’était pas dû avant tout à l’ignorance ; mais elle sait que ce qu’elle dit est bien ce que veulent encore entendre les Français. En Pologne, au même moment, la ministre de la Santé, avec les mêmes données, redoutant avant tout une manipulation de l’opinion par les laboratoires pharmaceutiques, a décidé de ne commander aucun vaccin. À structure démographique comparable, il n’y a pas eu plus de décès en Pologne qu’en France. Il faut répéter, avec André Comte-Sponville, que la question politique n’est pas celle de la morale, mais celle de l’efficacité. À cette aune, la politique française fut catastrophique : à la fois onéreuse et inefficace si l’on compte le nombre de Français vaccinés. L’action gouvernementale s’est efforcée de conjurer le sort, mais entre 1,5 et 2 milliards d’euros, cela fait cher l’acte symbolique. Si la couverture vaccinale était la priorité, je suis persuadé que le nombre de vaccinés aurait été bien plus grand en utilisant les procédures habituelles en la matière, autrement dit si l’on avait fait confiance aux généralistes.

Les campagnes de vaccination à venir, victimes collatérales

© Nobilior | Dreamstime.com

Pour ce qui est des campagnes de vaccination à venir, il faudra reprendre de zéro une pédagogie collective et rappeler les ravages que faisaient encore, en Europe, il y a peu, les maladies infectieuses. Enfin et surtout, cette application du principe de précaution montre qu’il n’est plus nécessaire de savoir pour agir, il suffit d’avoir peur. Quand se rendra-t-on compte, enfin, que la peur est au-dessus de nos moyens ? Puisse cette réflexion contribuer à « crever cette bulle protectrice qui assure la double fausse protection des décideurs et des citoyens17 », car si dans ce cas nous avons été sauvés, ce ne fut ni par le principe de précaution, ni par les décisions ministérielles. Pour gérer une épidémie il faut l’adhésion de la population et de ses élites – le corps médical dans ce cas –, et elle a manqué. Il semble alors que l’on doive tout au virus qui, pour l’instant, à l’instar des Prussiens à la bataille de Valmy, s’est dérobé. Ce ne sera pas toujours le cas, on risque alors de perdre plus que de l’argent ou de la légitimité, mais aussi de nombreuses vies humaines.

17 Patrick Lagadec, « Pandémie grippale et réflexion éthique. Quelles exigences pour un pilotage à la hauteur des enjeux ? », Pandémiques, n° 1, octobre 2006, p. 14.

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Ce que nous en disions à l’époque...

Médiatisation et information La médiatisation exceptionnelle qui a entouré l’apparition de la Grippe A H1N1, puis la mise au point du vaccin, et enfin la campagne de vaccination, n’est pas synonyme d’information complète. Loin s’en faut. Le spectaculaire et l’inquiétude sont plus médiatiques que l’information objective. Lors de l’apparition du virus, presque chaque décès était suivi en temps réel, accompagné d’une comptabilité macabre. L’inquiétude s’est généralisée. Puis d’autres peurs ont été propagées : le vaccin sera-t-il présent à temps ? Paradoxalement, le vaccin étant disponible, c’est alors le moindre effet secondaire qui est amplifié, sans même que l’on sache si le cas rapporté est dû à la vaccination ou non. Les deux premières apparitions de mutation du virus en France font tout de suite la une des journaux : le virus devient plus agressif, le vaccin va-t-il rester efficace ? Un jour, c’est la réticence à la vaccination, voire son refus, qui est mis en avant, le lendemain, c’est le chaos qui règne devant les centres de vaccination. Bien entendu, toutes ces questions relèvent de l’information qui doit être donnée et analysée, mais le spectaculaire et l’émotion primant, l’information en reste bien souvent très superficielle. Une autre dimension de la confusion médiatique tire sa source dans la volonté de présenter toute question technique ou sanitaire comme étant par nature controversée. Mais à vouloir à tout prix trouver une controverse, on en arrive parfois à la fabriquer, loin de la réalité, loin des débats qui agitent les milieux professionnels. Ainsi, un exemple parmi bien d’autres, le journal Le Monde, dans un article réalisé pour le compte du quotidien gratuit Matin-Plus (5 novembre 2009), présente le débat « qui divise le corps médical », et met sur le même plan deux interviews, l’une du professeur Daniel Floret (le « pour »), directeur du Centre Technique de la Vaccination, l’autre du Docteur Marc Girard (le « contre »), activiste des milieux anti-vaccinaux et consultant dans le domaine pharmaceutique, présenté pour l’occasion comme « expert ». Sécurité des vaccins, efficacité sont présentées par le journaliste dans une logique thèse/antithèse, avec la synthèse suggérée au lecteur : la vérité est au milieu. C’est malheureusement une méthode que l’on retrouve souvent dans le traitement médiatique de controverses à composantes scientifiques (ondes électromagnétiques, OGM, etc.) : la vérité se situerait quelque part entre l’avis du service public de l’expertise scientifique (mais ces experts sont-ils vraiment indépendants ? nous susurre-t-on) et les différents « experts autoproclamés » et « lanceurs d’alertes », certes « parfois un peu extrêmes » mais « vraiment indépendants » (nous dit-on). Pour en revenir à la vaccination, le doute ne peut que s’installer, et donc la peur. Il y a certes des débats sur les modalités et l’organisation de la campagne de vaccination, sur son ampleur, voire son opportunité, même si l’ensemble des agences de santé publique ont recommandé la mise en œuvre du dispositif que l’on connaît, élaboré lors des menaces de grippe aviaire. Mais jamais la question n’a porté sur la sécurité des vaccins ou l’efficacité de la vaccination. Là, il y a consensus, il y a une connaissance scientifique établie. Pourquoi alors vouloir mettre en scène cette prétendue controverse en mettant sur le même plan les experts reconnus et des activistes sans aucune compétence particulière ? Science et pseudo-sciences, 289, janvier 2010 Le numéro 289 de SPS, avec un dossier complet sur la vaccination, peut être commandé sur notre site Internet.

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arguSanté : la santé mérite des arguments scientifiques arguSanté est un nouvel espace sur le site de Canal Académie, la radio sur Internet des académies. En complément des émissions consacrées à la médecine et à la santé, arguSanté décrypte à travers l’expertise des académiciens les questions qui font débat dans ce très large domaine qui nous concerne tous. L’originalité d’arguSanté est de partir de l’opinion publique, telle qu’elle se manifeste dans les médias, pour expliquer, clarifier, faire le point sur les inquiétudes et les interrogations suscitées par des alertes sanitaires à répétition en les replaçant dans un cadre et une démarche scientifiques. La formule argumentaire permet de répondre point par point et sans parti pris, en s’appuyant sur les références scientifiques qui font trop souvent défaut au débat médiatique. arguSanté allie ainsi les atouts académiques – référence, compétence, pluridisciplinarité, transparence et indépendance – à une démarche de proximité, à la fois exigeante et accessible à tous. C’est un outil utile de tri de l’information santé pour les professionnels, dans le contexte pléthorique actuel, et pour le public, afin de permettre à chacun de mieux comprendre son environnement. C’est surtout une tentative de la part d’experts bénévoles de concilier une approche respectueuse à la fois du ressenti de chacun et de la science qui ne saurait continuer à être considérée comme une simple opinion.

http://www.canalacademie.com/idr217-ArguSante-.html Un dossier sur la vaccination sera mis en ligne prochainement. En voici un extrait. Les parents ont-ils le droit de refuser de faire vacciner leurs enfants sans être culpabilisés pour autant ? « Si je vaccine mes enfants et qu’ils développent une narcolepsie, une sclérose en plaques, une fibromyalgie ou autre, je culpabiliserai. Si je ne les vaccine pas et qu’ils meurent du virus, je culpabiliserai »... Mais il faut savoir que le refus de vacciner un enfant, qui confine au refus de soins, est considéré comme une forme de maltraitance ; c’est pourquoi le Code de déontologie impose au médecin de défendre d’abord les enfants, en expliquant aux parents que le risque zéro n’existe pas mais que, par exemple, le pourcentage de complications d’une rougeole ou d’une varicelle, même faible, est toujours nettement supérieur à celui des effets indésirables graves, mais très rares, des vaccins. Ne pas faire vacciner son enfant, c’est un peu comme ne pas utiliser un siège d’auto ou la ceinture de sécurité parce qu’on pense qu’on n’aura pas d’accident... sachant qu’il s’agit de protéger son propre enfant, et, du même coup tout l’entourage. Ainsi, si tous les petits sont vaccinés contre le pneumocoque, ils vont à la fois protéger leurs grands parents des infections à pneumocoques souvent mortelles et favoriser une couverture vaccinale optimale des 1 à 24 ans pour le méningocoque. Si, malgré tout, le médecin ne parvient pas à persuader les parents, il doit leur faire signer ce refus et le consigner sur le carnet de santé. Tout faux certificat est passible de sanctions. On ne peut pas comparer l’utilité des vaccins et celle des médicaments... Le vaccin est un médicament, doté lui aussi d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) validant son innocuité, mais il n’est pas perçu comme un médicament et on admet mal qu’il puisse produire des effets indésirables alors qu’il est censé « protéger » des maladies... Ainsi, paradoxalement, plus un vaccin est efficace, plus il risque d’être mis en cause et les effets secondaires des vaccins prennent de plus en plus d’importance au fur et à mesure de la disparition des maladies prévenues par la vaccination et des craintes qu’elles suscitaient. D’où la demande paradoxale, de la part des mêmes opposants, de vaccins de prévention, par exemple du sida, du paludisme, des infections à streptocoques, etc.

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Chemtrails

Pour dissiper la brume… Jérôme Quirant © Arpingstone © U.S. NOAA

armi les innombrables légendes urbaines qui ont immanquablement encombré votre boîte mail au travers d’un diaporama ou d’une vidéo partagée sur les sites dédiés, l’une d’elles a connu un essor récent [1] et occupe une place de choix, c’est celle des chemtrails…

P

Les chemtrails, quésaco ? Les chemtrails sont, pour les résistants en lutte contre ce fléau mondial, ce que nous pensions être – naïvement – d’anodines traces laissées par les avions à la suite de leur passage dans un ciel bleu et limpide1. Et les pourfendeurs de ces traînées blanches sont nombreux : tapez chemtrails sur votre moteur de recherche favori et il exhibera en quelques centièmes de seconde plusieurs millions d’occurrences. Les sites souhaitant vous ouvrir les yeux sont légion : « Épandage de produits chimiques dans l’atmosphère : on vous trompe, on vous ment » [2]. Car ce sont bien des éléments chimiques qui seraient ainsi répandus dans l’atmosphère, à notre insu, que ce soit par le truchement des avions civils ou militaires. Vous pourrez même, si vous suivez les conseils avisés pour ne plus vous laisser abuser, œuvrer en tant que « sentinelle du ciel » en faisant part de « vos observations localisées et datées » [3] et déjouer ainsi le complot mondial des chemtrails… Mais si « grand complot » il y a, alors pourquoi ces épandages ? Dans quel but ? À en croire ces sites, toutes plus inavouables les unes que les autres, les motivations sont nombreuses [4] : 

les épandages de divers pesticides, produits chimiques ou drogues sur les populations pour mieux les « contrôler » (!) ;



les épandages bactériologiques, technologiques pour des applications militaires ;



l’ensemencement de nuages pour modifier le temps afin de créer (cela varie selon les sites !) sécheresse et/ou catastrophes climatiques.

L’avantage, pour les promoteurs de cette théorie fumeuse, c’est que tout un chacun peut en constater les effets allégués de ses propres yeux, il suffit de lever les yeux par temps clair. Succès assuré. 1 Par temps de pluie, forcément, vous aurez du mal à en repérer…

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Même des journalistes se laissent aller à véhiculer la rumeur (Midi Libre, le 4 mars 2012) [5] : « Partout dans le monde, un débat des scientifiques déchaîne les passions. En France, par contre, rares sont les politiques à vouloir aborder le sujet, préférant botter en touche. Intriguant, pour certains ». Or, bien avant de chercher une explication extraordinaire à l'apparition de ces nuées rectilignes, les causes rationnelles qui viennent spontanément à l’esprit sont parfaitement acceptables et suffisantes.

Chemtrails et contrails, des frères jumeaux qui ne font qu’un Si chemtrail est la contraction des deux termes anglais « chemical trail » pour « traînées chimiques », les contrails sont les traînées de condensation (même orthographe en anglais d’où con-trail) générées par tout réacteur d’avion, dans des conditions particulières de température, de pression et d’humidité. En effet, et c’est très bien expliqué par la physique des nuages, il suffit de 0,5 à 5 grammes d’eau pour former un nuage d’un mètre cube, comme dans un massif cumulus ou cumulonimbus.

Cumulonimbus – © Saperaud (Wikimedia Commons)

Or, une tuyère de réacteur absorbe plusieurs centaines de milliers de litres d’air par seconde, et concentre en sortie l’humidité qu’il contient. Avec une température de -40°C à 8 000 ou 10 000 mètres d’altitude, et un taux d’humidité de plus de 68 %, les conditions sont alors réunies pour la formation de ces condensats. Ce phénomène a même été analysé et décrit dès les années 1950 [6] ! Rien d’étonnant donc à observer ces traînées blanches à l’arrière des turboréacteurs. Le problème qui peut être posé par leur formation (et c’est sûrement le seul) est la modification de l’albédo de l’atmosphère terrestre (rapport de l’énergie Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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solaire réfléchie par une surface à l’énergie solaire incidente), ce qui contribue à l’accroissement de l’effet de serre. Toute la difficulté réside dans un chiffrage de cet impact ce qui, sans rentrer dans le débat sur le réchauffement climatique, est loin d’être aisé. Pour l’instant, la contribution est jugée faible [7] mais doublerait néanmoins l’effet lié aux produits de combustion du kérosène [8].

La théorie des chemtrails n’a pas fini de proliférer ! Même s’il est certain que des études et des expériences ont été menées sur les épandages aériens et ce pour diverses raisons (agir sur le climat et provoquer la pluie en zones arides par exemple [9]), cela n’a rien à voir avec ce qui est observé à l’arrière des réacteurs d’avions. Qu’ils soient civils ou militaires d’ailleurs, puisque la Physique reste la même dans les deux cas. Mais cela ne fait bien sûr que renforcer le mythe des chemtrails puisque, comme dans toute bonne théorie du complot, tout et son contraire permet de l’alimenter. Les traqueurs de chemtrails ayant malencontreusement égaré leur rasoir d’Ockham [10], les spéculations vont bon train [11] : 

si les traces se croisent, ce n’est nullement dû à des trajectoires liées aux différentes routes aériennes mais destiné à un meilleur quadrillage de la surface terrestre et des populations ;



si les formes des traces changent ou qu’elles s’estompent, ce n’est nullement dû aux conditions atmosphériques, et notamment aux vents d’altitude, non, tout cela est fait à dessein pour une meilleure efficacité du produit chimique répandu ;



si leur nombre augmente, ce n’est nullement dû à l’augmentation du trafic aérien, mais à la nécessité de répandre des produits de plus en plus nombreux à des doses de plus en plus fortes.

Comme pour tout complot d’envergure, se pose néanmoins l’éternelle question : comment un tel secret peut-il être si bien gardé ? Ne doit-il pas supposer d’innombrables collaborations ? Pour les partisans de la conspiration, la réponse est simple : c’est que quasiment la terre entière est complice. Extrait [12] : « Ces opérations ne peuvent avoir lieu qu’avec la complicité volontaire (ou involontaire par des gens ignorants qui sont incapables de regarder eux-mêmes ce qui se passe dans le ciel) : du président de la république, de tous les ministres sans exception et certainement jusqu’à plusieurs niveaux en Plan de circulation aérienne pour le monde entier, dessous, du monde politique, juin 2009. Contient 54317 routes des principales sociétés © Jpatokal (Wikimedia Commons) impliquées dans l’aéronau64

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tique et le spatial : EADS, CNES..., de l’armée, de la presse écrite silencieuse ou mensongère, de la télévision qui montre de plus en plus d’images subliminales de chemtrails dans les reportages et dont les bulletins météo débutent et finissent avec des photos de nuages de plus en plus bizarres en arrière plan, et de vos présentateurs préférés, journaleux millionnaires corrompus aux ordres du gouvernement, de la presse « scientifique » qui publie des articles mensongers ou des photos incluant des chemtrails, des Nations Unis, de l’Organisation Mondiale de la Santé, des organisations écologistes silencieuses, de Météo France, des agences de publicité qui montrent de plus en plus d’avions avec des panaches de fumée ou qui détournent les photos de chemtrails, des studios de cinéma, des éditeurs de jeux vidéo »… Avec un trafic aérien qui a été multiplié par 4 ou 5 selon les sources depuis les années 80, et ne cesse encore de croître, il est à craindre que les chemtrails ne prolifèrent longExemples d’affichettes de militants dénonçant le temps dans nos ciels d’azur… complot « chemtrail » et sur le net [13]. Références [1] En février 2008, Agnès Lenoire, dans son blog ment », dans Pour la science (d’après Nature Climate Doutagogo, signalait la montée de cette rumeur : change), vol. 403, mai 2011, p. 7 http://doutagogo.over-blog.com/article-16265998.html [9] http://fr.wikipedia.org/wiki/Ensemencement_des_nua [2] http://www.chemtrails-france.com/ ges [3] http://acseipica.blogspot.fr/p/sentinelles-du-ciel.html

[10] Le rasoir d’Ockham est un principe recommandant de préférer les explications nécessitant le moins d’hypothèses (SPS n°286, http://www.pseudo[5] http://www.midilibre.fr/2012/03/04/les-chemtrails- sciences.org/spip.php?article1213). parano-ou-reel-sujet-d-inquietude,466196.php [11] www.chemtrails[6] H. Appleman, « The formation of exhaust contrails by france.com/qu_est_ce_que_c_est/index.htm jet aircraft », dans Bull. Am. Meteorol. Soc., vol. 34, 1953, [12] www.chemtrails-france.com/complicite/index.htm p. 14–20 [7] htwww-pm.larc.nasa.gov/sass/pub/conference/min- [13] Pour plus de détails sur le sujet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chemtrail ; nis.onera.abs.pdf http://fr.wikipedia.org/wiki/Contrail ; [8] Maurice Maashal, « Traînées d’avion et réchauffe- http://www.hoaxbuster.com/hoaxliste/chemtrails [4] http://actu-chemtrails.over-blog.com/

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Et la culture scientifique ? Jean-Claude Pecker

À l’appui de sa lettre, Jean-Claude Pecker rappelle les titres qui expliquent son engagement de toujours pour une culture véritablement scientifique : Membre de l’Institut (Académie des Sciences), Professeur honoraire au Collège de France (chaire d’Astrophysique théorique), Président du Comité Sciences de l’Univers du Palais de la Découverte (années 1960-70 env.), Membre (1979-80) du Comité chargé de sélectionner le projet architectural de la Cité des Sciences et de l’Industrie, Président du COMIST (Comité Préparatoire du Musée des Sciences et de l’Industrie de la Villette, 1981-1985), Président du Comité National interministériel de la Culture Scientifique et Technique (1985-1987), Président du Comité Sciences de la Commission Nationale pour l’UNESCO (1974-1978), Président de la Société Astronomique de France (1973-1976), Président d’honneur de CLEA (Comité de Liaison Enseignants-Astronomes), Président d’honneur de l’ALPF (Association des Planétariums de Langue Française), Président d’honneur de l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique).

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Nous reproduisons ici un texte que JeanClaude Pecker a adressé au nouveau Président de la République, au Premier Ministre ainsi qu’aux ministres concernés. Il explicite ses préoccupations concernant la culture scientifique qui, selon lui, est depuis trop longtemps tragiquement ignorée par les gouvernements, et principalement ces récentes années. Jean-Marc Ayrault a répondu en lui assurant partager « l’idée selon laquelle la culture scientifique est partie intégrante de toute culture » et accorder « une grande importance au développement de la culture scientifique et technologique, aujourd’hui et pour l’avenir, car elle permet de véhiculer une image positive de la science et de la technologie, notamment auprès des jeunes ». Le premier ministre confirme avoir demandé aux principaux ministres concernés « d’en faire un élément de leurs programmes d’action ». l’aube d’une nouvelle législature, de nombreux thèmes se sont installés dans la campagne électorale, en fonction directe des déceptions accumulées au cours du quinquennat passé, des quinquennats passés, pourrait-on dire.

À

La culture a notamment été l’objet de nombreux points de vue. On a évoqué bien entendu la maîtrise nécessaire, dès l’école, de notre langue ; on a prôné une meilleure connaissance de la littérature, des arts, du théâtre, de la pensée… que sais-je ? Certes, ces aspects essentiels de

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Veut-on des justifications à notre inquiétude ? Le Palais de la Découverte, créé par Jean Perrin à l’époque du Front populaire, est menacé, malgré la nécessité de maintenir au centre de la capitale cet établissement remarquable d’ouverture à la science pure. Le nombre de planétariums, même dans les grandes villes, est très insuffisant ; ainsi une ville comme Bordeaux (et ce n’est pas le seul exemple !) en est dépourvu. L’observatoire historique qu’est l’Observatoire Camille Flammarion à Juvisy-sur-Orge est toujours en attente du financement des travaux de réhabilitation, et de transformation en un centre de culture scientifique, malgré les efforts de son propriétaire, la Société Astronomique de France. En province, les maisons des jeunes et de la culture ont des propos scientifiques très insuffisants. Les revues de popularisation de la science (telles Science et Vie, La Recherche, Science et pseudosciences, Pour la Science ou Ça m’intéresse, pour ne citer que des revues

P.L. Martin des Amoignes 1886. Wikemedia

la culture ont été souvent négligés par nos gouvernants depuis une quinzaine d’années. Mais combien de responsables politiques, combien même d’intellectuels parmi les plus respectés, sont-ils conscients de ce que la culture scientifique appartient aussi, pleinement, à la culture ? Il n’est certes pas bien d’ignorer Shakespeare, Rembrandt, Mozart, Victor Hugo, ou Picasso. Mais pourquoi devrait-on ignorer sans complexe Copernic, Galilée, Pasteur, Hubble ou Fleming ? L’épanouissement de la culture scientifique est aussi nécessaire que celui de tous les autres visages de la culture, culture artistique, culture littéraire, culture musicale. Le silence qui plane généralement autour de la culture scientifique est d’autant plus insupportable que les autorités publiques se sont longtemps désintéressées trop souvent des outils de cette culture, et que le mécénat privé prétendu scientifique ne s’exerce qu’avec des œillères et un compte-gouttes, et un souci aigu des intérêts du donateur.

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© Calcul mental à l'école (Nikolay Bogdanov-Belsky, 1895). Wikemedia

mique, aux manipulations génétiques, aux dangers en somme des applications de la science plutôt qu’à ses bienfaits, chirurgie cardiaque, transports rapides, ou communications faciles. Après Hiroshima, il y a eu Fukushima ; la thalidomide a fait des ravages, les OGM sont vilipendés. Et « c’est la faute à la science » ! Le débat politique sur ces problèmes a perdu sa rationalité pour ne devenir que purement passionnel. Restons-en d’abord aux principes de la culture scientifique. Tout d’abord, il convient de distinguer la science pure et ses applications. « généralistes ») sont des magazines de qualité. Mais leur diffusion est encore insuffisante, dans les établissements scolaires notamment, le plus souvent pour des raisons budgétaires. Pourtant, nous n’arrêtons pas d’entendre les autorités responsables se plaindre de la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques. Il n’y a plus d’étudiants se lançant vers les maths ou la physique ; au collège ou au lycée, les enseignants se plaignent d’avoir de plus en plus de difficultés à faire comprendre les démarches de ces disciplines. Et une certaine philosophie exprime assez fort les doutes envers le propos même de la science. Le mot de « progrès » passe parfois pour une dangereuse obscénité. Des émules de Protagoras nous expliquent que tout est vrai, et son contraire. Et dans le public, la science est associée à la bombe ato68

Il est bon de faire comprendre au public jeune ou moins jeune ce qu’il y a dans la boîte noire universelle de la technologie, de montrer comment et pourquoi l’on se sert de tel ou tel outil, et quels principes de la physique, de la chimie ou de la biologie il importe d’exploiter pour développer et utiliser telle ou telle technique. Qui comprend clairement comment marche – et ce ne sont que des exemples – son ordinateur, son four à micro-ondes, ou les comprimés absorbés chaque matin ? C’est le rôle de la Cité des sciences et de l’industrie, à la Villette, que de permettre cette compréhension. Mais il importe aussi, et même d’abord, de faire comprendre la physique et la chimie de base, mais aussi la mathématique de base, nécessaires à la conception des technologies nouvelles. Il ne suffit pas de montrer tout cela, comme un spectacle de magie. Encore faut-il l’expliquer, le faire comprendre et s’assurer, c’est l’une des missions de

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la pédagogie, que la personne à qui l’on s’adresse en a effectivement bien compris les principes. Et qu’il s’agisse du théorème de Pythagore, de la nature de l’arc–en-ciel, de l’analyse élémentaire de l’eau ou du sel, ou encore de la conception héliocentrique du système solaire… Ne jamais se satisfaire de montrer la science, et non seulement la faire comprendre, mais s’assurer de ce que ceux à qui l’on s’adresse ont bien compris. Telle est évidemment la mission des enseignants. Mais telle est aussi la mission des institutions de culture scientifique, tel le Palais de la Découverte. Il est un domaine relevant de la culture universelle et qui mérite de plus en plus d’attention, tant il constitue une menace pour notre société. C’est la culture « antiscience », la culture du faux, de l’illusion, du mystère, du mystique… et qui s’affirme pourtant scientifique. C’est aussi le rôle des semeurs de culture scientifique que de mettre en accusation ces mystifications nombreuses, et souvent, hélas, séduisantes : la parapsychologie, l’astrologie, la numérologie, mais aussi l’homéopathie, et les nombreuses thérapies illusoires, irrationnelles, et se vantant de l’être, comme si l’on pouvait associer les concepts de « scientifique » et d’« irrationnel » ! La culture scientifique est un antidote contre cet empoisonnement lent et très insidieux de notre société. Une croyance n’est pas une connaissance, l’aveuglement n’est pas la lucidité, la foi n’est pas la raison. Il importe donc, pour des raisons multiples – maîtrise de notre croissance, démystification des fausses

solutions, regard lucide vers le monde qui nous entoure et dans lequel nous vivons – de cultiver la science. La culture scientifique est une ouverture. Nos gouvernements s’en sont si souvent désintéressés que le terreau de la science française semble avoir perdu une partie de sa fertilité. C’est le devoir du nouveau gouvernement, de la nouvelle législature, que de remettre la culture scientifique au cœur de la culture. Que faudrait-il donc faire ? C’est d’abord une question d’état d’esprit, bien sûr. Mais c’est aussi une question de programmes et de budget. Sans prétendre faire ici un tableau complet, cohérent, des possibilités, il me semble que l’on pourrait d’abord multiplier, en région, des antennes de la Cité des Sciences et de l’Industrie et du Palais de la Découverte (aujourd’hui groupés sous la casquette « Universcience »). Un planétarium dans chaque ville grande ou moyenne est un excellent accès à une prise de conscience de l’importance de la connaissance scientifique. Un soutien solide aux centres de documentation des collèges et des lycées doit permettre d’ouvrir largement les jeunes esprits vers la beauté de la science. Et des entreprises remarquables s’adressant aux plus jeunes, comme « La Main à la pâte » doivent être généralisées, et multipliées… Une volonté politique est nécessaire. Elle est possible. La culture scientifique est partie intégrante de toute culture. Sans sa composante scientifique, toute culture est tristement incomplète, et vouée à tous les échecs.

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Petites nouvelles...

Un monde fou, fou, fou... Des fleurs de Bach pour l’autisme Alors même qu’en France, ainsi que nous le disions dans l’éditorial de notre dossier sur l’autisme (SPS 300), le jour se lève pour les approches scientifiques de l’autisme, que les patients et leurs familles ont droit à une prise en charge par des méthodes et traitements validés, que l’autisme a été déclaré « grande cause nationale » pour 2012, que nous posions la question : « une « grande cause nationale » peut-elle reposer sur de fausses bases scientifiques ? » [1], des pseudo-thérapies comme celle des fleurs de Bach utilisent sans scrupule la détresse des parents pour leur vendre… de la poudre de perlimpinpin !

Bach autisme est un mélange de fleurs de Bach que j’ai composé spécialement pour des situations de parents qui se retrouvent avec un enfant autiste. Les choix que le docteur Bach a effectués avec ses fleurs ont permis de faire des miracles sur beaucoup de problèmes qui torturent le mental de l’être humain. Celui qui détient la connaissance des mélanges entre les différentes fleurs a entre ses mains un trésor inestimable. »

À la description des correspondances « harmonieuses » entre les manifestations de l’autisme et les effets « miraculeux » du « complexe de fleurs de Bach autisme », (stimuler le contact social, accepter facilement les changements, résister à la panique, amoindrir le stress, diminuer le risque de dépression C’est ainsi qu’un psyet son intensité, tout chologue actuellement cela grâce à des © Sharon Pearsall, Itsockphoto.com inscrit sur la liste des « élixirs floraux » !), psychologues autorisés à porter ce succèdent les recommandations titre en Belgique [2] – propose sur concernant leur administration : Internet l’achat de fleurs de Bach pour traiter l’autisme ainsi qu’un « Le complexe de fleurs de Bach livre Guide de fleurs de Bach – numéro 64 se prennent [sic] six fois Quelles fleurs de Bach peuvent vous par jour. Il est idéal de donner quatre gouttes à chaque prise. Vous pouaider ? [3]. vez donner directement cette quanSur ce site, à la rubrique « Le com- tité sur la langue grâce aux compteplexe de fleurs de Bach autisme », gouttes ou tout simplement diluer on lit : « Le complexe de fleurs de 70

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ces quatre gouttes dans un verre d’eau pour faciliter la prise. […] Les résultats sont rapides et augmentent avec le temps. Je conseille fortement de faire suivre le traitement sur une période minimum de trois mois pour pouvoir vraiment observer des bénéfices stables et sur le long terme. […] 100 % sûr, aucun effet secondaire, ne crée pas de dépendances, à combiner en toute sécurité avec un traitement conventionnel », tout cela au prix de 39 € le flacon, sans compter le port et le nombre de flacons nécessaires pour obtenir un début d’effet.

Préparation des fleurs de Bach. Wikimedia Common

La fabrication des élixirs de fleurs de Bach, le mythe fondateur, le caractère immuable de la théorie et ses points communs avec l’homéopathie, le jargon pseudo-scientifique, les invraisemblances et l’absence de preuve de son efficacité à laquelle on substitue un « corpus de témoignages » [4] etc., ont été décrits et analysés par Richard Monvoisin dans un article paru dans SPS 273 de juillet-août 2006 et dans un livre édité par book-ebook [5].

La gamme des indications des fleurs de Bach s’étend du « bébé pleurnicheur », « pipi au lit », autisme, « tomber enceinte », anorexie, « mort d’un être cher », « maniaco dépression »… aux drogues, cancer, etc. ! Mais exploiter la détresse des parents d’enfants autistes, comme toute détresse, n’est-il pas scandaleux de la part d’un professionnel de la santé ? Références : [1] «Autisme et psychanalyse : premier jugement du Tribunal de Lille» www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1820 [2] www.conseilfleursdebach.fr/files/cke ditor/file/attestation2012 %28frans %2 9.pdf [3] www.conseilfleursdebach.fr/lesfleurs-de-bach-et-les-enfants/autismeasperger.htm [4] Sur le site, on lit par exemple : « Cher Tom, Tu as préparé une combinaison sur mesure pour mon fils de 25 ans. Il la prend maintenant déjà depuis deux mois et je dois avouer que les résultats sont spectaculaires. À 13 ans, on a diagnostiqué l’autisme. Notre fils aime beaucoup l’harmonie dans son environnement direct. Comme je te l’ai déjà dit, il ne supportait pas les tensions et il réagissait parfois à l’extrême à la suite de son hypersensibilité. Nous n’avons plus ces réactions extrêmes et mon mari, qui le masse quotidiennement dit que ses muscles sont plus détendus. […] Des personnes ignorantes ne pourraient même pas voir qu’il est autiste. Nous le remarquons surtout à sa vie sociale, il fait plus vite des contacts et il s’est comme tout à fait épanoui. […] » [5] « Fleurs de Bach : une action avérée sur l’esprit critique », www.pseudosciences.org/spip.php?article590 et Fleurs de Bach. Enquête au pays des élixir. Book-e-book.com.

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Selon une étude américaine et israélienne rapportée par différents médias dont lefigaro.fr le 26 juillet 2012 [1], l’activité intellectuelle régulière liée à la prière pourrait ralentir le développement de la maladie d’Alzheimer, maladie dégénérative du cerveau, qui se manifeste par la détérioration progressive de la mémoire et des capacités intellectuelles et pour laquelle il n’existe pas de traitement, d’où l’importance de la prévention. L’étude, lancée en 2003 par le Professeur Rivka Inzelberg de la faculté de médecine de Tel Aviv auprès d’un échantillon de 892 musulmans arabes israéliens de plus de 65 ans, a été présentée récemment lors d’un colloque sur la maladie d’Alzheimer, en Israël. Le choix de la religion musulmane s’explique par le nombre important de prières quotidiennes préconisé. Dans cet échantillon, un premier groupe de 60 % des femmes priaient cinq fois par jour, comme le veut la coutume musulmane, tandis que le deuxième groupe de 40 % ne priaient que de façon irrégulière. Rivka Inzelberg a précisé au quotidien israélien Haaretz : « Nous avons constaté, dix ans après le début de l’étude, que les femmes pratiquantes du premier groupe (celles qui priaient cinq fois par jour) avaient 50 % de chances de moins de développer des problèmes de mémoire ou la maladie d’Alzheimer que les femmes du deuxième groupe ». La prière aurait une influence deux fois plus importante 72

© Katrina Brown | Dreamstime.com

La prière, un antidote contre la maladie d’Alzheimer ?

que l’éducation pour protéger les femmes contre cette dégénérescence cérébrale en faisant travailler l’intellect et la pensée et en sollicitant la mémoire : « La prière est une coutume qui nécessite un investissement de la pensée, c’est sans doute l’activité intellectuelle liée à la prière qui pourrait constituer un facteur de protection ralentissant le développement de la maladie d’Alzheimer ». Les tests n’ont pas été effectués parmi les hommes de ce groupe dans la mesure où le pourcentage de ceux qui ne priaient pas n’était que de 10 %, un taux insuffisant d’un point de vue statistique pour aboutir à des conclusions fiables. Ce n’est pas la première fois qu’on arrive à établir un lien entre des pratiques spirituelles (qu’elles soient religieuses ou non) et des effets sur la mémoire. L’an dernier, une étude américaine a montré que

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la méditation pouvait ralentir la progression de la maladie en augmentant la connexion entre différentes parties du cerveau. Elle réduirait ainsi l’atrophie cérébrale associée à la maladie d’Alzheimer. [2][3] Il reste que l’activité intellectuelle en soi devrait pouvoir avoir la même efficacité que la prière pour les non-croyants ou pratiquants, comme par exemple d’écrire des articles pour SPS… Alors à vos plumes… ! [1] http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/07/26/18701-priere-armecontre-alzheimer http://siliconwadi.fr/4447/4447 http://www.israelvalley.com/news/2012/ 07/27/37063/israelvalley-sante-uneetude-qui-surprend-la-priere-seraitune-arme-contre-la-maladie-de-alzheimer-une-etude-publiee-en-i [2] Luders E, Clark K et al. Enhanced brain connectivity in long-term meditation practitioners. Neuroimage. 2011 June 6. www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21664467 [3] Cerveau & Psycho, n° 52, juillet-août 2012, propose un dossier sur « La méditation ».

La communication facilitée ferait-elle des miracles ? Selon un journal italien [1], un jeune homme atteint de trisomie 21 aurait réussi son baccalauréat avec 20 sur 20, grâce à la communication facilitée. Un lecteur non averti saluera spontanément une méthode capable d’aider un jeune trisomique à révéler aussi excellemment ses capacités. Pourtant, dans la situation dite

La communication facilitée Extrait du « Guide santé et dérives sectaires » que vient de publier la MIVILUDES (avril 2012), la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. « Il s’agit d’un procédé qui permettrait aux personnes privées de paroles (autistes, polyhandicapés, traumatisés crâniens…) de s’exprimer en tapant à la machine avec un doigt. Un partenaire leur soutient la main ce qui favorise les échanges inconscients d’information entre les deux. Le patient se brancherait sur le cerveau de son partenaire et utiliserait son équipement moteur, sensoriel, et même psychique pour exprimer sa propre pensée. Les handicapés mentaux sévères, les non voyants de naissance, les sourds profonds, les patients en phase de réveil de coma, les enfants présentant des troubles psychosomatiques seraient éligibles à cette pratique. Cette méthode est aujourd’hui l’objet d’une controverse en raison des publics extrêmement fragilisés auxquels elle s’adresse. À défaut de pouvoir la qualifier de « sectaire » en l’état actuel des investigations menées à son sujet, de fortes présomptions de risque de déviances thérapeutiques sont émises par un grand nombre de professionnels, qu’il s’agisse des institutions représentatives de la profession médicale comme l’Ordre national des médecins ou des syndicats professionnels des soins de suite et de réadaptation ». On se reportera aux différents articles publiés par Science et pseudo-sciences : www.pseudosciences.org/spip.php?article743, www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1336.

Science et pseudosciences n°277, mai 2007. « La communication facilitée, un spiritisme new-âge qui ne fait pas sourire ».

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Dans le cas de ce jeune bachelier, il nous semble raisonnable de penser que, soit il était capable de réussir son bac et n’avait peut-être besoin que d’une aide technique pour l’aider à écrire, ce qui n’a rien à voir avec la « communication facilitée », soit c’est sa facilitatrice qui avait bien appris ses leçons. Ou alors le jury a été particulièrement indulgent. [1] www.giornalettismo.com/archives/41 1203/il-ragazzo-down-diplomato-con100/

Power Balance, c’est fini … vive Bioguard X ! Power Balance suite et fin… Nous en avions parlé en octobre 2010, les frères surfeurs californiens Troy et Josh Rodarmel, avaient eu cette idée « lumineuse » de mettre un hologramme dans un bracelet [1]. Les « bracelets magiques » avaient été vendus en grand nombre dans divers pays, principalement à des sportifs amateurs et professionnels. Ces bracelets étaient censés, entre autres bienfaits, améliorer l’équilibre, la concentration, l’endurance et soulager stress et tension, le tout justifié par des considérations pseudoscientifiques sur l’interaction bénéfique de fréquences magnétiques avec le corps humain. En Australie puis 74

aux États-Unis, des milliers d’utilisateurs ont déposé une plainte collective, les Justices australienne puis américaine ont exigé de Power Balance qu’il retire ses produits du marché. Aux États-Unis, une amende de 57 millions de dollars d’amende a été infligée à Power Balance pour « publicité mensongère ». De plus, selon ce jugement, « chaque acheteur peut réclamer le remboursement du bracelet (30 dollars) et un bon d’achat de 5 dollars. » [2] Mais voilà le bracelet Bioguard X… En effet, le laboratoire Bioguard X, en Israël, a conçu un bracelet capable de « démagnétiser » le corps humain, qui serait, à l’ère du Wifi et d’Internet mobile, surexposé aux radiations électromagnétiques. Le cœur de ce nouveau produit miracle n’est plus un hologramme, mais une formule mystérieuse : le SR 18. Le site Israël Valley [3] indique : « Le laboratoire rapporte également

© Mike Monahan | Dreamstime.com

de la « communication facilitée », les expériences en double aveugle menées dans plusieurs pays, notamment en Belgique au moment du cas de Rom Houben, ont montré que, lorsque le ou la facilitant(e) ne connaît pas la réponse à la question posée au facilité, celui-ci se trompe (voir encadré).

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les méfaits de la surexposition aux radiations électromagnétiques auxquelles nous sommes soumis à longueur de temps, comme les dommages aux tissus du système bioimmunitaire, à la fertilité masculine, ainsi qu’au code génétique. Ces dysfonctionnements peuvent provoquer des dérèglements plus ou moins graves, et dans certains cas, générer des tumeurs cancéreuses. » Le laboratoire s’engage auprès du consommateur sur la qualité de son produit : il est réalisé à partir de matières naturelles non toxiques, il est « non invasif » et garanti 12 mois. Son prix est de 175 shekels, soit environ 35 euros. Tout bien réfléchi, pour le même prix, mieux vaut le Power Balance et sa fausse promesse d’un meilleur équilibre que le Bioguard X, qui

suscite des peurs en vendant une pseudo-protection contre des dangers jamais mis en évidence ! Décidément, rien n’arrête les marchands d’illusion… ! [ 1 ] w w w . p s e u d o sciences.org/spip.php?article1448 [2] www.popnsport.com/actus/82812/pu blicite-mensongere-power-balancecondamnee-a-57-millions-de-dollarsdamende/ [3] www.israelvalley.com/news/2012/05/ 14/36079/israelvalley-le-bioguard-xremplace-la-power-balance-en-israelbiomed-technologies-lance-le-braceletqui-demagnetise-le-c

Rubrique réalisée par Brigitte Axelrad

Les ondes électromagnétiques nuisent-elles à notre santé ? Nous avons malheureusement trop souvent matière à critiquer des confrères qui, sur des dossiers scientifiques, s’égarent dans le subjectif, l’idéologie et l’information approximative, quand elle n’est tout simplement pas fausse. Ainsi, c’est avec plaisir que nous signalons à nos lecteurs un dossier honnête et sérieux publié dans CPCHardware sur un sujet controversé que nous avons maintes fois abordé dans nos colonnes : les ondes électromagnétiques. Pour réaliser ce dossier de 22 pages, l’équipe de rédaction a « rencontré et interviewé un grand nombre d’intervenants, des associations antiondes qui prédisent une catastrophe sanitaire imminente jusqu’aux opérateurs de téléphonie mobile en passant, bien sûr, par de nombreux scientifiques. Qu’il s’agisse de téléphone portable, de Wi-Fi, de DECT, de 3G, mais également de lignes haute tension ou d’électrohypersensibilité, les plus grandes problématiques ont été traitées ». Une lecture que nous recommandons à nos lecteurs. Le numéro peut être acheté en ligne sur le site : http://canardpc.com/boutique.html

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Livres et revues Les patients de Freud Destins

Mikkel Borch-Jacobsen Éditions Sciences Humaines, 2011, 224 pages, 14 € La biographie de Freud et d’une dizaine de ses patients (cf. Études sur l’hystérie et Cinq psychanalyses) ont donné lieu à une quantité énorme de publications. Borch-Jacobsen a néanmoins réussi à composer un ouvrage tout à fait original et qui devrait faire date dans l’histoire de la psychologie et du freudisme. Jusqu’à présent, aucun livre n’avait présenté un nombre aussi élevé de patients de Freud (pas moins de trente-et-un !) et très peu avec autant de rigueur. L’auteur, qui a une formation de philosophe et d’historien, est professeur à l’Université de Washington, ce qui lui a donné l’occasion de travailler aux Archives Freud, déposées à la Bibliothèque du Congrès à Washington1. Il a eu accès à de nombreux documents non encore publiés, en particulier des entretiens de Kurt Eissler, le secrétaire des Archives, avec d’anciens patients de Freud et leurs proches. L’auteur a rassemblé une documentation exceptionnelle. Il s’est limité à des personnes venues chez Freud pour une thérapie (à partir des années 1920, Freud s’est pratiquement limité à des analyses didactiques de futurs disciples2). On savait par quelques journaux d’analyse publiés par des psychiatres venus faire leur didactique chez Freud que sa pratique différait des règles qu’il avait publiées et qui sont devenues celles de l’Association internationale de Psychanalyse. Le présent ouvrage montre que Freud était encore plus interventionniste avec des patients qu’avec des élèves. Tantôt il interdisait d’avoir des relations sexuelles ou de se masturber, tantôt il conseillait de se marier et d’avoir des enfants (ce qui s’est avéré plusieurs fois catastrophique pour les intéressés). On apprend à quel point Freud était money-minded, selon l’expression d’un patient. Freud a traité surtout des juifs autrichiens, riches ou richissimes (par exemple Fanny Moser, qui semble avoir été la femme la plus riche d’Europe centrale). Beaucoup étaient des « névrosés dorés », nullement représentatifs des troubles mentaux du genre humain. Les honoraires étaient extrêmement éle-

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vés (à partir des années 20, Freud n’acceptait que des clients payant en devises étrangères au moins 10 $ la séance). Le coût total était généralement astronomique, car Freud imposait un minimum de six séances par semaine, mais parfois jusqu’à douze, et la cure durait des années. Ce fut le cas par exemple pour Elfriede Hirsfeld souffrant d’obsessions-compulsions : un traitement de sept ans à raison de neuf à douze séances par semaine (au total 1600), un traitement qui échoua. Autres découvertes : Freud, qui écrivait en 1917 que la psychanalyse ne pouvait aider les psychotiques, a cependant essayé d’en traiter (par exemple, de 1925 à 1930, Carl Liebman, qui finira à l’asile). Il demandait à ses riches patients de faire des cadeaux pour qu’ils ne souffrent pas d’un sentiment de gratitude à son égard. À la baronne Marie von Ferstel, qui souffrait de constipation, il avait prescrit : « Vous devez apprendre à lâcher quelque chose ! Vous devez donner plus d’argent, par exemple ». Elle lui avait alors offert une villa dans une station de vacances (qu’il s’empressa de vendre)… sans effet laxatif réel. Plus tard, elle qualifiera Freud de « charlatan », une expression qu’utilisera aussi le baron von Dirsztay après 1400 heures d’analyses qui, disait-il, l’avaient « détruit ». La leçon la plus importante de cette enquête est un paradoxe. Freud n’a obtenu quasi aucun succès thérapeutique avec des patients ayant des troubles sérieux. La plupart ont vu leur état s’aggraver. Certains ont fini à l’asile, d’autres se sont suicidés (sur les trente-et-un patients, trois suicides réussis, plus quatre tentatives). Malgré cela, Freud paraissait un génie révolutionnaire aux yeux de l’avant-garde viennoise, tout comme Lacan à Paris il y a un demi-siècle. Bon nombre de ses patients lui ont voué un véritable culte, malgré l’absence de résultats thérapeutiques. Pour eux, la cure était devenue leur mode de vie. Par contre, la plupart des proches des patients étaient très mécontents. Ce fut le cas du mari de la baronne Anna von Lieben, qui fit arrêter le traitement après six ans d’une analyse qui n’avait pas pu la délivrer de sa morphinomanie (au contraire, Freud accompagnait la cure par la parole d’injections de morphine). L’ouvrage devrait intéresser les démystificateurs du freudisme, mais aussi des psychanalystes qui y découvriront comment Freud travaillait effectivement. Il devrait également intéresser les lecteurs de Science et pseudosciences, qui verront à quel point l’histoire peut s’avérer efficace pour dévoiler des supercheries. Ils verront aussi que, pour garder des patients dans ses filets, un thérapeute ne doit pas réellement les soigner. Jacques Van Rillaer 1 Nous avions rendu compte de son ouvrage (écrit avec S. Shamdasani) Le Dossier Freud Enquête sur l’histoire de la psychanalyse, dans SPS n°272 (http://www.pseudosciences.org/spip.php?article583). 2 Pour ces clients, voir : P. Roazen (1995) How Freud worked : first-hand accounts of patients. Jason Aronson. Trad., Dernières séances freudiennes. Des patients de Freud racontent. Paris: Seuil, 2005, 352 p.

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Fables scientifiques Darryl Cunningham Éditions Çà et Là, 2012, 160 pages, 18 € Darryl Cunningham est un dessinateur britannique. Il a également travaillé comme aide-soignant dans un service psychiatrique. Cette expérience lui a inspiré des récits dessinés qu’il a édités sur son blog1 et qui l’ont conduit à réaliser sa première bande dessinée Psychiatric Tales2 (2011). Dans les Fables scientifiques, recueil d’« enquêtes graphiques » publié cette année, Cunningham aborde sept sujets de controverse scientifique : l’homéopathie, le vaccin ROR et son lien avec l’autisme3, le canular de l’alunissage des Américains en 1969, le réchauffement climatique, l’évolution, la chiropraxie et le dénialisme scientifique4. À chaque fois, il expose l’historique du sujet et les arguments scientifiques, pour la plupart bien connus du lecteur de Science et pseudosciences qui les retrouvera, ici, associés à un graphisme en couleur minimaliste, incluant de temps en temps des photographies plus ou moins retravaillées. L’exercice est d’autant plus difficile que dans chaque vignette, la place réservée au texte est réduite : la concision et le ciblage précis du propos sont donc de rigueur. Et cette contrainte laisse parfois l’impression d’une conception naïve du processus scientifique : une belle démarche scientifique, les mystiques qui la refusent, les méchants scientifiques fraudeurs, ceux qui sont corrompus par de puissants lobbies pour introduire le doute sur les données de la science… Bien entendu, tout cela existe et a été montré, récemment, par exemple, pour le lobby de l’industrie du tabac5. Faut-il, pour autant, conclure que tous les contestataires, soit manquent de méthode, soit sont sous l’influence de lobbies ? C’est ce que semble penser D. Cunningham dans le cadre du réchauffement climatique anthropique.

Darryl Cunningham rend compte de l'affaire Wakefield qui avait provoqué une peur non fondée envers le vaccin contre la rougeole.

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Dans sa postface, l’auteur revendique un livre pro-science et pro-pensée critique dont le but « n’est pas de promouvoir une élite scientifique qu’il nous faudrait suivre comme des moutons » et précise : « Je défends ici le processus scientifique et non l’establishment scientifique. Ce dernier est capable de frauder, d’être corrompu par les politiques et l’argent… ou tout simplement de se tromper ». Il conclut : « La science n’est pas une question de foi ; ce n’est pas un point de vue parmi d’autres. La science valide est vérifiable et résiste à l’épreuve du temps. Tout ce qui ne fonctionne pas dans la science s’écroule ; ce qui subsiste, c’est la vérité » (p.155). C’est une définition de la science à laquelle on peut souscrire. Comme dans tout travail documenté, une biblio-sitographie termine cet ouvrage, accessible, instructif, précis et agréable à lire. Philippe Le Vigouroux 1 http://darryl-cunningham.blogspot.com/ 2 Fables psychiatriques, à paraître en 2013 aux Éditions Çà et Là.

3 Voir aussi Maisonneuve H, Floret D, « Affaire Wakefield : 12 ans d’errance car aucun lien entre autisme et vaccination ROR n’a été montré », Presse Med (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.03.022 4 Le dénialisme scientifique est le déni de la démarche scientifique et de ses résultats. Dans sa version moderne, il s’agit d’introduire, en concurrence avec la connaissance scientifique acquise ou en construction, des contre-vérités déguisées en données scientifiques pour préserver une position religieuse, politique ou industrielle. 5 Voir SPS n°284 (janvier 2009) et http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1094.

Les Mots du ciel Daniel Kunth Préface d’Hubert Reeves, avant-propos de Jean Audouze CNRS Éditions, Paris 2012, 186 pages, 15€ Daniel Kunth n’a pas besoin d’être présenté : astronome au CNRS, il a déjà à son actif un bon nombre de livres, dont certains ont eu du succès dans la vulgarisation scientifique. Son dernier écrit, Les Mots du ciel, est plaisant à plusieurs égards. D’abord par sa lecture agréable, ce qui ne constitue pas une surprise, car nous savions déjà que son auteur a la plume facile. Ensuite, le thème est captivant : débusquer les mots en rapport avec le ciel, mais utilisés couramment dans un autre contexte. Si quelqu’un s’égare dans tous les sens, ne dit-on pas qu’il va tous « azimuts » ? Si un artiste rencontre du succès, n’utilise-t-on pas l’expression d’« apogée » de la gloire ?... Daniel Kunth avoue qu’il a eu l’idée de ce livre lorsqu’il expliquait, en direct sur Canal+, l’origine du mot zénith, dans une émission qui s’appelait justement Mon Zénith à Moi. Il a bien fait de persévérer car il en a résulté un beau texte de culture générale, mélange de philologie et d’étymologie. Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Certes, on y trouve aussi, entre les chapitres, quelques encarts de science « dure » qui nous rappellent que l’auteur est astronome de profession. Ces passages s’adressent principalement aux lecteurs les plus motivés mais pourront aussi enrichir les courageux. Gageons que cet ouvrage n’est pas fini, que les lecteurs seront nombreux à signaler quelques « oublis » à l’auteur. Celui-ci se fera, certainement, un plaisir de les intégrer dans une nouvelle édition. C’est un livre à recommander à tout esprit cultivé et curieux. Arkan Simaan

Fusion et Cosmos Un fabuleux voyage à travers l’Univers

Hans Wilhelmsson Éditions Hermann, 2011, 321 pages, 32 € Cet ouvrage pourrait aussi s'intituler « fusion, rêve ou réalité ? » comme le titre évocateur d'une conférence de Hans Wilhelmsson (1929-2011), spécialiste suédois des plasmas. Le plasma est ce quatrième état de la matière, après l'état solide, l’état liquide et l'état gazeux. Il est constitué de gaz ionisé et constitue la majeure partie de l'univers. Comme un vibrant plaidoyer, ce chercheur nous livre le récit de ses activités en physique des plasmas, parallèlement à l’évolution des connaissances dans ce domaine. Partant de sujets fascinants comme les trous noirs ou le big-bang, il nous plonge dans le monde des plasmas, aux particularités étonnantes et souvent déroutantes. L’univers est dépeint comme un gigantesque laboratoire ou comme une grande centrale à fusion. Wilhelmsson nous fait partager ses émerveillements et ses tâtonnements car « la recherche évolue entre la chance de trouver et le risque de se tromper ». Après cette découverte de plasmas aussi divers qu’extraordinaires, comme l’enveloppe du Soleil, les éclairs ou les aurores boréales, on revient sur Terre avec la description des lasers, du confinement inertiel et des plasmas de laboratoire. Le lecteur comprend alors comment la fusion nucléaire peut être réalisée dans les tokamaks et stellarators, dispositifs de contrôle des plasmas. Hans Wilhelmsson nous fait partager, avec un enthousiasme vraiment communicatif, les découvertes contemporaines en s’appuyant sur une iconographie originale. Il établit des correspondances plutôt hardies entre les phénomènes scientifiques et certaines œuvres d’art. Le lecteur pourra être soit intéressé, soit un peu dubitatif par ces liens très personnels, par exemple entre les croquis de Léonard de Vinci et les processus de fusion, ou les effets non linéaires et la Vague d’Hokusaï... 80

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La lecture devient plus laborieuse lorsque l’auteur nous narre avec une surenchère de détails ses innombrables voyages, conférences, rencontres avec des chercheurs et sommités, souvent nobélisés. Il se montre alors finalement plus aride et rébarbatif que lorsqu’il parle de science ! Nous regrettons par ailleurs le côté un peu trop exalté de Wilhelmsson, les recherches sur la fusion l’auront peut-être un peu illuminé au-delà du raisonnable, jusqu’à imposer à ses lecteurs la notion de Dieu comme une évidence. Le style est souvent chargé avec des phrases bien longues et beaucoup de circonvolutions. La traduction manque aussi parfois de fluidité et de clarté1. Mais, tout en étant un peu fouillis, ce livre reste un document intéressant sur la fusion et son rôle potentiel dans la production d’énergie à l’avenir2. L’aspect un peu « forêt vierge » de l’ouvrage pourra malgré tout séduire plus d’un lecteur, de l’étudiant au connaisseur averti, qui souhaiterait réellement explorer toute l’ampleur du sujet. Christine Brunschwig 1 De petites erreurs comme Michel « Maire », au lieu de Mayor astrophysicien suisse co-décou-

vreur de la première exoplanète, ou étoile « lourde » au lieu de massive. 2 À ne pas confondre avec les fausses annonces de la « fusion froide » qui ont sérieusement

nui à la réputation de la recherche sur la fusion dans les plasmas chauds.

Les baleines ont-elles le mal de mer ? L’histoire surprenante des habitants de la mer

Caroline Lepage Les éditions de l’opportun, 2012, 190 pages, 15 € Nous avons déjà rendu compte à plusieurs reprises de ces ouvrages ludiques et à la mode, rédigés sous forme de questions (parfois un peu saugrenues, mais c’est aussi le jeu) qui ont pris le parti de nous instruire en nous amusant. Le concept est maintenant bien rodé, et Caroline Lepage, justement une habituée1, en connaît parfaitement toutes les ficelles, qui sont en gros de ne jamais être pontifiant, tout en transmettant beaucoup de connaissances. Dans ce dernier ouvrage, est-ce l’effet d’une forme d’accoutumance de ma part, ou ce ton léger est-il exagérément primesautier ?... Toujours est-il que l’auteur abuse un peu cette fois-ci, m’a-t-il semblé, des formules décontractées ou amicales, surjouant quelque peu l’aspect ludique, cherchant à mettre le lecteur en confiance, comme s’il ne fallait surtout pas paraître trop sérieux. Pourtant, la longue liste de sources (et un index final) montrent bien que ce livre est parfaitement documenté. Cela étant dit, l’ouvrage est naturellement aussi instructif que plaisant, et on va de surprise en surprise : un harpon datant de la fin du 19e siècle retrouvé dans le corps d’une baleine tuée en 2007 (ce qui en dit long sur la longévité de ces gigantesques mammifères) ; une baleine « égarée » dans la Science et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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Tamise ; l’étoile de mer, qui sort son estomac de son corps pour le mettre sur sa proie, commencer à digérer, et le réintégrer quand la taille du tout sera redevenue plus raisonnable ; ou encore ce scoop : les dauphins se doteraient de petits noms ! On en apprend vraiment à chaque page. Le choix de l’auteure de se cantonner au domaine maritime pourrait être une limite, mais la mer est encore si riche en plantes et animaux divers que tout danger de monotonie est écarté, et Caroline Lepage en explore vraiment tous les recoins2 ! Elle en profite au passage pour égratigner ici ou là quelques légendes pseudo-scientifiques (comme le cartilage de requin, qui ne peut rien contre le cancer…), ou réviser bien des idées reçues (comme cette « bonne odeur d’iode », alors que l’iode ne sent rien…), ce qui ne manquera pas de réjouir nos lecteurs ! Martin Brunschwig 1 Voir la présentation de son précédent ouvrage sur notre site : http://www.pseudosciences.org/spip.php?article1654. Elle a aussi traduit certains livres du même genre. 2 Elle anime d’ailleurs un site Internet consacré en grande partie à ce sujet : http://merseaplanete.com/

Avec le nucléaire Un choix réfléchi et responsable

Henri Prévot Seuil, 2012, 198 pages, 17 € L’auteur, ancien haut fonctionnaire, nous livre un plaidoyer à la fois rationnel et passionnel en faveur du maintien et du développement du recours au nucléaire dans la production d’énergie. Son approche rationnelle le conduit à dissiper un certain nombre de mythes que la propagande des contestataires a fait entrer dans les esprits et, partiellement, dans les décisions de la puissance publique : recours à des énergies renouvelables, coûteuses et incertaines (éolien, solaire) ; miroir aux alouettes des réseaux intelligents et des techniques de stockage de l’électricité supposés pallier l’irrégularité de production de ces énergies renouvelables ; isolation, au-delà du raisonnable, des bâtiments ; nocivité des faibles irradiations ; danger des déchets radioactifs alors qu’il existe des solutions sûres. Il ne manque pas de critiquer les évaluations excessives des conséquences sanitaires des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima et de ramener à de justes proportions l’impact potentiel de nouvelles catastrophes, dont nul ne nie qu’elles restent possibles malgré les améliorations techniques apportées aux installations nucléaires. Concrètement, il démontre que l’optimum est de porter de 63 à 94 GW la puissance nucléaire installée en France, en construisant deux EPR par an ; cela permettra de minimiser, au moindre coût, les émissions de CO2.

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L’auteur tient à la disposition des lecteurs, sur son site1, les feuilles de calcul qu’il a utilisées, et il suggère à chacun de refaire les calculs avec d’autres hypothèses. Le côté passionnel de son plaidoyer l’amène parfois à des affirmations qui restent à démontrer ou à des propositions peu réalistes. Par exemple, quand il adhère sans nuance à l’idée que les émissions anthropiques de CO2, dont on ne peut nier qu’elles conduiront à un certain réchauffement climatique, seront la source de catastrophes dont il se risque même à évaluer le coût. Ou quand il prône les réseaux de chaleur, alors que les logements construits depuis de longues années ont un chauffage individuel, qui ne s’y adapte pas. Ou encore quand il envisage que le chauffage électrique puisse être relayé dans les périodes de pointe par un chauffage classique : cette, idée, concrétisée par le tarif EJP (Effacement des Jours de Pointe) d’EDF, semble abandonnée pour des raisons qu’il aurait été intéressant de discuter. L’avenir à long terme du nucléaire passe par la surgénération. L’auteur en est convaincu, mais laisse dans l’ombre l’ampleur des développements techniques nécessaires, en particulier dans le retraitement des combustibles. Il fait implicitement confiance à la qualité et à l’inventivité des ingénieurs, mais oublie que le contexte actuel ne leur facilite pas le travail. En résumé, ce livre est intéressant et utile, mais il aurait gagné à plus de réalisme dans la prise en compte de l’ampleur des problèmes techniques et sociétaux à surmonter. La crainte des conséquences néfastes, voire catastrophiques, des émissions de CO2 sera-t-elle suffisante pour permettre d’aborder de façon plus rationnelle l’avenir énergétique, en faisant au nucléaire la place qu’il doit avoir ? Jean Günther 1 http://www.hprevot.fr/

Les organismes génétiquement modifiés Futuribles, analyse et prospective, n° 383 (mars 2012), 192 p., 19 € Futurible est une revue mensuelle de prospective qui analyse ce qui peut advenir et ce qui peut être fait vis-à-vis des grands défis du futur. Dans l’éditorial de ce numéro, H. de Jouvenel, directeur de la publication, fait référence à la polémique autour des OGM qui, comme chacun peut le constater, est devenue stérile. Il y exprime le souhait de pouvoir contribuer à assainir cette situation. Pour ce faire, il a fait appel à des spécialistes, impliqués dans divers aspects du sujet, qui ont rédigé neuf articles. C. Desaunay, rédactrice de Futuribles, fait une revue générale sur les applications des biotechnologies, honnête, mais elle n’a manifestement pas suivi tout le déroulement des évènements concernant les OGM. Une place exagérée est donnée aux idées reçues et le texte, souvent imprécis, contient un certain nombre d’informaScience et pseudo-sciences n°302, octobre 2012

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tions inexactes. D. B. Sawaya, expert de l’OCDE, donne ensuite, une vision planétaire du développement des OGM, judicieusement replacés dans l’ensemble des biotechnologies. Selon l’auteur, l’utilisation des OGM est une tendance lourde qui va s’amplifier, en particulier dans les pays émergents. Les OGM permettent d’augmenter les rendements sans devoir recourir à une surutilisation des terres. Les essais en champs concernent de plus en plus des OGM de deuxième génération, ceux qui visent à améliorer la qualité des produits alimentaires ou qui permettent d’exploiter des terres impropres à la culture car trop arides ou trop salées. P. Feillet, membre de l’Académie des technologies, dresse un panorama des réalisations effectives ou en cours, en les replaçant dans un contexte historique, montrant ainsi que les OGM s’inscrivent dans une logique scientifique autant que technique et non pas seulement financière. Il apporte des arguments montrant que l’utilisation des OGM est non seulement compatible avec les exigences de durabilité et d’équité mais qu’elle est même un des outils permettant d’atteindre ces objectifs. L’article est très bien documenté. Les questions que posent les OGM sont clairement exposées et les perspectives évoquées s’appuient sur un optimisme éclairé. L’article de J. Testart, biologiste, et F. Prat, agronome, est d’une tout autre facture. Il est délibérément polémique : seuls les mauvais côtés des OGM, qui sont parfois bien réels, sont pris en compte. Leur utilisation est supposée ne pas reposer sur de la science solide. Si on se réfère aux promesses formulées il y a quinze ou vingt ans par les industriels et certains chercheurs, les succès des OGM, selon ces auteurs, se feraient toujours attendre. Sont évoqués la question des brevets, les effets négatifs des OGM et leur prétendue toxicité. Considérer que l’utilisation actuelle des OGM est fondamentalement anti-démocratique est difficile à défendre : c’est ne pas prendre en compte le fait, qu’en France et ailleurs, des agriculteurs manifestent clairement leur souhait de pouvoir accéder à la technique OGM mais qu’ils le font très discrètement car leurs cultures sont menacées de destructions, bien peu démocratiques, elles. Un article de M. Kuntz et A. Ricroch, biologistes, fait un rappel des projets en cours impliquant des plantes OGM. Cette analyse fait ressortir en particulier le fait que des projets multiples de grande envergure, faisant appel à des collaborations entre laboratoires publics et privés ainsi qu’à des agences internationales et à des associations diverses, sont en cours de développement au service des pays pauvres. L’article contient également une analyse complète et claire des règlements concernant l’utilisation des OGM, accompagnée d’une réflexion critique sur la manière dont les responsables politiques gèrent l’exploitation des OGM en France. P.-B. Joly, économiste, dresse un tableau de l’histoire des semences telle qu’il la perçoit ainsi que de l’implication croissante de quelques industriels puissants. Certains des mécanismes qui ont conduit à cette situation sont décrits. Les différentes étapes des rapports de force concernant les règlementations relatives à la biosécurité des produits issus des OGM et à la propriété industrielle sont rapportées. L’auteur a évité de porter un jugement personnel sur la situation. 84

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A. Moneyron, consultante en éco-formation, O. Lemaire et J. Masson, directeurs de recherche à l’INRA, relatent l’histoire unique des essais en plein champs de vigne OGM obtenue dans le but de la rendre résistante au virus du court-noué, une maladie qui conduit à la mort du cep touché. L’INRA avait piloté la mise en place d’un protocole expérimental mais la bonne volonté des différents protagonistes n’aura pas suffi à empêcher la destruction des vignes OGM par des opposants. Les sondages sur l’acceptabilité des OGM sont nombreux et largement commentés. D. Boy, chercheur au Cévipof, les analyse et suit l’évolution des résultats au fil des années. Le refus des OGM actuels n’est pas le refus de la science en général et de ses applications. C’est plutôt le faible rapport bénéfice attendu/risque perçu qu’offrent les OGM actuels qui est déterminant. Les tentatives de type conférence citoyenne s’avèrent n’avoir qu’un impact très limité. Enfin, B. Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l’Agriculture et membre de l’Académie des technologies, se livre à une analyse comparative du comportement des consommateurs de l’Union européenne et des États-Unis vis-àvis des OGM. Les premiers OGM commercialisés ont été conçus pour être exploités aux États-Unis, non dans l’Union européenne. La greffe des OGM américains en Europe n’a donc pas pris. Reste la question de savoir pourquoi les Européens n’ont pas su développer leurs propres OGM. L’ensemble de ces articles fait un tour complet de la situation actuelle des OGM ce qui permet de spéculer sur l’avenir des OGM dans différentes régions du monde. On ne peut que recommander la lecture de ce dossier. Louis-Marie Houdebine Une version plus développée de cette présentation sera disponible sur le site de Science et pseudo-sciences

Le clin d’œil de José

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Histoire des sciences de la vie Pascal Duris et Gabriel Gohau

Nous signalons bien volontiers...

Belin, 2011, 246 pages, 29,50 € Cette histoire des sciences de la vie est nouvelle, non par son sujet, mais par son approche. En effet, l’habituel récit chronologique plus ou moins triomphaliste d’une science faite cède ici la place à une réflexion thématique sur le lent travail de la science en train de se faire. L’ambition des auteurs est de permettre ainsi au lecteur de comprendre comment se sont forgés les concepts fondamentaux de la biologie (espèce, évolution, fécondation, cellule, chromosome, réflexe, hormone, etc.) et comment une méthode expérimentale s’est progressivement imposée dans les sciences du vivant. Pour cela, l’ouvrage explore successivement l’histoire de la classification des espèces et des théories de l’évolution, celle des théories de la génération, de la théorie cellulaire et de l’émergence de la biologie moléculaire et, enfin, l’histoire des idées sur les grandes fonctions de l’organisme. Ce récit vivant et d’une lecture accessible comblera les passionnés des sciences. Présentation de l’éditeur Pascal Duris et Gabriel Gohau sont historiens des sciences. Pascal Duris est professeur à l’Université de Bordeaux 1. Gabriel Gohau collabore régulièrement à Science et pseudosciences, en particulier par des notes de lecture sur les ouvrages d’histoire des sciences.

Interdire le tabac. L’urgence Dr Martine Perez

Nous signalons bien volontiers...

Odile Jacob, 456 pages, 17,90 € Alors qu’il tue chaque année 60 000 personnes en France et 5 millions dans le monde, pourquoi le risque sanitaire « tabac » est-il laissé de côté ? Pourquoi n’assiégeons-nous pas les usines de fabrication de cigarettes pour sensibiliser à leurs effets mortifères, comme le font les militants antinucléaire avec les centrales ? Pourquoi les élus locaux ne sont-ils pas menacés de non-réélection s'ils ne plaident pas en faveur de l'interdiction du tabac, comme ils le sont pour lutter contre l'implantation d'antennes-relais ou la culture des OGM ? Il est temps de comparer les dangers du tabac à ceux des risques sanitaires dénoncés chaque jour, et dont les ravages sont pourtant infiniment moins importants, et cette enquête s’y attache. Il s’agit aussi de prouver que l'usage du tabac ne relève ni de la responsabilité ni de la liberté individuelles, mais de stratégies marketing sophistiquées. Il s’agit enfin de voir comment la France, à l’instar de la Finlande, pourrait s'engager à l’horizon 2020, par exemple, dans l'interdiction définitive du tabac. Présentation de l’éditeur Martine Perez, médecin, est rédactrice en chef au Figaro, où elle couvre depuis plus de vingt ans les sujets science et médecine.

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Des esclaves énergétiques Réflexions sur le changement climatique Jean-François Mouhot Éditions Champ Vallon, 2011, 160 pages, 17 € Une note de lecture de Martin Brunschwig

Retrouvez sur notre site Internet des notes de lecture inédites

Raison scientifique et valeurs humaines Essai sur les critères du choix objectif Anastasios Brenner Éditions PUF, science, histoire & société, 2011, 134 pages, 22 € Une note de lecture de Martin Brunschwig L’île sacrée Décryptage et analyse d’un livre codé : la vraie langue celtique de H. Boudet Catherine Pierdat Rdm-Éditions, 2011, 348 pages, 24,90 € Une note de lecture de Gabriel Gohau Almanach de la biologie Évolution et génétique Michel Rousselet Vuibert Adapt, 2011, 186 pages, 25 € Une note de lecture de Philippe Le Vigouroux Histoire secrète du Christianisme Patrick Boistier Éditions Praelego, 2011, 264 pages, 19 € Une note de lecture de Martin Brunschwig Les influences sournoises Précis des manipulations ordinaires Jean-Léon Beauvois François Bourin éditeur, 2011, 366 pages, 19 € Une note de lecture de Martin Brunschwig L'énigme des crânes de cristal Un mythe moderne ? Denis Biette Book-e-book, 2012, 89 pages, 11 € Une note de lecture de Philippe Le Vigouroux

Rubrique coordonnée par Philippe Le Vigouroux

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Dialogue avec nos lecteurs Quand un sujet fait de l’ombre à tout le reste… Je me suis cru très proche de votre pensée et de tous vos positionnements. Cela s’est trouvé vérifié de nombreuses fois, je l’avoue, et avec grand plaisir. Gérald Bronner, JeanPaul Krivine, beaucoup de textes stimulants... Ma grande déception date en premier lieu de la recension élogieuse, quasi dithyrambique, du livre brûlot de Michel Onfray sur Freud. Ce papier était hélas signé de Jean-Paul Krivine, qui occupe les plus hautes fonctions à SPS. Je suis médecin (anesthésie-réanimation, exercice public exclusif en médecine d’urgence entre autres – récemment retraité). J’ai choisi de telles études au départ pour devenir psychanalyste. […] Ensuite, votre numéro spécial sur le sujet m’a éberlué. Quel aveuglement, quel orgueil faut-il à tous ces gens (ceux qui n’ont pas l’excuse de l’ignorance) pour refuser ainsi un secteur de la pensée ? Que vous récusiez son caractère scientifique, j’accepte. J’ai suffisamment exercé une médecine quasi scientifique (réanimation, métabolismes, grandes fonctions vitales etc.) pour admettre la faiblesse scientifique de la psychanalyse. Mais alors deux choses : Est-ce si grave ? Voudriez-vous faire passer un examen à Mélanie Klein, et à qui encore ? Et finalement, si ce n’est pas une vraie science, est-ce de votre domaine ? 88

Vous traitez cette médecine comme le charlatanisme des sourciers, astrologues, naturopathes etc. ! Certes, il y a des charlatans chez les psys, mais votre thèse est ici par trop ridicule (je dis un « vous » très large, incluant une grande part des auteurs du numéro spécial). Si Freud a pu présenter son œuvre comme une science (non vérifié, mais j’en suis quasi certain), c’est lié au contexte de l’époque et à sa solitude au départ. Les patients acquis de cette discipline thérapeutique ont tout de même permis d’établir un corpus assez cohérent, au moins pour l’homo occidentalis. Conséquence de ces embrouilles : je n’ai plus ni confiance, ni plaisir à vous lire. Dommage ! Il y a toujours de bonnes choses, mais le cœur n’y est plus. Bonne chance quand même ! Marc R. Je me permets de revenir sur ce courrier un peu ancien auquel je n’ai pas pu répondre avant, car il me désole à plus d’un titre : d’abord, je constate que notre message n’est pas passé, puisque notre hors-série psychanalyse avait tenté notamment de démontrer que la psychanalyse n’offrait de cohérence ni à l’« homo occidentalis », ni aux autres1… Les préceptes principaux, pourtant très largement acceptés, sur lesquels se fonde la psychanalyse (refoulement, complexe d’Œdipe, etc.) n’ont jamais pu faire l’objet d’une quelconque validation. Ensuite, par contre, vous

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avez raison : si la psychanalyse n’avait que prétention littéraire ou philosophique, alors elle ne mériterait pas nos efforts. Mais la réalité est tout autre, et c’est bien ce qui a motivé notre choix d’un hors-série sur le sujet. Elle a prétention scientifique (elle se présente comme une théorie de l’esprit) et revendique des résultats thérapeutiques (elle affirme pouvoir aider à aller mieux, à guérir). Des psychanalystes reçoivent des patients dans leurs cabinets, et elle est, en France, enseignée dans de nombreux cursus de psychologie. Il est donc légitime que ces deux allégations soient passées au crible de la méthode scientifique et de la connaissance. C’est d’ailleurs ce qu’a récemment fait la Haute Autorité de Santé à propos des prises en charge de l’autisme, ou l’INSERM, dans une évaluation comparée de plusieurs approches thérapeutiques appliquées au soin des troubles mentaux. Donc, finalement, quand vous écrivez « Que vous récusiez son caractère scientifique, j’accepte », vous rejoignez le cœur même de notre critique, qui portait presque exclusivement sur cet aspect. Mais c’est surtout votre conclusion (« le cœur n’y est plus ») qui me désole véritablement ! Il arrive que des lecteurs s’avouent déçus, et parfois même nous quittent pour UN sujet particulier. Pour vous, la psychanalyse, pour d’autres, ce sera le climat, les OGM… Bref, nous sommes toujours au bord de décevoir certains lecteurs, qui pourtant nous approuveraient sur des dizaines de sujets, parce que sur l’un d’entre eux, nous allons contre des

idées trop arrêtées. Je comprends bien la démarche qui peut conduire à rejeter en bloc l’Afis parce qu’on estime y voir une faille ou un échec. Mais ne serait-il pas plus rationnel de simplement se désolidariser de nos conclusions sur un sujet (si vraiment…) sans remettre en cause la valeur de toutes les informations transmises ? Car c’est bel et bien une seule et même démarche qui nous anime : découvrir, puis faire connaître les résultats scientifiques tangibles sur lesquels il est légitime de se fonder pour se forger son opinion. N’oublions pas qu’un préalable à cette démarche est d’accepter d’avoir à changer d’avis… (Ça a toujours été mon avis !) M.B.

Les idées préconçues en science Le « dialogue avec nos lecteurs » du dernier numéro m’a ramené quelques lustres en arrière, temps où je représentais une association de consommateurs face à EDF, et où les champs magnétiques des lignes haute et très haute tension faisaient l’actualité des inquiétudes irrationnelles et des réactions tout aussi irrationnelles. Les conséquences sanitaires graves pour les enfants (leucémies) étaient mises en valeur par les médias, des agriculteurs assuraient que leur cheptel dépérissait, mais refusaient que EDF analyse tous les éléments de la vie quotidienne (alimentation du bétail, rythme d’activité, etc.), EDF semblait penser qu’il était le seul compétent en la matière, et refusait l’enterrement de ces lignes à cause

1 Cf notamment l’article de Pascal Picq : /www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1544

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du coût et des contraintes techniques et parce que l’emprise de sécurité au sol serait équivalente à celle d’une quatre-voies, etc.. Comme moins de gens étaient concernés, le débat était moins général que celui qui lui a succédé à propos des antennes, mais tout aussi vif. Le temps a passé, et mes souvenirs (notamment chiffrés) sont moins précis, mais le débat entre scientifiques découlait apparemment du faible nombre de cas, et de la difficulté à disposer de cohortes comparables […]. D’autre part, si un taux est de 2/100.000, la moindre variation aléatoire (ex : +1) constitue une variation importante du taux (cf antennes de St Cyr l’École pour ce qu’on en a entendu). De mémoire, le débat portait sur le fait que pour les uns, passer de 2 à 2,1 ou 2,2 était significatif d’un risque, et non pour les autres. EDF a alors organisé un Colloque international qui fut extrêmement intéressant ; […] La dernière intervention sur les champs magnétiques fut celle d’une équipe suédoise ; la géographie du pays, forestière, allongée, de faible densité de population, leur avait permis de créer deux zones d’étude, l’une autour d’une ligne THT de plusieurs milliers de kilomètres du nord au sud, et une zone parallèle. J’ai alors eu le sentiment (à tort ou à raison) que cette équipe « croyait » intuitivement d’entrée à la dangerosité des champs magnétiques des THT. Ensuite, un scientifique grec fit un exposé sur la psychologie des chercheurs, l’importance des idées préconçues sur leur recherche, et sur la nécessité pour chacun de s’en 90

détacher et d’en tenir compte. […] « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié » (sujet de bac récurrent avant les années 70), mais il me semble qu’un thème, portant sur l’impérieuse nécessité pour les scientifiques de savoir prendre conscience de leurs idées préconçues inconscientes pour en tenir compte ou s’en dégager, mériterait d’être régulièrement rappelé, car les différences entre personnes sont sans doute le vrai sujet de certains débats scientifiques. PS : Le choix des illustrations de la revue est toujours excellent. Bravo et merci. Ch. B Merci de votre témoignage. On pourrait citer mille exemples qui montrent bien combien vous avez raison de souligner la nécessité absolue de chercher à s’affranchir de ses propres préjugés. Le dernier en date que j’ai appris (de notre collaborateur Nicolas Gauvrit) était la mesure « scientifique » faite par Binet de la taille des crânes pour établir un rapport entre leurs tailles et la mesure du QI. Il était tellement persuadé de cette correspondance qu’il la « trouvait » dans ses mesures ! Son honnêteté l’a conduit à admettre qu’un de ses étudiants, qui mesurait sans cet a priori, avait été plus rigoureux…

Infréquentables rationalistes Votre article « Idées reçues sur la science et le rationalisme, 301 – juillet 2012 » NON SIGNÉ a retenu mon attention. J’ai ainsi découvert votre revue, qui très rapidement a perdu toute crédibilité : énonçant,

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niant, décrédibilisant toute idée paranormale ou même spirituelle (quand on sait que 86 % des humains sont croyants)... Il suffit de regarder vos « dossiers » pour connaître votre but d’hyper-sceptiques, tout en vous présentant comme la seule ou la seule vision digne du monde... Sur ce, adieu car je ne lirai jamais votre journal, n’irai jamais fréquenter des gens comme vous (si peu nombreux d’ailleurs), qui avez tort et provoquez du mal à l’Humanité. PS : que vous le vouliez ou non, les ovnis, le paranormal, l’homéopathie, la spiritualité existent et sont réels. X, ingénieur, physicien et amateur de vérité.

P.S, cher M. « X » : nos éditos ne sont par définition (et sauf rare exception) jamais signés, car ils engagent justement l’ensemble de la rédaction.

Rubrique coordonnée par Martin Brunschwig

www.pseudo-sciences.org

Un dialogue est-il ici utile ?... Je vous réponds surtout pour votre PS, car on me l’a parfois asséné. Et pourtant, c’est bien que vous le vouliez ou non que les gra-

nules homéopathiques n’ont aucun effet spécifique, qu’on attend encore la moindre preuve de l’existence d’un phénomène réputé paranormal, que si les ovnis « existent et sont réels », on a pu en grande partie bel et bien les identifier, et pour la partie qu’on n’expliquerait pas encore, la piste extraterrestre – qui n’est pas écartée a priori – ne semble pas crédible… Reste la spiritualité. Sauf erreur, nous ne l’avons jamais dénoncée comme pseudo-science, et elle devrait donc échapper au « mal que nous faisons à l’humanité »…

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Débat

L’incantation est-elle une stratégie efficace ? Hervé This Hervé This est physico-chimiste dans le Groupe de Gastronomie Moléculaire, au Laboratoire de chimie d’AgroParisTech (UMR 1145 INRA/AgroParisTech), professeur consultant à AgroParisTech, secrétaire de la Section VIII de l’Académie d’Agriculture de France, directeur scientifique de la Fondation Science & Culture Alimentaire (Académie des sciences). Il est le co-créateur, avec Nicholas Kurti, de la discipline scientifique nommée gastronomie moléculaire.

Nous publions ici de longs extraits d’une lettre que nous a adressée Hervé This à propos de notre action en général, et de son efficacité en particulier. Nos lecteurs trouveront sur notre site Internet l’intégralité du texte. Cette discussion concerne les adhérents de l’AFIS, mais plus généralement, les lecteurs de la revue Science et pseudo-sciences qui partagent tout ou partie des motivations de notre action. Martin Brunschwig, responsable pour le comité de rédaction de la rubrique « Lecteurs », donne plus bas son point de vue. Nos colonnes sont ouvertes à ceux de nos lecteurs qui voudraient apporter leur propre contribution.

omme tout scientifique ulcéré par les marchands de peur, les escrocs à la santé, les prometteurs d’Éden et autres malhonnêtes, je suis attiré par l’adhésion à l’AFIS et la lecture de son journal. Chaque article de la revue me fait vibrer d’indignation, me donne une envie renouvelée d’éclairer les débats publics par ma (modeste) compétence, en vue d’un peu plus de rationalité, indispensable pour la saine prise de décisions qui engagent la collectivité où nous vivons. J’admire le travail de la rédaction, j’adhère aux causes considérées... mais je m’interroge.

C

[…] La revue tire à 5000 exemplaires, ce qui est... bien peu par rapport aux medias audibles que sont les grandes chaînes de télévision, de radio, les quotidiens nationaux, et même les revues de vulgarisation scientifique. Pourtant, que d’énergie dépensée par la rédaction, par les auteurs ! Que d’intelligence mise en œuvre, dans l’analyse des cas considérés, ainsi que dans la rédaction de textes analysant les raisons pour lesquelles il n’y a pas de molécules du principe actif dans l’homéopathie, pour lesquelles les résidus de pesticides sont bien moins risqués que les benzopyrènes des barbecues, pour lesquelles les religions sont des systèmes bien contestables... 92

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Tout cela, en pure perte ? Au fond, quel est l’objectif : contribuer à changer les idées d’un public mal informé, ou trompé. Comment nous y prendre ? Des décennies de combat rationaliste personnel m’ont montré [ainsi qu’à mes amis] que les diverses manières ne se valent pas. Certaines sont inefficaces, d’autres augmentent la confusion, d’autres encore accroissent les peurs et les réactions de rejet ; quelques-unes semblent avoir une action. Lesquelles sont les bonnes ? Voilà ce que j’aimerais trouver à l’AFIS, et dans sa revue : une discussion des stratégies de combat rationaliste, quelque chose qui nous aide tous, non pas pour les combats pour lesquels nous ne sommes pas légitimes (chimiste, je crois qu’il serait illégitime que j’intervienne dans des débats sur les OGM et qu’il vaut mieux que je me concentre sur les champs que je connais le mieux), mais pour les combats où notre devoir civique nous conduit à participer. Bien sûr, nous pourrions tous continuer à « faire de notre mieux », en mettant en œuvre toutes les ressources de notre intelligence, de notre culture (la lecture de Platon), de notre savoir […] La question posée étant difficile, on comprend que l’AFIS n’ait pas pris sur ses épaules la charge totale du combat rationaliste. […] Pourquoi ne pas, alors, contribuer à des revues, émissions de radio ou de télévision existantes, au lieu de s’épuiser à créer une revue de plus ? Ne serait-il pas plus efficace de chercher des partenariats, et d’aider les grands supports à diffuser des informations telles que nous les voudrions ? […] Pardonnez-moi d’observer que des numéros entiers sur l’autisme, les attentats du 11 septembre, l’homéopathie, etc. manquent de variété et de charme ! […] D’ailleurs, j’y reviens : quelles sont les stratégies efficaces ? N’existe-t-il pas des études bien faites des manières de convaincre ? […] Apparemment, nous devrions pouvoir faire notre miel de toutes ces tentatives [celles du passé, qui ont parfois causé la mort de leurs auteurs], et produire un « manuel à l’usage de ceux qui veulent convaincre de la justesse de leurs idées sans finir au bûcher ». Une œuvre d’utilité publique ? En attendant la publication de ce livre salutaire, ne pourrions-nous pas avoir, dans la revue de l’AFIS, une rubrique consacrée spécifiquement à cette méthodologie que j’appelle chaque jour de mes vœux ? […] En attendant, je me résous, avec un sentiment de faire mal, à croire que c’est l’enthousiasme […] qui est la stratégie la moins mauvaise dont je dispose. Toutefois, j’aimerais être réfuté (quantitativement !), par des collègues plus expérimentés, ou qui auraient étudié ces questions plus en profondeur, plus... rationnellement. Hervé This Votre lettre pose deux questions principales : notre action sert-elle à quelque chose ? Et comment « optimiser » le combat rationaliste ? Tout d’abord, rassurez-vous : ce n’est pas « épuisant » de réaliser cette

revue (et cela n’empêche pas, effectivement, de participer également à d’autres actions médiatiques au public plus large). C’est un travail passionnant, parfois même tout à fait exaltant, qui nous fait progresser nous-mêmes dans la connais-

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sance. Et c’est en cela que, pour ma part, le découragement ne me guette jamais : plus encore que de « contribuer à changer les idées d'un public mal informé » (cela peut venir « de surcroît »), il me semble que l'objectif est d'abord d'informer, de transmettre la connaissance de façon pédagogique. Comme il se trouve que cette dernière est extrêmement difficile à établir de façon fiable, et que d’innombrables erreurs entachent les renseignements transmis par les médias habituels, nous nous retrouvons souvent en position de devoir expliquer comment fonctionne la science, comment s’établit une connaissance, comment des erreurs ont pollué tel ou tel débat, etc. Mais il ne s’agit pas d’un « combat » à proprement parler, mais de l’espérance que l’exposition de faits trop peu connus aidera à se forger son opinion. Et la perspective est le long terme, voire le très long terme : Jean Bricmont, dans un éditorial (SPS 248, septembre 2001), faisait remarquer que nos ancêtres adhéraient à un grand nombre de croyances irrationnelles auxquelles plus personne ne croit aujourd’hui et soulignait que la transition s'est opérée, en partie au moins, « parce qu’entre-temps des gens ont montré, au moyen d’arguments rationnels, qu’elles étaient fausses » Dès lors, la question de l’efficacité, pour cruciale qu’elle soit, ne revêt pas un caractère aussi « dramatique » que vous le peignez, me semble-t-il… À titre personnel, je suis persuadé de l’utilité et même de la nécessité de se poser ces questions, comme le ferait n’importe quel péda-

gogue, pour vérifier que son « public » (élèves ou non, c’est la même chose) peut s’approprier les informations transmises de la meilleure manière possible. D’ailleurs, nous ne manquons pas de nous poser ces questions à chaque numéro ! En témoigne dans l’avantdernier numéro l’article de Brigitte Axelrad sur « KISS » (Keep it simple, stupid !) ou encore le témoignage d’un médecin dans le courrier des lecteurs qui allaient dans ce sens d’un partage d’expérience sur les meilleures manières de convaincre, sans parler des réflexions passionnantes d’un certain… Hervé This, parues dans le n°294 de janvier 20111. Et je vous invite vivement à réaliser vous-même cet ouvrage « d’utilité publique » que serait le manuel que vous suggérez ! Notre revue n’a (sans aucun doute !) pas encore le public qu’elle mérite, mais sa diffusion est en progression constante. Et nous ne pourrions faire évoluer de façon spectaculaire cette situation sans recours à la publicité. Or, il est bien évident que notre indépendance, garante de la qualité de la revue, est plus primordiale encore à nos yeux. Et si ce public reste encore restreint en quantité, il ne l’est pas en qualité, ce qui peut avoir son importance. En attendant de trouver peut-être des études sur la question (il serait très intéressant de se renseigner là-dessus), je partage votre sentiment : c’est sans aucun doute l’enthousiasme qui est le vecteur le plus efficace. Martin Brunschwig Le débat est ouvert à tous nos lecteurs.

1 http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article108 2 http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1615

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Sommaires des derniers numéros 287. Hors-série. L’astrologie, ça ne marche pas, ça n’a jamais marché… L’astrologie à travers l’histoire L’astrologie face aux connaissances scientifiques - L’astrologie dans la société.

295. L’imposture de la graphologie OGM et allergies : rumeurs et réalités Face au scorbut et aux saignées : comment la médecine est devenue scientifique - Mediator : le service public de l’expertise fragilisé.

288. La légende du triangle des Bermudes - Giordano Bruno, philosophe ou scientifique ? - Voyage au pays de l’expertise - Antennes-relais : le sensationnel contre l’information L’année Darwin.

296. Dix ans après les attentats du 11 septembre : la rumeur confrontée à la science (numéro hors-série) - Génie civil, aéronautique, chimie, mécanique, métallurgie : la science invalide les théories conspirationnistes.

289. Dossier : Vaccination : peurs, rumeurs et réalité - Quotient intellectuel, intelligence et génétique Médecins homéopathes : le syndrome du Dr. House - La surmortalité des abeilles : alerte rouge pour la pollinisation et l’agriculture.

297. Peurs alimentaires : faut-il arrêter de manger ? - Évaluer l’acupuncture De l’hygiène au tabagisme, la naissance de la médecine scientifique - La connaissance de soi - Addictions aux jeux - Impulsivité et génétique.

290. Dossier : Les critiques contre la science - La « communication facilitée » de nouveau à l’œuvre - Dix questions sur l’agriculture biologique - Le principe de précaution : un principe contre-productif. 291. Dossier. Le réchauffement climatique : les éléments de la controverse Astrologie : Le point de vue d’un astronome professionnel - La « folie douce » : une thérapie burlesque ! 292. Le naturel n’est pas forcément bon, le bon n’est pas forcément naturel - Homéopathie : sinistre farce en Afrique - Des bracelets sans effet Saccage des vignes OGM de l’INRA : obscurantisme et pseudo-sciences « Vache folle » : bilan d’une crise médiatique et sanitaire. 293. Psychanalyse : les dessous du divan (hors-série). Des prétentions scientifiques infondées - Les prétentions thérapeutiques : une imposture entre occultisme et suggestion - Une place injustifiée dans la société. 294. L’archéologie romantique : une pseudo-archéologie - Traumatismes : à quoi servent les psychologues ? - À propos du Big-Bang - Placebo, une nouvelle approche du phénomène Un téléphone mobile ne peut pas cuire un œuf - Des procès affligeants contre la science.

298. Après Fukushima : est-il possible de parler sereinement du nucléaire ? (dossier).

299. Antennes-relais : la spirale de la rumeur - Cellules souches : l’idéologie contre la science - OGM, antennesrelais, homéopathie, la science se faitelle au tribunal ? - Agriculture, de la subsistance à la productivité Extraterrestres : leurs secrets révélés. 300. Autisme : le jour se lève pour les approches scientifiques - Les vaches s’aligneraient-elles sur les champs magnétiques ? - Mesmer et le magnétisme animal - Mensonges lacaniens. 301. Gaz de schiste : ce qu’en disent les scientifiques - Nanotechnologies : entre promesses et appréhension Énergie : du muscle à l’atome.

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